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L’ALGÉRIE ET L’UNION POUR LA MÉDITERRANÉE (UPM) : De quelques sujets sensibles

Publie le mardi 23 juin 2009 par Open-Publishing

L’Algérie ne veut pas servir de 1er poste frontière européen en Afrique pour endiguer les flux migratoires en provenance des pays du Sahel

Il existe des hypothèques relativement lourdes à la poursuite du dialogue euro-médierranéen.

Le processus de Barcelone issu de la Conférence de novembre 1995 est entré assez rapidement en panne. La France a pris en juillet 2008 une initiative pour en assurer la reviviscence sous la forme de la création de l’Union pour la Méditerranée (UPM). Celle-ci rassemble aujourd’hui 44 pays membres dont 27 de l’UE et 17 du sud et de l’est de la Méditerranée (Psem).
Contrairement aux idées reçues, ce projet n’a pas pour seule finalité la gestion des flux migratoires mais ambitionne aussi le traitement de questions qui intéressent de très près l’Algérie : protection du littoral, dépollution de la Méditerranée, développement de l’énergie solaire, prévention des catastrophes naturelles, autoroutes de la terre et de la mer, échanges entre sociétés civiles et approfondissement du dialogue politique officiel.
Les lignes qui suivent se contentent modestement de mettre le doigt sur un certain nombre de sujets sensibles comme la délivrance des visas, la prévention des migrations irrégulières et la participation des ONG algériennes au dialogue euro méditerranéen.

La délivrance des visas
Il s’agit d’un sujet délicat. Nombre de pays européens sérieusement confrontés à la crise économique qui a détruit des millions d’emplois depuis 2008, mettent en avant pour justifier les difficultés d’accès à leur territoire, aussi bien les impératifs de sécurité que l’impossibilité pour eux de garantir l’intégration sociale, économique et culturelle des migrants en provenance des Psem. Depuis l’adoption du Traité d’Amsterdam, l’Union européenne (UE) est parvenue à unifier sa politique d’immigration tout en poursuivant un dialogue permanent avec les Psem, en vue d’obtenir leur coopération pour la rationalisation des flux migratoires. Mais, d’un autre côté, le projet UPM serait vidé de sa substance si le principe de la liberté de circulation des personnes entre les deux rives devait être constamment malmené. Il semble cependant qu’une solution soit en vue qui consisterait à ériger un guichet unique centralisant, en relation avec les consulats nationaux européens compétents, les demandes de visas.
On peut estimer qu’à l’instar des autres Psem signataires avec l’UE d’un accord d’association, l’Algérie soit privilégiée de ce chef. Pour assurer le succès de cette nouvelle procédure, il appartiendra aux organismes employeurs ou aux ordres professionnels de se porter garants de l’exactitude des renseignements fournis par les demandeurs. Ce visa serait d’une durée de cinq ans, avec des plafonds de séjour, par trimestre ou par semestre.
Ce faisant, les consulats nationaux verraient leur tâche sensiblement allégée et pourraient se consacrer à l’examen circonstancié des dossiers litigieux émanant de demandeurs qui ne sont pas considérés comme des acteurs du partenariat euroméditerranéen. A l’inverse, il appartient à l’Algérie de se montrer plus généreuse dans l’octroi de visas de longue durée pour les ressortissants européens qui se rendent, pour la quasi-totalité d’entre eux en Algérie pour des raisons professionnelles et accessoirement comme touristes. Il serait paradoxal, en tout cas, que l’Algérie exprime le besoin de recourir à l’expertise européenne pour son propre développement et alourdisse les procédures de délivrance des visas aux ressortissants de l’UE.
Ceci dit, il est légitime que l’UE veuille lier la politique des visas à l’intensification de la lutte contre le grand banditisme et la criminalité organisée qui ont beaucoup prospéré ces dernières années, souvent en liaison étroite avec les filières de l’immigration clandestine. L’Algérie tout comme le Maroc sont même suspectés d’une certaine complaisance à l’égard de tous ces réseaux. Il revient aux responsables algériens de répondre à ce grief. Ce que l’on peut dire, à ce stade, c’est que nos services de sécurité font le maximum pour prévenir la traversée clandestine de la Méditerranée à partir des eaux territoriales algériennes. Il n’est pas facile de contrôler un territoire de 2.380.000 km², ayant des frontières communes avec sept Etats et qui possède 1200 km de côtes. Ceci dit, l’Algérie compte mobiliser davantage de moyens humains et matériels pour combattre le crime organisé et renforcer sa coopération avec les Etats européens, de sorte à mettre hors d’état de nuire des réseaux mafieux qui portent gravement préjudice à la qualité des relations algéro-européennes et empêchent celles-ci d’atteindre un niveau supérieur de leur développement.

La prévention des migrations irrégulières
L’Algérie considère qu’elle n’a pas vocation à jouer le rôle de gendarme de l’UE au coeur de l’Afrique subsaharienne et ne veut pas davantage servir de 1er poste frontière européen en Afrique pour endiguer les flux migratoires en provenance désormais du Nigeria, du Burkina, de la Côte-d’Ivoire, du Libéria, de la Centrafrique, du Soudan et même de l’Angola.
En d’autres termes, le gouvernement algérien ne fera pas chorus au colonel El Gueddafi qui semble avoir accepté de séparer, au sein des migrations africaines de passage en Libye, le bon grain de l’ivraie pour le compte de l’Europe du Sud, en tout cas certainement pour celui de l’Italie. Doit-on approuver la position algérienne ? Le débat est en réalité très complexe. A l’évidence, un pays qui ne peut pas retenir ses propres ressortissants, prêts à gagner au péril de leur vie l’autre rive de la Méditerranée, n’est guère en mesure d’accueillir la misère de l’Afrique noire de l’Ouest ou celle du Centre, non point évidemment pour l’intégrer mais seulement pour sélectionner, le cas échéant, celle qui serait utile aux employeurs européens. Mais il convient de rappeler la position de l’Algérie, à propos des migrations. Notre pays a ratifié le 22 décembre 2004 avec réserves la Convention du 18 décembre 1990, entrée en vigueur le 1er juillet 2003 sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. Un certain nombre d’obligations incombent à l’Algérie au titre de cette convention, comme par exemple le droit à l’égalité des migrants en matière de traitement juridique, l’accès égal aux services sociaux et éducatifs, le droit à la liberté d’opinion, d’expression et de religion, des conditions de vie et de travail décentes qui excluent tout traitement dégradant et humiliant. Il est difficile de faire le bilan de l’application de cette convention, moins de cinq ans après son entrée en vigueur en Algérie. Cette convention renferme beaucoup plus d’obligations de moyens que d’obligations de résultats, car son application effective est subordonnée aux capacités objectives de l’Etat d’accueil de satisfaire aux droits des migrants et de leurs familles.
L’Algérie invoque systématiquement la dégradation de la situation sécuritaire aux frontières du Mali, du fait de la menace d’Al Qaîda au Maghreb islamique (Aqmi), du développement exponentiel du trafic de drogue et d’armements et de la montée de la criminalisation de l’économie aux frontières avec la Tunisie (via la ville de Tébessa), la Libye (via la ville de Deb Deb), le Mali et le Niger. La position algérienne consiste également à réaffirmer que faisant face à un chômage endémique dans les wilayate du Sud, elle ne peut offrir d’emplois aux citoyens de l’Afrique subsaharienne, encore moins leur garantir le logement, la santé et la scolarité pour leurs enfants. Pour le moment, l’Algérie entend adopter une attitude d’extrême fermeté à l’égard des migrations irrégulières (V. la loi du 25 juin 2008 relative aux conditions d’entrée, de séjour et de circulation des étrangers en Algérie). Et les pouvoirs publics ne peuvent pas donner application aux dispositions de la Convention du 18 décembre 1990, alors que les Algériens eux-mêmes qui vivent loin des centres urbains ne peuvent exercer leur droit au travail, au logement, à la santé et à la scolarité pour leurs enfants. Ceci dit, notre pays continue de faire grief aux pays membres de l’UE de ne pas avoir ratifié la Convention précitée et s’inquiète, ce faisant, du sort des milliers d’Algériens qui se portent candidats à l’émigration chaque année dans un des pays de l’Europe. Et encore tout récemment, certains responsables algériens se sont émus, suite au rapport de la Fidh, que l’assistance apportée par des ressortissants français aux migrants supposés clandestins ait été érigée en délit pénal. Quoi qu’il en soit, l’Algérie serait disposée à reconsidérer sa perception des flux migratoires à deux conditions : a- la ratification par les Etats de l’UE de la Convention sur les droits des travailleurs migrants ; b- la définition d’une stratégie de codéveloppement en direction des pays de l’Afrique subsaharienne, de sorte que leurs ressortissants soient incités à se fixer dans leur pays d’origine. Toutefois, on ne peut se dissimuler que cette double exigence risque de renvoyer aux calendes grecques la mise en place du volet relatif à la circulation des personnes dans l’espace euroméditerranéen. Il est peu probable que les pays européens soient disposés à ratifier cette convention. Quant à la mise en place d’une politique ambitieuse de codéveloppement devant bénéficier à des centaines de millions de citoyens africains, elle requiert moyens financiers colossaux et volonté politique de tous les acteurs dont les élites dirigeantes africaines, invitées à accomplir un aggiornamento qui constituera un véritable crève-coeur pour la plupart d’entre elles.

Le dialogue politique
L’UE insiste beaucoup pour que le dialogue euro-méditerranéen ne se borne pas à un face-à-face entre les représentants officiels des Etats en présence. Tous ceux qui apportent leur contribution au développement du partenariat (entreprises, syndicats, corporations, ordres professionnels, associations, etc.) doivent être admis au débat dans la mesure où ils viennent l’enrichir, le développer et lui conférer l’aspect pratique qui lui fait parfois défaut. En Algérie, une loi devrait être adoptée dans quelques mois qui viendra préciser les droits et obligations des associations. Les pouvoirs publics ont été amenés, devant la dérive de nombre d’associations, à imposer le respect de règles strictes, notamment en ce qui concerne l’attribution de dons, legs et subventions aux ONG. Il faut souhaiter que le gouvernement ne restreigne pas le principe de la liberté d’association mais contraigne les dirigeants d’ONG (ce qui est demandé par toutes celles qui agissent dans la légalité) à un minimum de transparence dans leur gestion administrative et financière. Il est certain que la qualité et la représentativité des ONG algériennes sont essentielles pour l’impulsion du partenariat euro-méditerranéen. Il s’agit surtout d’appeler à la création de sociétés savantes qui interviendraient dans des domaines très ciblés : protection du littoral, protection de l’environnement, développement de l’énergie solaire, développement de l’économie du savoir et de la connaissance, aux fins d’établir un diagnostic rigoureux voire exhaustif de l’état des lieux et de mettre leur expertise au service des gouvernements des Etats membres. Le gouvernement algérien a autant besoin de l’expertise du Cnes que celle des ONG qui sont réellement impliquées dans le dialogue euro-méditerranéen et qui peuvent d’ores et déjà se prévaloir d’avancées notables dans l’identification des problèmes à résoudre.
On voit bien qu’il existe des hypothèques relativement lourdes à la poursuite du dialogue euro-médierranéen. Pour les lever, il faudra certainement dissiper quelques malentendus, dépasser les clivages politiques contingents mais surtout imaginer un plan très ambitieux de rénovation de la Méditerranée qui postule un engagement ferme et définitif de l’ensemble des protagonistes.

Ali MEBROUKINE, Enseignant universitaire