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Victoire de la défaite

Publie le vendredi 18 août 2006 par Open-Publishing

Future maman vietnamienne, dessin d’André Bouny, Paris 1973.

de André Bouny

Victoire d’Israël, Victoire du Liban ; Victoire du Liban, Victoire d’Israël

La polémologie, science de l’étude de la guerre, ne considère pas la guerre comme un phénomène exceptionnel mais comme une constante de l’Histoire de l’humanité.

L’irénologie, science de la paix, ne figure pas dans le dictionnaire, pas plus que n’existe un Ministère de la paix dans quelque gouvernement que ce soit.

Sur la vie défaite montent des clameurs de victoire. Enfants israélites paraphant les ogives des bombes, enfants libanais brandissant le calicot du triomphe : germes des combats à venir. De la défaite de l’armement israélien sur les positions souterraines libanaises peut naître l’attaque nucléaire qui atteindrait de futures cibles enfouies en Iran.

Défaite de l’éducation des peuples, de leur sagesse et du comportement de chacun de nous, paroles et écris compris. Défaite de l’appartenance qui brouille le jugement toujours prompt à confondre ce qu’il aimerait qui soit avec ce qui est. Défaite de l’intelligence sensible. Défaite de la conscience. Défaite du protocole politique qui persiste à saluer la fonction habitée d’une crapule. Défaite des relations internationales et de la différence. Défaite de l’économie locale, régionale, mondiale, au bord du gouffre. Défaite de l’enfance.

Les enfants qui vivent la guerre y jouent puis la font. Les enfants en paix voient la guerre à la télévision et au cinéma, jouets et jeux - vendus par les marchands d’armes qui éditent les poètes - la reprennent prédisposant leurs utilisateurs à reproduire ce qu’ils voient comme faisant partie intégrante du paysage de leur vie réelle et/ou ludique. Comme allégorie de l’homme formaté à la guerre, il y a le pédopsychiatre du pays « riche et en paix » qui préconise de laisser l’enfant jouer avec des imitations d’armes - évacuation de l’agressivité - de façon à ce qu’il ne s’en serve pas une fois adulte. L’acceptation de ce rouage mental - qui reste à prouver - ne laisse pas de place à la paix globale, l’évacuation de l’agressivité de l’enfant vivant en milieu de paix se ferait donc au regard et au détriment de l’enfant vivant au milieu de la guerre. C’est le refrain, la paix c’est quand la guerre est ailleurs.

L’inévitable Histoire des hommes contient les déclencheurs « polémogènes » qui nourrissent la guerre, convoitise des richesses dans la chronologie de l’épuisement de la planète, or jaune, or noir, or bleu, bientôt or transparent, provocations, concordance de faits économiques, psychologiques, ethniques, culturels, démographiques et religieux. Mais la guerre est toujours perdue. Israël et Liban ont perdu. Perdus, les enfants bousillés. Perdues, les mères éclatées. Perdus, les pères explosées. Perdus, les arbres arrachés tirant de la terre aride l’huile parfumée et le sucre de leurs fruits. Défaites, les maisons où se prenait le repas frugal sans jamais prétendre à l’inaccessible bonheur, construites avec tant de peine et de temps de vie. Et demain le malheur est encore promis, niché dans l’engin qui n’a pas explosé et dans le légume pourri par la terre contaminée, dans la prochaine guerre.

Derrière les gravas tièdes et le rideau de fumée se cachent les gagnants, fabricants d’armes et futurs reconstructeurs, souvent les mêmes qui, aussi par éducation et formation, ne savent rien faire d’autre que cette besogne sur le dos de l’effort humain, du sang des autres, forgeant ainsi et alimentant les combats à venir pour leur plus grande fortune en imposant à nos sociétés une économie de guerre. L’activité de ces acteurs diffus et magnas de la guerre se ramifie au niveau local où se trouve toujours un élu, mal avisé, invoquant quelques emplois abjects au salaire obscène - pour une poignée de bulletins en plus dans l’urne - qui justifie l’installation de fabrication et sous-fabrication d’armes. (Pour exemple le cas des mines antipersonnel à 30 cents de dollar/pièce qui ne nécessite pas une haute technologie, couleur sable pour une utilisation en milieu désertique, colorée et attrayante pour les enfants sous forme de papillon, dit et montre le prospectus comme s’il s’agissait de vulgaire objet de consommation. Une mine antipersonnel arrache pieds et/ou mains, bras ou/et jambes ou bien les deux, éventre une fillette ou écouille un petit garçon toutes les vingt minutes sur la Terre. Elle peut rester active onze siècles. Le Traité d’Ottawa a mis cette pratique sous l’éteignoir mais la Chine, l’Inde, la Russie, les USA et bien d’autres ne l’ont pas signé.) Pour un chômeur conscient mieux vaut la mendicité devant la porte de l’église.

A l’autre bout du tuyau de cette économie de guerre et par le dispositif des multinationales, les gigantesques rebus de fer et d’acier vomis par la guerre sont rachetés à prix vil par ceux qui les ont vendu à prix d’or sous la forme de blindés et reviennent vers nous contaminés dans les biens de consommation courante de nos cuisines, automobiles et toute autre forme d’objets quotidiens sans oublier l’industrie du jouet. A tel point que si la guerre s’arrêtait l’économie s’écroulerait. C’est le triomphe de l’argent sur toutes les autres valeurs, vie comprise. La guerre se déroule donc, provisoirement, dans les pays où subsistent des valeurs supérieures à l’argent, permettant ainsi d’écouler les arsenaux et de reconstituer les stocks tout en recherchant l’arme émergeante qui mariera la nanométrie à la génétique avec une plus forte valeur ajoutée.

C’est la victoire de la défaite.

En paix.