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"Mohamed, arrêté à quatorze ans, victime de 10 tentatives de suicide en six ans"

Publie le vendredi 28 mars 2008 par Open-Publishing

de Hassane Zerrouky

DROITS DE L’HOMME . L’enquêteur britannique Christopher Chang, de passage à Paris à l’invitation d’Amnesty International, dénonce les conditions de détention et les tortures dans le camp de Guantanamo.

Dans le camp de Guantanamo, les conditions de détention des prisonniers ne se sont pas améliorées, affirme à l’Humanité, Christopher Chang. L’enquêteur de l’organisation britannique Reprieve était invité par Amnesty international France pour informer de la situation d’une centaine de prisonniers libérables sur les 300 encore en détention mais qui ne trouvent pas de pays d’accueil (1).

Dans le camp, l’unité spéciale « Extreme Reaction Force », chargée de faire régner la discipline, continue à bastonner et à maltraiter les détenus. « Nos collègues avocats américains - seuls ceux de nationalité américaine sont autorisés à se rendre à Guantanamo - les visitent régulièrement et ont constaté que rien n’a changé », assure-t-il. C’est le cas du jeune Tchadien Mohamed Al Guarani, livré par les Pakistanais après son arrestation à Peshawar en 2002, alors qu’il n’avait que quatorze ans. Aujourd’hui âgé de vingt et un ans, ce jeune a été régulièrement torturé, battu, brûlé à la cigarette par cette unité spéciale. Pas plus tard qu’il y a une dizaine de jours, il a de nouveau été frappé alors qu’il est libérable et en attente d’un pays d’accueil. On n’a pourtant rien à lui reprocher. Mohamed Al Guarani a fait dix tentatives de suicide en l’espace de six ans. « Il est dans une situation psychologique très difficile », observe Christopher Chang, pour qui le jeune homme n’a jamais été un djihadiste. « Il a été vendu, comme beaucoup d’autres, aux forces américaines par les Pakistanais, comme le confirme le président Pervez Moucharraf dans son dernier livre. » Toujours selon l’enquêteur britannique, le Tchad avait accepté de l’accueillir. Christopher Chang, qui s’y était rendu, a reçu des assurances du gouvernement tchadien. Mieux, l’été dernier la tribu dont est originaire, Al Guarani, s’est dite prête à l. Comme la situation a empiré dans ce pays - affrontements avec les rebelles -, le cas du jeune Mohamed est passé au second plan. Depuis, c’est silence radio du côté des autorités tchadiennes.

Autre cas, celui de l’Algérien, Nabil Hadjarab, vingt-cinq ans. Lui aussi libérable depuis 2007 mais qui ne trouve aucun pays d’accueil. Originaire de Vénissieux, il a été placé dans une famille d’accueil à l’âge de huit ans. Récupéré par son père, ce dernier l’emmène en Algérie, qu’il quitte pour retourner en France en 1999. On perd sa trace jusqu’à son arrestation en Afghanistan. Selon l’enquêteur britannique, l’Algérie, pays dans lequel il a peu vécu, pose des conditions à son transfert. Alger affirme que l’accueil de ses 26 ressortissants détenus à Guantanamo n’est possible que s’ils en font la demande. Or ces prisonniers craignent d’être arrêtés à leur retour et sont dans l’attente d’une autre terre d’asile. Un seul, parmi ces détenus algériens, a réussi à en trouver une : l’Albanie.

Les cas les plus désespérés sont les prisonniers de nationalité yéménite. Ils sont plus d’une centaine. Non seulement ils sont originaires du même pays que la famille d’Oussama Ben Laden, mais ils sont considérés par les autorités américaines comme étant les plus dangereux pour la sécurité des États-Unis. Selon Christopher Chang, le gouvernement yéménite ne fait pas beaucoup d’efforts pour faire libérer ses ressortissants, malgré l’insistance de Reprieve et d’Amnesty International. « De manière générale, indique-t-il, les prisonniers sont dans une situation psychologique et physique très, très lourde. Il y a eu de nombreuses tentatives de suicide. »

L’enquêteur britannique et Amnesty International ont bon espoir de voir fermer le camp de Guantanamo : « Les trois candidats à la présidentielle américaine se sont engagés à le faire et nous espérons que des pays acceptent de les accueillir. Pour l’heure, seule la Grande-Bretagne a accepté d’en recevoir trois qui étaient en situation régulière sur son territoire avant d’être internés », affirme-t-il. D’après lui, tous les prisonniers qui ont été libérés ne représentent aucune menace : « Ils n’aspirent qu’à rentrer chez eux et qu’à reprendre une vie normale ». En revanche, assure-t-il, Guantanamo constitue « un symbole pour tous ceux qui appellent au djihad contre l’Amérique. Son existence nourrit le ressentiment de nombreuses personnes au Moyen-Orient et en Asie envers les États-Unis ». Et de citer le cas de l’Irlande où, selon lui, l’IRA avait vu un afflux de nouvelles recrues à la suite de l’emprisonnement de nombreux Irlandais soupçonnés de liens avec le terrorisme.

(1) Reprieve est l’une des plus importantes associations de soutien juridique des détenus de Guantanamo. Grâce à ses efforts et à ceux d’Amnesty International, plus de 500 détenus ont recouvré la liberté.

http://www.humanite.fr/2008-03-27_I...