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Le financement de la dette souveraine des USA : du Bernard Madoff ?

Publie le mardi 1er décembre 2009 par Open-Publishing

Un article exceptionnel :

Le financement de la dette souveraine des USA : du Bernard Madoff ?

Le financement de la dette de marché des USA n’a jusqu’à nouvel ordre pas suscité d’inquiétude majeure, à l’exception de trois émissions difficiles au printemps 2009 dont nous nous sommes fait l’écho. Dans un post antérieur, nous avions examiné le financement de la dette de marché des USA durant les années précédant la crise. La crise étant là, il nous paraît intéressant d’examiner plus précisément qui finance la dette de marché des USA depuis le début de 2008. Pour ce faire, nous avons pris les comptes financiers des Etats-Unis publiés annuellement et trimestriellement par la Banque Fédérale des USA. Ils sont connus sous le nom de Flow of Funds Accounts Z.1. Nous en extrayons les données relatives aux bons du Trésor.
Les données trimestrielles sont exprimées en Rythme annuel, leur valeur trimestrielle doit donc être à chaque fois divisée par trois.
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Les chiffres réunis constituent les achats nets, ils mesurent les ventes et les achats de bons du Trésor par grande catégorie d’acheteur.

L’examen des soutiens au financement de la dette de marché des USA depuis 2008 sont révélateurs d’une situation problématique. Nous écarterons assez rapidement les soutiens étrangers. Ils représentent une part considérable du financement de la dette de marché des USA, proche des 50 % Nous les avons suivis depuis le début de la crise, nous renvoyons à notre contribution récente sur le financement de la dette de marché des USA.

On peut encore rapidement traiter des financements négligeables. Les ventes et achats de titres des entreprises privées (Noncorporate et Corporate business) constituent un volume modeste, il en va de même des fonds de réserve des administrations subfédérale placés en bons du Trésor. Achats et cessions s’équilibrent. Les titres de dette du Trésor dont ont fait commerce les GSE (Entreprises soutenues par l’Etat) et les ABS (Emetteur de produits de titrisation) sont eux aussi marginaux.

Le soutien au Trésor se concentre de fait sur quelques grands acheteurs.

On y trouve d’abord les ménages dont les pertes financières se sont accompagnées d’une fuite vers la « qualité ». Les émissions du Trésor ont profité de cet intérêt pour les placements solides - et mal rémunérés - du Trésor américain.

Le secteur financier à joué un rôle plus modeste.

Les Banques commerciale, Caisses d’épargne et Union de Crédit ne jouent un rôle positif dans le financement de la dette que depuis 2009. Cessions et achats d’actifs se sont en effet grossièrement équilibrés en 2008.

Il n’en va pas de même pour les sociétés d’assurance et fonds de pensions dont la contribution, toujours modeste, a été en continu positive.

On notera enfin le rôle éminent des fonds de gestions mutuels qui ont joué un rôle éminent en 2008 avant de se désengager des placements en titres publics de dette en 2009.

Ces remarques techniques faites, nous pouvons entrer dans le vif du sujet. Deux éléments sont troublants : la place des autorités monétaires dans les achats de titres et celle des brokers & dealers.

Par autorités monétaires, il faut entendre la Réserve Fédérale. Il est normal que la Réserve fédérale ait vendu des titres en 2008 pour fournir des liquidités au marché. Il est intéressant de noter qu’en vendant des titres de dette en T1 et T-2 2008, elle a anticipé la crise de l’automne 2008. En revanche, il faut s’interroger sur les achats de bons du Trésor des T1 et T-2 2009. Il semble bien qu’en achetant des bons du Trésor nouvellement émis, la Reserve fédérale en ait facilité l’émission et garanti la valeur et les intérêts modiques. La politique d’achat de titre nouvellement émis a été contemporaine de rachats de bons du trésor à hauteur de 300 Md de $ en mars 2009.
C’est une politique qui montre que les incidents sur les émissions des bons du Trésor du printemps 2009 ont été beaucoup plus sérieux que ne le laissent entendre les couvertures des emprunts toujours abondantes.

La politique américaine de consolidation de la dette s’est accompagnée d’une politique publique de soutien discret aux émissions qui laisse rêveur. C’est l’expression d’une perte de confiance des pouvoirs publics dans la capacité des investisseurs américains à avoir confiance dans la dette souveraine des USA. Il est paradoxal que ce doute vise plus les américains que les investisseurs étrangers qui répondent toujours présents.

Nos interrogations sont accrues par le rôle non-négligeable des Brokers & Dealers dans le financement de la dette fédérale. Ces vendeurs de titres et de contrats divers – constituant des entreprises parfois de grosse taille - ont joué un rôle considérable dans le financement de la dette de marché des USA au plus fort de la crise financière (T-3 et T-4 2008). Ils ont aussi eu un rôle très positif au T-3 2009 après le petit trou d’air du T-2 2009.

Ce ne sont pas les achats de bons du Trésor des Brokers and dealers qui nous intéressent, ce sont les sources de leur financement qui restent à examiner. D’ou vient l’argent ayant permis d’acheter de la dette d’Etat. On peut le découvrir en FRB-FFA F.129 Security brokers & dealers, Net increase in liabilities, Ligne 16 à ligne 29, ces lignes dressent le bilan des financements des Brokers & dealers, financement qui apparaît à leur passif (liabilities).

On y découvre alors à la ligne 19 que les Brokers & dealers, enregistrant des pertes abyssales au T-3 2008 (793 md de $ en ryhtme annuel), ont été financés par des fonds mis en place par les pouvoirs publics au moment de la crise de 2008. Ces fonds sont constitués par Federal Reserve Primary Dealers Credit Facility (PDCF) et les Asset Backed Commercial Paper Money Market Mutual Fund Liquidity facility (AMLF) dont la contrepartie est de la dette pourrie constituée par des obligations de titrisation (le plus souvent immobilières) prises en pension…par la Réserve Federale. A combien se montent les prêts aux Brokers & dealers : 617 Md de $ en T-4 2008, 100 Md en T1 2009, 61 Md en T-2 2009. La Reserve fédérale en prêtant massivement aux brokers and dealers a ainsi permis au Trésor de continuer à se financer par leurs soins.

Les pratiques de financement direct du Trésor par la Réserve Fédérale se retrouvent donc dans les aides apportées par la Réserve Fédérale au Brokers & dealers, cette pratique affecte deux des quatre grand piliers du financement de la dette publique des USA.

C’est le signe que le Trésor des USA n’est plus en état depuis le début de la crise de faire preuve d’une confiance sans faille dans les investisseurs américains. En achetant les titres du Trésor ou en apportant de l’argent aux Brokers & dealers, la Réserve Fédérale à fait du simili Madoff. Les pouvoirs publics se sont prêtés à eux-mêmes en laissant croire que le marché était le grand opérateur et que la confiance était inentamée.

Nous ne voulons pas jouer les Cassandre : dans nos post antérieurs, nous avons toujours soutenu que les capacités d’emprunt du Trésor américain étaient impressionnantes. L’examen plus serré des données montre que ses capacités d’emprunts – qui restent considérables - ont été soutenues en sous-main, et de manière régulière, par la Réserve Féderale. Il est probable que sans ces interventions, la dégradation des capacité d’emprunt du Trésor au printemps 2009 aurait eu des effets autrement plus graves.

On est aussi en droit de se demander si les opérations de la Réserve Fédérale - directes et indirectes - sur les ventes des bons du Trésor n’ont pas faussé l’expression de la politique financière des USA. La sincérité du marché a été très probablement forcée par des coups de pouce de l’administration américaine en accord avec la Réserve fédérale.

En ce sens, il y aurait quelque chose de pourri dans la politique des finances publiques américaines. De telles interventions ont eu l’avantage d’entretenir des illusions sur la qualité de la dette souveraine des USA, illusions d’autant plus tenaces que leur disparition scellerait la faillite de la globalisation financière et des acteurs privés et publics qui en profitent.

A un moment où la croissance ne repart pas, cette politique de soutien artificiel des émissions de dette publique, couplée à une croissance non-moins artificiellement soutenue, fait fortement douter de la sortie de crise. Elle fait planer un doute très lourd sur les relations occultes entre le Trésor, la Réserve Fédérale et le marché financier.

Si nos doutes sont justifiés, la formation d’une bulle de bons du Trésor - incontestable à cette heure - apparaît être le produit d’une intervention publique trompeuse et manipulatrice qui en a garanti le gonflement par des interventions ponctuelles. Un processus similaire a déjà abouti à l’éclatement de la bulle immobilière après 40 années d’intervention publique soutenant artificiellement la montée des prix immobiliers. Un retournement du marché des bons du Trésor n’est donc pas à écarter. Et dans ce cas, l’économie mondiale s’effondrerait vu l’importance de la dette fédérale de marché pour les investisseurs publics et privés, résidents et non-résidents aux USA. Nous tenterons par des recherches complémentaire de tirer au clair tout cela : une chose est d’ores et déjà sure, la politique financière des USA doit être tenue en suspicion.

Ps. Rien n’interdit à la Federal Reserve de publier des comptes transparents. Pour avoir une petite idée de l’opacité des opérations de la FRB, je renvoie à

http://criseusa.blog.lemonde.fr/2009/11/30/le-financement-de-la-dette-souveraine-des-usa-du-bernard-madoff/