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Jusqu’où iront ils à exécuter des ordres révoltants et imbéciles ? l’expérience de Milgram en vidéo

Publie le mardi 8 décembre 2009 par Open-Publishing
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  • Une autre approche, plus axée sur les déterminismes sociaux est présentée dans l’ouvrage de Christopher Browning intitulé "Des hommes ordinaires". Dans son étude l’historien allemand a analysé les trajectoires de ces hommes ordinaires devenus des bourreaux ordinaires.
    C’est en utilisant les archives de procès et d’enquêtes judiciaires menées de 1962 à 1972 en République fédérale allemande à l’encontre de réservistes du 101e bataillon de la police, et particulièrement les témoignages de 210 de ces anciens soldats, près de la moitié des hommes de cette unité, que Christopher R. Browning a pu écrire ce livre. Il relate comment, dans la Pologne occupée, ils ont assassiné d’une balle dans la tête 38 000 juifs et en ont arrêtés 45 000, immédiatement déportés, puis gazés à Treblinka. Le récit précis, détaillé, des massacres et rafles commis par ces hommes est bien sûr pénible, pesant, mais se révèle indispensable pour mettre en perspective leurs personnalités.

    Ils ne sont point des spécialistes, membres d’unités mobiles de la SS, les Einsatzgruppen, mais des hommes ordinaires, pour beaucoup quadragénaires, pères de famille, réservistes rappelés dans un corps chargé du « maintien de l’ordre » du fait de leur probable incapacité sur un champ de bataille. Cette recherche nous permet de comprendre comment ces hommes on pu perpétrer ces crimes. Originaires pour la plupart de Hambourg, ville assez hostile aux nazis, ils provenaient de milieux relativement peu perméables à l’idéologie du Troisième Reich. Ainsi, pour 63 % d’ouvriers (mais très peu d’ouvriers professionnels), 35 % d’employés ( « petits-bourgeois »), seuls 2 % « exerçaient une profession relevant de la classe moyenne, et à un niveau très modeste, comme pharmacien et instituteur ».

    Éloignés donc de l’image du tueur raciste fanatisé dès son enfance, puisqu’ils ont vécu la plus grande partie de leur âge adulte dans l’Allemagne de Weimar, ils eurent par surcroît la possibilité, mentionnée par leurs officiers, de se soustraire aux assassinats dont ils étaient chargés. Seuls 10 à 20 % ne participèrent pas aux massacres, et les raisons qu’ils avancent sont significatives : peur d’apparaître comme lâches, de « perdre la face ». Devant les enquêteurs, vingt à trente ans plus tard, les policiers tentaient des explications plus élaborées, tel un serrurier qui avait alors trente-cinq ans : « Je me suis efforcé, et j’ai pu le faire, de tirer seulement sur les enfants. Il se trouve que les mères tenaient leurs enfants par la main. Alors, mon voisin abattait la mère et moi l’enfant qui lui appartenait, car je me disais qu’après tout l’enfant ne pouvait pas survivre sans sa mère. C’était pour ainsi dire une manière d’apaiser ma conscience que de délivrer ces enfants incapables de vivre sans leur mère ». Ainsi que l’explique un des réfractaires : « Pour ce type d’action, les officiers prenaient des “hommes” avec eux, et à leurs yeux, je n’étais pas un “homme” ». Christopher R. Browning aborde à nouveau ces discours dans sa conclusion : « Insidieusement donc, la plupart de ceux qui n’ont pas tiré n’ont fait que réaffirmer les valeurs “machistes” de la majorité, selon lesquelles c’était une qualité que d’être assez “dur” pour tuer des civils non armés, des femmes et des enfants ».