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Pourquoi le pouvoir italien a lâché Aldo Moro, exécuté en 1978 (videos)

Publie le jeudi 14 février 2008 par Open-Publishing
6 commentaires

de Hubert Artus

Alors que l’Italie se prépare à de nouvelles élections, voici la preuve que l’on attendait sur la mort d’Aldo Moro. Trente ans après. Ce samedi, France 5 diffuse un documentaire où, pour la toute première fois, est révélé officiellement que le gouvernement italien avait sacrifié l’ancien premier ministre, séquestré par les Brigades rouges en 1978. Extraits.

16 mars 1978. Italie. Depuis neuf ans, un mouvement social de grande ampleur secoue l’Italie. Quelques groupes sont déjà passés à la lutte armée. Après cette date vont commencer les "années de plomb", ce que les historiens qualifieront de "guerre civile de basse intensité".

Aldo Moro fut Président du Conseil à cinq reprises, entre 1963 et 1976. En 1978, il est le chef de la Démocratie Chrétienne, et son parti est arrivé juste devant le Parti communiste italien d’Enrico Berlinguer aux dernières élections. En fait, les deux partis ont gagné. Sans une coalition entre les deux forces, le pays est ingouvernable.

Ce jour-là doit être signé le "Compromesso storico". Un compromis historique qui, même si le PCI de dissocie alors de l’URSS, est tout simplement impensable pour la majorité de la classe politique italienne.

Cinquante-cinq jours de prise d’otage et une exécution

Via Fani, en plein Rome, quelques heures avant la signature. Un commando de cinq membres tuent les gardes du corps de Moro, qu’ils enlèvent. Les cinq sont des Brigades rouges, le plus connu des groupes d’extrême-gauche de l’Italie en feu. Qui exige, contre la libération de Moro, celle de treize des leurs. C’est le traumatisme. Giulio Andreotti succède à Aldo Moro. Il nomme à l’Intérieur le "Monsieur sécurité" de la Démocratie chrétienne, l’implacable Francesco Cossiga.

L’enlèvement d’Aldo Moro fera trembler l’Italie cinquante-cinq jours durant. Le 9 mai, son corps sans vie fut retrouvé dans le coffre d’une automobile, à Rome. Via certini… soit à mi-chemin des sièges de la DC et du PCI. Il a été exécuté par les Brigades rouges.

En fait, avant d’être exécuté, Moro avait été lâché. Par les siens. Durant toute sa détention, Moro écrit des lettres. A sa famille. A ses compagnons de DC. Il les implore, fin négociateur qu’il est, de libérer des Brigades rouges. Mais pour le gouvernement, tout comme d’ailleurs pour le PC, c’est impensable. Ses lettres sont fausses, pensent-ils. Négocier laisserait le champ libre aux communistes, pensent-ils surtout. Moro ira jusqu’à écrire au pape Paul VI. Mais, pour tous, le même constat : plutôt que les cocos, abandonner Moro.

Sur ces cinquante-cinq jours, toutes sortes d’interprétations fumeuses sont apparues : il a été suggéré que certains dans les services d’état savaient où se situait le lieu de détention (un appartement romain) ; Romano Prodi (qui sera bientôt ministre d’Andreotti) parla lui-même d’une séance de spiritisme pendant laquelle les esprits lui indiquèrent le lieu de détention...

Ce que la classe politique craint : que Moro révèle à ses ravisseurs les énormes intérêts que les Etats-Unis ont sur le sol transalpin. La plus importante base de l’Otan est là. Mais surtout, il y a cette structure secrète : Gladio. Une branche de l’armée italienne, entièrement vouée à une guerre secrète et sans merci contre le communisme.

Moro lâché par le pouvoir, une thèse confirmée par deux témoins-clé

C’est là que le film d’Emmanuel Amara frappe très fort. Entre divers témoins (dont Adriana Faranda et Valerio Morucci, deux des membres du commando, dont il convient cependant de préciser qu’il s’agit de repentis), il apporte les témoignages qui manquaient à l’Histoire.

D’une part, Steve Pieczenik, ancien membre du département d’Etat américain. Alors envoyé par le président Jimmy Carter comme "expert psychologique" pour intégrer la cellule secrète du ministre Cossiga : "Il fallait qu’Aldo Moro reste en vie suffisamment longtemps pour permettre à Cossiga de reprendre ses services en main", dit l’agent yankee dans le film. Le reste se passe de commentaire. (Voir la vidéo.)



(Réal. E. Amara - Sunset presse/France 5.)

Beaucoup savaient le rôle joué par les services américains dans les années de plomb, et en particulier dans cet enlèvement. Mais, ici, trente ans après les faits, l’agent avoue, et signe. Dans le film, il retrace toute la stratégie mise en place par lui, Cossiga et Andreotti. Pour sacrifier Moro.

Certes, comme l’avoue Amara, Steve Pieczeik "brasse parfois du vent" :

"Il s’agit d’un type qui a gravité dans le pouvoir américain jusqu’à l’arrivée de Bush père au pouvoir. Entendre sa version de la guerre des étoiles ou du Nicaragua vaut le détour."

La rencontre avec Pieczenik, c’est le heureux hasard du journaliste, comme l’explique le réalisateur :


Une fois obtenu les aveux de l’agent, Amara est alors aller trouver Cossiga. Qui avait accepté de témoigner, sans penser qu’Amara savait tout. Quand le réalisateur lui montre le témoignage de l’agent, Cossiga confirme. Tout. L’ancien ministre, qui deviendra plus tard le chef du gouvernement, valide. C’est le clou du film. (Voir la vidéo.)



(Réal. E. Amara - Sunset presse/France 5.)

Sollicitée, Paola de Luca, ancienne militante autonome à présent réfugiée en France, n’est pas étonnée, même si elle apprécie l’info. Pour autant, elle n’est pas dupe de la peur des communistes. Pour elle, "le PCI avait donné suffisamment de gages -de sécurité et de police- pour ne plus effrayer personne. Celui que tout le monde voulait alors écarter, les Américains comme les Italiens, c’était avant tout Bettino Craxi". Craxi, chef de file des socialistes italiens d’alors qui voulait, en effet, supplanter Enrico Berlinguer comme force principale de la gauche italienne. Il y parviendra, devenant chef du gouvernement de 1983 à 1987. A la fin des années de plomb.

Chronique de la défaite des Brigades Rouges -empêtrées dans leur propre logique- autant que du tournant fatal de la crise italienne, le film d’Amara éclaire la seule ombre qui restait autour de la mort d’Aldo Moro. Une révélation indispensable.

Les Derniers jours d’Aldo Moro documentaire d’Emmanuel Amara - samedi 9 à 13h55 - France 5.
Nous avons tué Aldo Morto d’Emmanuel Amara - Patrick Robin Editions - 175p., 18€.

Troisième paragraphe modifié : Aldo Moro n’était pas président du conseil au moment des faits.

http://www.rue89.com/cabinet-de-lec...

Messages

  • et les dirigeants des brigades rouges ont été assez stupides ou complices, pour tomber dans le panneau !

    boris

    • "Mais enfin, c’est "connu", Gladio cela ne vous dit rien ? Rendez-vous avec X sur france-inter (et quelques livres aussi) nous a raconté combien la CIA avait opéré en Europe et en particuliers en Italie. Se souvenir de la mort d’Aldo moro ... Tout porte à croire que les brigades rouges avaient été très bien infiltrées ( ce qui est logique non, les services secrets c’est fait aussi pour cela) par la CIA (ou proche de) et qu’Aldo Moro a été tué (éliminé) car il ’pensait’ bien accepter quelques communistes dans son futur gouvernement (en tant que 1er ministre incontournable). Le pire dans l’histoire, c’est qu’en lisant les lettres écrites par Aldo Moro durant sa captivité, on voit bien qu’il avait compris qu’il était laché par ses (soit-disant) amis politiques. Atroce.

      Les archives déclassées de la CIA ne le racontent pas ? Bcp de secrets n’ont pas été déclassifiés .. ça dérange trop, et le droit on s’assied dessus ... C’est une caractéristique récurrentes de nos "démocraties""

      Commentaire trouvé sur le fil :
      http://bellaciao.org/fr/spip.php?article59492

    • Tout porte à croire que les brigades rouges avaient été très bien infiltrées ( ce qui est logique non, les services secrets c’est fait aussi pour cela) par la CIA (ou proche de) et qu’Aldo Moro a été tué (éliminé) car il ’pensait’ bien accepter quelques communistes dans son futur gouvernement (en tant que 1er ministre incontournable).

      Du vent ! possible mais à prouver (du moins d’une façon suffisante pour infléchir une ligne politique)...

      Je crois que les Brigades Rouges ont été assez cons pour se piéger toutes seules. Elles se sont faites couillonner , elles sont les perdantes politiques de cette affaire.

      La majorité de l’appareil du PCI, là dedans, a été contraint de repousser de 20 ans son allégeance par alliance à la bourgeoisie.

      La DC a continué sa plongée dans un océan maffiste.

      Il faudra le gouvernement Mitterrand pour démontrer au parti américain en Europe que les appareils communistes ne sont pas des dangers pour le capitalisme et, même, d’utiles acteurs pour verrouiller et soumettre les travailleurs .

      Mais en 1974, il y a avait encore pour le parti américain la peur du PCI par ce qu’il représentait (comme il eut peur de la gauche en 1981 en France, comme quoi ce parti américain pouvait être con et peu habile à estimer une situation) et la peur d’une situation où un parti armé radical, non négligeable en Italie à ce moment, pouvait donner un assez mauvais exemple en réussissant une prise d’otage spectaculaire.

    • "Je crois que les Brigades Rouges ont été assez cons pour se piéger toutes seules. Elles se sont faites couillonner , elles sont les perdantes politiques de cette affaire"

      Copas ne pouvait mieux résumer la vraisemblance des faits ; et il n’y a pas de Stay Behind qui tienne...

      Brunz

    • et oui, les brigades rouges ont été infiltrées. A lire sur ce sujet un livre passionnant mais malheureusement pas traduit en francais "Puppetmasters" de Philip Willan, et à lire aussi pour les Stay Behind "Les armées secretes de l’OTAN" de Daniel Ganser

    • Tous les partis de gauche ont été infiltrés, tous.

      Il ne faut pas être con au point de s’imaginer que cela n’est pas .

      La bonne question est : Est-ce que cela pèse sur une ligne politique ?

      Je ne pense pas beaucoup dans ce cas précis. C’est + un engrenage politique substitutiste qui fatalement les amena là.

      La logique de la ligne militaire était bien dans l’air du temps de cette époque pour une grande partie de l’extrême gauche . En Italie cette ligne a été plus loin car ces groupes étaient puissants et relativement bien implantés.

      Ils exprimaient quelque part, dans leurs travers, une radicalité désespérée de franges de la population (un énorme mouvement populaire dans le Mai rampant italien suivi de l’entonnoir collabo du parti dominant parmi les travailleurs (le compromis historique)). Ce mix entre des courants guerilleristes et d’un autre côté la destruction du communisme entamé par la direction du PCI, + une extrême gauche entre les deux ayant mal négocié cette radicalité violente , a conduit où on sait.

      C’est cette situation et l’absence d’une alternative construite avec méthode qui a fait que des centaines, voir des milliers de jeunes se la joue tupamaros à Rome, à Milan et Turin. Des jeunes travailleurs en venant à jamboniser des petits chefs au P 38.

      Revoir l’excellent film "Etat de Siège" de Costa Gavras pour comprendre le processus de piégeage d’un parti guerilleriste urbain .

      La manipulation là est essentiellement externe , née d’une mauvaise orientation politique interne. C’est la ligne politique qui est en cause, et un mécanisme bien connu de ce type de groupe.

      Les brigades rouges, le parti armé en Italie, s’est décanté dans un processus, a joué et a perdu.

      Il y a bien une mécanique là dedans, un rapport à la violence, confusionniste, où on glisse d’actes symboliques vers se croire être le parti qui mène sa guerre à l’état bourgeois italien. On construit une petite armée qui va s’attaquer à la grande armée....

      En oubliant le Che et Mao, qui, précisément se battaient, non pas pour plastiquer les centres de la bourgeoisie à 20 ou 30 (ce fut fait et en échecs pour la tentative d’avant la révolution cubaine, pour la tentative d’avant la révolution sandiniste, pour la tentative de Chavez du temps où il fut un putschiste , ....), mais pour gagner au concret des masses dans cette bataille de défense, de créations de zones libérées, etc).

      Les masses sont sensées s’esbaudir devant le fer de lance du prolétariat... Ben c’est pas comme ça que ça se passe.

      C’est la ligne politique qui était en cause, le reste est engrenage. La bande à Baader, Action Directe en France n’ont pas eu besoin d’être infiltrés, les conneries ils les ont fait comme des grands.