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Le pari du Sahara Occidental indépendant

Publie le dimanche 22 novembre 2009 par Open-Publishing

Cette lettre est dite fictive, écrite par un Marocain.
L’est elle vraiment ?

« Tu me demandes si je choisirais de vivre dans un Etat-nation sahraoui indépendant si le choix m’en était donné. En vérité, je suis partagé. Contrairement à certains de mes amis Sahraouis, je ne suis pas convaincu que l’indépendance soit le seul chemin possible vers mon épanouissement et celui des miens. Eux pensent que l’indépendance est la seule voie possible pour que nos droits collectifs et individuels soient garantis.

Dans l’absolu, ils ne me convainquent pas. Toutefois, je ne te cache pas que, récemment, je me suis mis à réfléchir à cette idée d’indépendance plus sérieusement, à ce que cela signifierait pour nous. Mais avant de te dire ce que j’en pense aujourd’hui, permets-moi de te raconter le cheminement de mon opinion.

En septembre 1999, j’avais 20 ans. Mon éveil politique date de cette année et plus précisément de ces manifestations que la police de Driss Basri a durement réprimées. J’étais parmi ceux qui étaient descendus dans la rue pour dire leur ras-le-bol quant à la façon dont le Pouvoir central gérait notre région. Nous avions soif de respect et de bonne gouvernance. On en avait marre de cette politique qui consistait à engraisser nos chioukhs et à tabasser et emprisonner nos jeunes.

Ces soi-disant leaders originaires du Sahara qui se retrouvaient ministres, gouverneurs pleins aux as à se prélasser dans leurs villas du quartier Souissi à Rabat et qui venaient faire les beaux chez nous. On pensait qu’avec la mort de Hassan II, le Maroc avait changé d’époque. Ce jeune roi apportait un air de fraîcheur. On le disait proche de cette société civile devant laquelle j’étais admiratif. La volonté de ce nouveau roi de mettre le Maroc, de nous mettre, sur les rails de la démocratie semblait au-dessus de tout soupçon. Et puis, franchement, à l’époque, dans nos têtes, l’alternative à la souveraineté marocaine c’était Mohamed Abdelaziz et le Polisario. Dans ma tête, il n’y avait pas photo.

Bien sûr, les anciens nous parlaient du mythique Brahim El Ouali. Un El Ouali Mustapha Sayid qui était pour la marocanité du Sahara avant de changer d’avis sous la répression de l’aile dure du régime. Ils nous disaient aussi que Abdelaziz n’était qu’un dirigeant parmi d’autres. Qu’il y avait des pointures au Polisario autrement plus épaisses intellectuellement, plus charismatiques. Bon, moi ce que je voyais, c’était une organisation qui, certes, comprenait des Sahraouis de bonne foi, mais qui était tout de même à la botte de la sécurité algérienne. Je ne me voyais pas dans un Etat dirigé pas ces gens. Echanger la monarchie marocaine pour des agents de l’armée algérienne ? Non, merci. Surtout avec le prometteur Mohammed VI de l’autre côté. Comme tu vois, j’y ai cru. Même mes potes indépendantistes se sont calmés. Et puis le temps a passé sans que rien ne change vraiment. En fait, une nouvelle génération indépendantiste a vu le jour. Une génération plus séduisante, plus démocrate.

La Haïdar par exemple. Elle est bluffante, celle-là. T’as vu que certains l’appelaient la Ghandi sahraouie ? Tu te rends compte. La savoir tabassée et maltraitée par la police, ça m’a foutu un coup. Ce n’est pas une terroriste, tout de même. Et même un terroriste a des droits. Je n’étais pas tout le temps d’accord avec elle au début. Mais vu ce qu’ils lui ont fait, à elle et à ses amis, je me pose des questions. Tu te rends compte qu’ils ont été jusqu’à muter aux quatre coins du Maroc des enseignants, militants de la gauche radicale et membres du Forum vérité et justice sous prétexte de leurs activités politiques. Pire, ils les ont virés du Forum. Ça, ça m’a fait réfléchir. Moi, je trouvais que les organisations comme le Forum étaient ce qui rendait ce nouveau règne intéressant. Pour moi, leur existence et leur libre fonctionnement me permettaient de croire en un Maroc démocratique. Les Haïdar et compagnie m’ont fait réfléchir car ce ne sont pas des jouets du Polisario. Du moins, je ne le crois pas.

Je me dis que lorsqu’on regarde les expériences récentes de processus d’indépendance sous l’égide de l’ONU, le résultat n’est pas mal. Il y a des problèmes, bien sûr, mais ce sont des démocraties. Et là, j’espère que mes futurs concitoyens auront l’intelligence de ne pas voter pour le père Abdelaziz. Peut-être un de ces jeunes qui subissent aujourd’hui les foudres du régime marocain. Pourquoi pas Aminatou ? ça n’aurait pas de la gueule ? Première présidente élue d’un pays arabo-musulman. Et puis quoi ?

On sera 300 000 citoyens avec des richesses halieutiques, des phosphates, des sites touristiques de toute beauté, probablement du pétrole. Je n’ai pas fait le calcul mais on ne sera pas dans le besoin, non ? Juste pour faire bonne mesure, on permettra aux Etats-Unis d’installer une base militaire. Pas du genre Guantanamo quand même. Mais bon, de quoi leur permettre de combattre cette Al Qaïda du Sahel qui les inquiète tant. Nous deviendrons nous aussi un allié stratégique des USA. Alors oui, je me pose des questions. J’avais vraiment rêvé d’un Maroc uni mais démocratique. Avec cette justice aux ordres, ces hommes d’affaires du Pouvoir qui s’accaparent les meilleures opportunités économiques, ces libertés qu’on bafoue, je me pose des questions.

Mais, tu vois, je viens d’avoir un fils et tout d’un coup ce n’est plus de moi que je me soucie mais de ce petit être et de ce que je lui laisserai en héritage. Je veux qu’il vive dans la dignité. Je veux qu’il vive dans un monde, un pays où il puisse rêver et réaliser ses rêves. Moi qui avait espéré que le Maroc serait ce pays-là, aujourd’hui, j’ai des doutes ».

Source : Aboubakr Jamaï, le journal.