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L’eau, nouvel or bleu

Publie le lundi 19 novembre 2007 par Open-Publishing

L’eau, nouvel or bleu

17 novembre 2007

Par Tara Lohan, AlterNet, 11 octobre 2007

Albert Szent Gyorgi, prix Nobel de médecine hongrois, l’a dit un jour : « L’eau est la matière et la matrice du vivant, sa mère et son milieu. Il n’y a pas de vie sans eau . »

Nous dépendons d’elle pour notre survie. Elle circule dans nos corps, dans les terres, apportant les nourritures, drainant les impuretés. Elle se transmet, telle les légendes, de génération en génération, des glaciers de montagne aux rivières et aux océans.

Historiquement, l’eau a été l’objet de rituels, autour d’elle les hommes se rassemblaient, elle était l’ossature des communautés.

Mais les temps ont changé. « A une époque ou l’homme a oublié ses origines et est aveugle même en ce qui concerne ses besoins les plus essentiels, l’eau est désormais victime de son indifférence, » écrit Rachel Carson.

Aujourd’hui, 35 ans après la promulgation de la loi sur la qualité de l’eau [1] nous approchons d’une crise mondiale, encore aggravée par le réchauffement climatique qui provoque la fonte des glaciers et la montée du niveau des mers.

Notre sommes confrontés à une urbanisation intensive recouvrant les zones inondables, à des barrages qui provoquent le déplacement des populations et défigurent les fleuves, une croissance industrielle sans frein qui pollue les cours d’eau, une consommation croissante qui excède les ressources naturelles. Nous sommes également de plus en plus menacés par la vague des privatisations qui balaie le monde, transformant cette précieuse ressource publique qu’est l’eau en une fourniture, source de gains économiques.

Ces problèmes existent à l’échelle du monde, au nord comme au sud, et se généralisent partout. Les politiques de l’eau recouvrent plusieurs dimensions. Lorsque l’on aborde la crise de l’eau, on aborde les problèmes de la pauvreté, du commerce, des communes et des privatisations. Cela soulève également la question des droits indigènes, du droit de l’environnement, de l’éducation, de la responsabilité des entreprises et de la démocratie. Toutes ces facettes dessinent non seulement les causes du problème, mais aussi les dimensions de sa solution.

Où nous sommes nous trompés ?

Au fur et à mesure que le monde se réchauffe, que s’accroît la pollution, et que nous consommons les ressources mondiales d’eau douce, nous faisons face à un problème humain et environnemental de proportion gigantesque.

La consommation d’eau double tous les 20 ans, deux fois plus vite que la population mondiale. En ce moment, 1,3 milliards d’humains n’ont pas accès à une eau potable, et 2,5 milliards vivent sans réseau d’égout convenable. On prévoit qu’en moins de 20 ans la demande en eau potable mondiale excède les capacités de 50%.

La plus grosse part de la consommation revient à l’agriculture, qui représente 70% de l’usage au niveau mondial, et dont une grande partie est subventionnée dans le monde industrialisé, ce qui n’incite pas l’agrobusiness à économiser ou a cultiver des espèces moins gourmandes en eau.

Ces chiffres vont vraisemblablement augmenter quand nous devrons nous efforcer de nourrir une population croissante, qui devrait passer de 6 à 8 milliards en 2050.

Le problème de rareté de l’eau ne concerne pas seulement les pays en voie de développement. Selon Tony Clarke, un expert du Polaris Institute, « 21% de l’irrigation aux USA provient de pompage de nappes, à un rythme supérieur à celui de leur reconstitution. » Il est l’auteur avec Maud Barlow d’un ouvrage essentiel sur le sujet : L’Or bleu, le combat pour stopper le vol commercial de l’eau.

La nappe phréatique d’Ogallala, la plus grande d’Amérique du nord, qui s’étend du Texas au Nord Dakota, est aujourd’hui consommée 14 fois plus vite qu’elle ne se reconstitue, écrivent-ils. Ailleurs, « L’administration de la ressource en eau de Californie prévoit qu’en 2020, si d’autres sources ne sont pas découverte l’état fera face à un manque d’eau douce d’une ampleur comparable à celle de l’ensemble de la consommation des villes aujourd’hui. »

La demande excède la ressource un peu partout, de la pluvieuse Seattle aux villes du désert comme Tucson et Albuquerque, des régions agricoles du Middle West aux grandes cités de la côte Est.

La crise est aussi mondiale, particulièrement au Mexique, au Moyen Orient, en Chine et en Afrique.

Avec la croissance démographique, le développement, consommation et la pollution impriment leur marque sur les ressources d’eau. La lutte contre ces problèmes a été rendue plus difficile du fait de la propagation du néolibéralisme. Les mêmes conceptions qui ont conduit aux contrats avec le privé en Irak sont grandement responsables de cette crise de l’eau, ce sont elles qui ont transformé en fourniture la ressource commune et permis aux entreprises de privatiser ce qui autrefois appartenait au public.

En 2000, le magazine Fortune écrivait de façon révélatrice « L’eau promet d’être au 21ème siècle ce que le pétrole était au 20ème siècle, c’est-à-dire la précieuse ressource qui détermine la richesse des nations. »

On a souvent dit que les prochaines guerres pour le contrôle des ressources ne seraient pas faites pour le pétrole - ou l’énergie - mais pour l’eau. Alors que les idées néolibérales se répandaient à travers des institutions comme le FMI et la Banque Mondiale, le secteur public a été dangereusement privatisé. Et au lieu de richesse des nations, il pourrait s’agir de celle des entreprises.

Un cadre dirigeant d’une filiale de Vivendi, le plus grand fournisseur au monde, le résumait ainsi « L’eau est un élément vital et nécessaire de la vie quotidienne de chaque humain et elle est au même titre un élément très important pour le profit des compagnies. »

Mais lorsque les compagnies privées contrôlent la ressource en eau, les besoins essentiels de la population sont mis de côté et laissent place aux critères de profit. En Afrique, on estime à 5 millions le nombre de personnes qui décèdent chaque année par manque d’eau potable. Pourtant l’Afrique dont de nombreux pays manquent de ressources, est visée par les multinationales qui obligent les gouvernements à privatiser leur réseau d’eau en échange d’un allègement de la dette.

Lorsque les entreprises contrôlent l’eau, les tarifs montent, le service baisse, et ceux qui n’ont pas les moyens de payer sont forcés de boire de l’eau sale, au risque de leur vie. C’est ce qui s’est passé à travers le monde, en Afrique du Sud, en Bolivie aux USA et ailleurs.

Cette même philosophie du contrôle par les entreprises est à l’œuvre pour la construction des barrages, qui ont déplacé selon les estimations 80 millions de personne de part le monde. Rien qu’en Inde, plus de 4000 barrages ont submergé 37 500 km carrés de terre et expulsé 42 millions d’habitants de leurs maisons.

Les multinationales à la recherche de revenus dans l’industrie de l’eau ont également pris des parts de marché énormes en vendant de l’eau en bouteille dans les pays riches. Des campagnes de publicité onéreuses persuadent que l’eau du robinet est peu sûre. Ce qui n’empêche pas ensuite des compagnies comme Coca Cola ou Pepsi de mettre en bouteille l’ eau du robinet tandis que d’autres, comme Nestlé, s’accaparent les sources des communes rurales et revendent l’eau en faisant un énorme profit.

La crise de l’eau grandit, mais les résistances aux privatisations également. Les communes se battent contre le contrôle privé de la ressource la plus vitale au monde.

Comment redresser la situation ?

Nous avons besoin d’eau pour vivre, non seulement en tant qu’individus, mais aussi en tant que sociétés. John Thorson l’exprime parfaitement en écrivant « l’eau nous relie à nos voisins selon un mode bien plus fort et complexe qu’aucun autre »

Demander donc aux habitants du Bassin du Klamath, situé entre Oregon et Californie, ce qu’ils en pensent. Ils ont connu des guerres pour l’eau durant des centaines d’années durant lesquelles le voisin se battait contre le voisin, et la tribu contre l’agriculteur.

Les tribus autochtones, les Klamath, Hoopa, Karuk et Yaruk ayant des privilèges sur l’eau se sont confrontés avec les fermiers pour le contrôle d’une eau trop rare. La nature n’a pas donné aux uns et aux autres, tribus, fermiers et pêcheurs, autant d’eau que le gouvernement en avait promis. Avec trop peu d’eau dans la rivière, soit les récoltes mourraient, soit les poissons disparaissaient. Cette situation était génératrice de tensions entre les communautés.

L’année dernière, les choses ont commencé à changer. Ces différents groupes se sont réunis en une coalition pour sauver la rivière dont ils dépendent tous pour leur survie. Ils s’assoient à la même table et commencent à entendre les uns et les autres parler des besoins des fermiers, de la valeur des économies de subsistance, de l’histoire des familles vivant là, des cérémonies en l’honneur du saumon, des droits de la nature.

Tous ensemble, cette alliance improbable s’en prend désormais à la Pacificorp, l’une des plus grandes multinationales de l’énergie, dont les barrages vieillots menacent l’écosystème et l’économie locale.

De l’autre côté du sommet du Mont Shasta, une autre communauté, une autre tribu se bat pour préserver leur eau de source de Nestlé, qui espère puiser dans la plus grande richesse de ces gens à son profit.

Les habitants de la petite ville de Mc Cloud et de la tribu des Winnemin Wintu se sont rebellés et ils ne sont pas seuls. A travers le pays la résistance à l’industrie de l’embouteillement gagne en vigueur. Des restaurants californiens et new yorkais à la mode ont rejoint ce combat. San Francisco a montré le chemin Parmi les villes qui ont décidé de résilier leurs contrats d’approvisionnements en eau en bouteille, conscientes des torts causés par cette industrie à l’environnement et aux communautés rurales.

L’eau embouteillée n’est la pas la seule cause de problèmes. Les compagnies privées qui achètent les réseaux d’eau municipaux puis augmentent les tarifs en diminuant le service aux usagers y participent également. L’un des meilleurs exemples de ce processus est fourni par Stockton, en Californie, l’une des plus grandes opérations de privatisation réalisée sur la côte ouest. Depuis 2001, les habitants de Stockton se battent pour retrouver le contrôle de leur eau contre un consortium multinational.

Cet affaire a mobilisé l’attention jusqu’au-delà des frontières lorsqu’elle a fait l’objet d’un livre et d’un film : « Soif : Lutter contre le vol de notre eau. » Les citoyens ont eu finalement gain de cause en juillet, lorsque le conseil municipal a voté pour résilier le contrat de 20 ans et renvoyé la compagnie.

Les groupes de citoyens qui travaillent à la défense de leurs intérêts communs ont le soutien de nombreux groupes qui combattent la mainmise des sociétés, tels le Polaris Institute de Tony Clarck, au Canada, qui s’est spécialisé dans les travaux de recherche sur les questions liées à la privatisation des services d’eau, l’exportation de la ressource, la sécurité de l’approvisionnement et les eaux embouteillées.

Aux USA, Corporate Accountability International a lancé une campagne nommée « sortir de la bouteille, » qui encourage à la consommation de l’eau du robinet au lieu de l’eau embouteillée. Ce groupe se donne pour objectif de sensibiliser le public mais aussi les communes et les gouvernements, avec succès.

A l’occasition du 35ème anniversaire de la loi sur l’eau aux USA, l’ONG Food & Water Watch, a pris l’initiative d’une journée nationale d’action pour la pureté de l’eau, destinée à enjoindre les élus d’apporter leur soutien à la création d’un organisme national de l’eau destiné à financer les améliorations des réseaux publics d’adduction. Cette ONG veut protéger les réseaux publics contre la privatisation, et aider au financement des réseaux municipaux permettant à tous les habitants de disposer d’une eau propre, saine, et bon marché.

Ces mouvements s’étendent à travers le pays, et au-delà des frontières, où l’on voit des citoyens se rebeller contre l’accaparement des réseaux publics, comme en Californie, au Ghana, au Brésil, en France, en Indonésie, liste de pays qui s’allonge de jour en jour.

Cette opposition au contrôle du privé se base sur l’idée que l’eau est un bien public. Tout le monde devrait avoir accès à de l’eau potable, quelque soit le niveau de revenu, ou la richesse du pays.

Pour nous assurer que tout le monde ait accès à l’eau potable, nous devons entreprendre quelques réformes.

Pour certains, c’est la technologie qui est sera le remède, ou à tout le moins permettra d’effectuer un pas dans la bonne direction. Comme le rappelle la BBC :

Les nouvelles technologies peuvent aider, particulièrement en ce qui concerne l’assainissement, rendant ainsi la ressource plus abondante, mais aussi en agriculture ou l’utilisation de l’eau peut être rendue plus efficace. L’emploi d’espèces résistantes aux sécheresses peut également aider.

L’irrigation en pulvérisation peut réduire considérablement les quantités d’eaux employées, les jets à basse pression sont aussi une amélioration, et la construction de simples digues en terre battue peut concourir a retenir l’eau de pluie.

Certains pays traitent désormais les eaux usées qui peuvent ainsi être consommées et bues plusieurs fois.

La désalinisation rend l’eau de mer utilisable, mais requiert d’énormes quantités d’énergie et créent des résidus salés.
Mais de nombreux observateurs mettent en garde contre l’idée qu’un remède technique pourrait donner la solution à nos problèmes.

Les experts dans le domaine affirment que nous devons réduire notre consommation tant au niveau personnel qu’au niveau collectif. Tony Clarke conseille de travailler au plus proche des usagers, comme par exemple en aidant les fermiers à développer un modèle d’agriculture plus durable. La même chose peut être faite dans l’industrie. L’observation des pratiques des autochtones et des cultures traditionnelles nous aidera aussi à apprendre comment fonctionne un écosystème.

Nous devons entreprendre le développement d’une politique générale de l’eau, qui aille du niveau régional au niveau international. La Banque Mondiale et les Nations Unies ont la capacité de transformer la définition de l’eau, en substituant la notion de droit humain à celle de besoin humain, en s’assurant que les entreprises ne peuvent exploiter cette ressource pour obtenir un gain économique, préconisent Clarke et Barlow, dans leur ouvrage « Or Bleu »

Les gouvernements devraient investir pour leurs citoyens dans des opérations de préservation et portant sur l’infrastructure dont nous dépendons pour une eau potable accessible.

En dernier ressort, il s’agit d’une question de démocratie. « Nous avons appris que les conflits pour l’eau soulèvent des questions essentielles sur la démocratie elle-même. Qui participera au processus des décisions engageant le futur, et qui en sera exclu ? » écrivent Switon, Kaaufman et Fox dans leur ouvrage récent « Soif . » « Si les citoyens n’ont pas le contrôle de la ressource la plus essentielle, contrôlent-ils réellement quoi que ce soit ? »

Sur le même sujet :

Le blog de Marc Laimé Les Les eaux glacées du calcul égoïste :
http://www.eauxglacees.com/

Marc Laimé est journaliste spécialisé et conseil sur les politiques publiques de l’eau auprès de collectivités locales.

Tom Engelhardt : As the World Burns
http://www.tomdispatch.com/post/174863

Engelhardt fait le point sur la sécheresse aux USA et rappelle qu’elle est loin d’être un cas isolé. La Turquie, la Grèce, le Maroc, l’Europe Centrale et l’Australie ont subi un déficit pluviométrique considérable - jusqu’à 50% - cet été.

[1] Clean Water Act

http://contreinfo.info/article.php3?id_article=1442