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Assurance maladie : " Plus on fera appel aux mutuelles, plus les inégalités augmenteront "

Publie le mercredi 21 juillet 2004 par Open-Publishing

Loin de l’optimisme du ministre de la Santé, Bruno Palier, chargé de recherche du CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences-Po Paris, auteur de la Réforme des systèmes de santé (1), voit dans la réforme un énième plan.

Quelle est votre opinion sur la réforme de l’assurance maladie ?

Bruno Palier Contrairement à ce que dit Philippe Douste-Blazy, il s’agit d’un plan traditionnel de sauvetage de la Sécu, dans la mesure où cela consiste principalement à augmenter les recettes avec la hausse de la CSG pour les retraités, la hausse déguisée pour l’ensemble des salariés, la hausse du forfait hospitalier, le prolongement de la CRDS, la baisse du remboursement de un euro. Annuellement, depuis 1975, les gouvernements mettent en place ce type de plan pour boucher le trou de la Sécu. Cette mesure va permettre au gouvernement de tenir ses promesses pour le déficit public. Cependant, il est vrai qu’il y a des innovations dans ce plan qui cherchent à améliorer le fonctionnement du système de soins. La mesure qui incite à consulter de préférence un médecin traitant et le dossier médical personnel sont des mesures susceptibles d’améliorer la coordination des soins. Mais s’il y a des bonnes intentions, il existe aussi de graves risques de dévoiement. Philippe Douste-Blazy utilise le médecin de référence pour laisser libre cours aux honoraires libres pour les spécialistes. On punit les gens qui ne suivent pas le bon modèle et on récompense les spécialistes si les gens ne suivent pas le bon modèle. Au niveau de l’efficacité financière, il n’y a que 15 milliards qui sont assurés, le reste est dépendant du comportement des patients et des médecins. Or, aucun engagement et aucune sanction ne sont prévus vis-à-vis des médecins car le gouvernement ne veut pas se les aliéner. La réforme favorise la culpabilisation du patient.

Pensez-vous que l’assurance maladie et les retraites se placent dans une même logique de réformes ? Et s’inscrivent-elles dans une volonté internationale ?

Bruno Palier Cette logique vise à transférer une partie des dépenses sociales, autrefois publiques, vers le privé. Dans ce contexte, le privé, c’est soit la poche des individus soit les assureurs privés : les mutuelles pour l’assurance maladie ou des gestionnaires de fonds de pension pour les retraites. Il s’agit du même processus de vases communicants avec une couverture qui se détériore dans le domaine public. C’est une tendance cohérente avec l’orthodoxie économique actuelle qui ne veut pas limiter les dépenses sociales générales mais publiques. En France, au lieu de garder la Sécu dans le domaine public et de restreindre les libertés, le gouvernement préfère garder les libertés en faisant appel au privé. Les conséquences sociales vont être fortes. Au niveau international, il existe deux autres grands modèles de systèmes de santé. Aux États-Unis, les assurances privées dominent le système de santé : les coûts sont beaucoup plus élevés et les inégalités sont accrues. En matière de santé, le privé augmente les coûts. En Suède, le système est organisé par l’État de manière solidaire, mais il y a des files d’attente, et les libertés des patients sont un peu plus limitées. En France, les individus sont très attachés à la liberté du choix des modes de consultations : généralistes, spécialistes, hôpitaux. La question est de savoir si on veut la garder. Or, le gouvernement explique qu’il n’est plus possible de tout payer collectivement et qu’il est indispensable de faire appel au privé. Plus il y aura de domaines couverts par les assureurs et les mutuelles privés, plus les inégalités augmenteront.

Entretien réalisé par Christelle Chabaud

(1) Presses universitaires de France, mars 2004.

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-07-21/2004-07-21-397622