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HOMMAGE À LA MÉMOIRE DU PROFESSEUR OUABDESSELAM : Leçons aux générations futures

Publie le jeudi 24 décembre 2009 par Open-Publishing

« Les lions ne meurent pas ! Ils disparaissent ! »
Proverbe berbère

Lundi 14h, les élèves du professeur Abdelaziz Ouabdesselam, dans un amphithéâtre bondé, se sont donnés rendez-vous pour communier, pour témoigner, pour faire part de leur reconnaissance au Maître qui, pendant 70 ans de sa vie, a servi la science, dont une cinquante d’années depuis l’indépendance de l’Algérie dans ce qu’elle a de plus précieux : la formation des hommes, seule ressource pérenne quand la rente ne sera plus là pour couvrir nos errances. Le grand amphithéâtre de l’Ecole fut baptisé du nom du professeur Ouabdesselam. L’organisation fut parfaite, et cela fut un bonheur de travailler en parfaite synergie avec les Anciens, l’Adep, la direction et les collègues pour la réussite de cette manifestation

Le professeur Abdelaziz Ouabdesselam fut véritablement la cheville ouvrière de l’implantation de la technologie dans le pays. Que l’on se rende compte de l’état d’esprit qui prévalait en septembre 1962. Une université vidée de ses enseignants français. Il fallait tout recréer pour que la rentrée se fasse. Pari tenu grâce à l’abnégation des Algériennes et Algériens, grâce au professeur Ouabdesselam nommé pro-recteur de l’Université qui eut fort à faire pour faire démarrer, coûte que coûte, les enseignements aussi bien à l’Université qu’à l’Ecole d’ingénieurs d’Alger (Enia) devenue en 1966 Ecole nationale polytechnique.

Que représente l’Ecole polytechnique ? C’est avant tout près de 10.000 ingénieurs formés, un millier de magisters, une centaine de thèses de doctorat. Pendant une cinquantaine d’années, le professeur Ouabdesselam a été de tous les combats de l’esprit, les combats contre l’ignorance. Avec son humilité proverbiale il a marqué des générations d’Algériens qui se rappellent tous sa rigueur morale et son intransigeance en éthique. L’Ecole polytechnique fut fondatrice, avec l’ancienne faculté des sciences de l’université d’Alger, de l’Université des sciences et de la technologie (Usta), qui deviendra, après la mort du président Houari Boumediene, l’Université des sciences et de la technologie Houari-Boumediene (Usthb). A ce propos, il faut noter qu’en l’espace de 13 ans, de 1965 à 1978, elle a engrangé l’équivalent de 22 milliards de dollars. C’était l’époque bénie où chaque dollar de la rente était investi pour créer de la richesse, de dizaines d’usines, un outil de raffinage unique en Afrique, El Hadjar, les complexes de moteurs, tracteurs et surtout la création de deux universités intégrées (Alger et Constantine), confiées à l’un des plus prestigieux architecte, au monde, Oscar Niemeyer, qui continue encore, à 102 ans, à faire de belles choses. Nous avons engrangé par la suite, plus de 300 milliards de dollars. Qu’avons-nous fait de pérenne pour la science, pour la médecine ?

Former des formateurs

En 1982, la conférence de la technologie créée à l’Ecole par un arrêté du ministre de l’Enseignement supérieur, Abdelhak Brerehi a permis la mise en place de programmes mais aussi de la « Carte universitaire », véritable feuille de route pour l’essaimage de la technologie dans tout le pays. C’est donc de l’Ecole qu’est parti le « message technologique ». La présence de dizaines d’ingénieurs durant cette cérémonie, de certains responsables ou enseignants en technologie dans les universités du pays, preuve s’il en est de l’apport de l’Ecole sous la direction du regretté professeur Ouabdesselam. Quand l’Ecole redevint autonome en septembre 1983, la vision des autorités était de passer à une seconde étape, celle de la formation des formateurs par la mise en place d’un plan permettant là encore de pourvoir à l’encadrement des enseignements en technologie. Une grande partie du plus d’un millier de thèses soutenues à l’Ecole, participe à l’encadrement dans le pays. Lors de la cérémonie, les interventions de monsieur le directeur de l’Ecole et de monsieur le chef de cabinet qui eut à tracer les actions du secteur de l’enseignement supérieur, une touchante rétrospective par le professeur Ahmed Boubekeur, nous a permis de connaître, par l’image, le parcours du regretté maître. Une petite vidéo où l’on voit le professeur Ouabdesselam adresser un message d’encouragement à une manifestation scientifique, nous a profondément touchés. Il nous a été donné par la suite de situer les défis du pays et comment l’Eole pourrait contribuer à leur prise en charge.

Dans notre petite conférence « Les défis du futur », nous avons d’abord proposé des pistes de réflexion sur ce que devrait être l’enseignement supérieur. Par principe, l’université devrait permettre à chaque étudiant de progresser avec toutes ses chances, de trouver aussi la spécialité où il a le plus d’aptitudes. Tout étudiant devrait être assuré de quitter l’enseignement supérieur avec un diplôme à valeur professionnelle, il faut cependant qu’il se sente prêt à accomplir l’effort nécessaire pour cela. De plus, chacun devra pouvoir revenir vers l’université tout au long de sa carrière, après un premier diplôme, d’une part, pour valoriser en permanence ses « acquis », à son rythme, d’autre part. De nouvelles formes qui renforcent la collégialité, l’autonomie des établissements,, la transparence, le partage des responsabilités doivent être mises en place.
La fonction de tutelle se fera dans le sens d’une politique qui libère les énergies créatrices. On aboutira à des formes d’enseignement flexibles, diversifiées, mieux adaptées à la demande.

Cependant, la flexibilité et l’autonomie n’empêchent pas de rendre des comptes. L’égalité des chances devra être garantie à tous selon le mérite. C’est au diplômé de construire son futur emploi. L’université doit pouvoir former des créateurs de richesse et non des demandeurs d’emploi. Elle doit être un incubateur de start-up. Il faut cependant, que l’Etat donne les moyens à l’universitaire qui a une idée de projet d’avoir accès au crédit ainsi qu’à la possibilité d’une unité de lieu. Il faut substituer à l’économie du « container » celle des produits chimiques, des composants électroniques et mécaniques qui permettront l’innovation. « Le développement ce n’est ni le portable ni le 4x4 ». De nouveaux métiers sont à « construire ».Les spécialistes voient à terme une « artisanalisation » de l’économie. « Les individus travaillant à leur compte, ayant retrouvé la maîtrise des outils et la recherche de la qualité. » L’avenir de « l’artisanat » au sens de la petite entreprise est assuré, « à condition qu’il s’approprie les techniques modernes ».

De nouveaux champs s’ouvrent aux microentreprises, notamment dans la protection de l’environnement (recyclage des plastiques, de batteries, par exemple et tous les besoins). Nous serons donc polyvalents, dans un espace à géométrie variable. Les frontières entre disciplines scientifiques tombent déjà les unes après les autres. La biologie se marie avec la chimie. L’électronique est couplée avec la mécanique. L’informatique vient au secours de la médecine. Les sciences de l’ingénieur sont influencées par les sciences de l’homme.
Ces alliances vont se poursuivre et se multiplier. « L’entreprise aura de plus en plus besoin de gens pluricompétents ». Le professeur Ouabdesselam avait toujours milité pour une polytechnicité. Il parlait de 4x4 tout-terrain pour pointer du doigt la nécessaire adaptation (flexibilté) de l’ingénieur à son environnement

Immenses défis

Parmi les défis qui nous paraissent urgents Le monde a profondément changé, les défis du futur, nous devons les relever, c’est d’abord les changements climatiques, l’énergie, l’eau, l’environnement, mais pas seulement. L’Ecole ne doit pas s’endormir sur sa réputation, elle dispose d’un potentiel qui doit donner la mesure de son talent en proposant de nouvelles filières pour de nouveaux métiers, en ne se dispersant pas : il serait indiqué de regrouper ses forces pour être plus fort. C’est à elle de montrer par ses efforts au quotidien, par sa rigueur scientifique, que l’Etat peut et doit compter sur elle. Nulle doute qu’une vision d’avenir bien maturée et qui mobilise toute la communauté de l’Ecole ne peut être que bénéfique pour l’avenir de notre pays.

Les défis de l’énergie, de l’eau et du climat (on le voit avec le « chacun pour soi » de la débâcle du Sommet de Copenhague) sont imminents. Il nous faut les prendre en charge Des états généraux de l’énergie, de l’eau, qui concernent tout le monde (les départements ministériels, la société civile, les entreprises), devraient déboucher sur une stratégie énergétique pour les vingt prochaines années. Il nous faut d’abord dresser un état des lieux et faire un constat sans complaisance de nos réussites et échecs de nos ressources énergétiques réelles. Dans un deuxième temps, il nous faut faire des hypothèses de consommation, de démographie pour prévoir la demande à différents horizons (2030, 2050). Il nous faudra ensuite faire le point de nos ressources mobilisables dans le cadre du développement durable en faisant des hypothèses réalistes de pénétration graduelle des énergies renouvelables.

Tout ceci aboutit à un modèle énergétique dans lequel les énergies renouvelables seront le maillon fort, mais pas seulement. Ce Plan Marshall de l’énergie, de l’eau et du développement durable est plurisectoriel. C’est une feuille de route qui engage tout le monde, de l’écolier à l’universitaire, et aux citoyens en général. Interviendrait, alors, la nécessité d’intégrer tout ce que nous pouvons faire par nous-mêmes pour créer de la richesse en créant de l’emploi. « La meilleure énergie est celle que l’on ne gaspille pas », dit-on. On devrait ajouter « que pour le pays », « la meilleure énergie c’est sa jeunesse » qui devra être partie prenante de son avenir. Il vient que la mise en place d’une base technologique qui mise sur l’université qui sera, à n’en point douter, le creuset des « start-up », notamment dans le domaine de l’énergie, permettrait de donner une perspective aux milliers de diplômés. Ce combat pour l’émergence d’une formation de qualité, nous devons le mener tous ensemble.

Cette petite communication sur les défis du pays et de l’Ecole, a débouché ensuite sur quelques hommages appuyés de Monsieur Lakhdar Brahimi, qui eut le professeur comme enseignant au Lycée Tha’allybia, il en parla avec les mots du coeur et nous eûmes à apprécier l’élégance et la pertinence de son discours. A son tour, M.Mesli, ancien ministre de l’Agriculutre, a lu un message de M.Belaïd Abdeslam à la mémoire du professeur Ouabdesselam. Ce fut ensuite le recteur de l’université d’Alger, qui a tenu à rendre hommage à l’ancien recteur d’Alger. Au nom des « anciens », Monsieur Mohand-Areski Isli, de la première promotion a tenu à apporter son témoignage. Ce fut ensuite le fils du professeur Ouabdesselam,ancien élève lui-même de l’Ecole, qui nous a donné une description touchante en « dedans » et nous ne fûmes pas étonnés de savoir que l’exigence de rigueur morale valait aussi et je veux dire au sein de sa petite famille. Plusieurs témoignages et anecdotes furent aussi rapportés dans une atmosphère de convivialité et nous avons tenu aussi à associer à cet hommage, l’immense stature d’un autre géant de l’Université algérienne, disparu en 2007, le professeur Mohand Aoudhjhane sous les applaudissements nourris de l’amphithéâtre.

On dit que quand un savant meurt, c’est une bibliothèque qui brûle, je voudrais ajouter s’agissant de notre maître, c’est aussi une tradition universitaire faite d’éthique et de rigueur, qui risque de se perdre si elle n’est pas confortée au quotidien. Cet hommage à notre maître doit être pour nous l’occasion d’un nouveau départ ; d’un nouveau serment pour continuer l’oeuvre considérable accomplie par le professeur Ouabdesselam. Ayons confiance en nous-mêmes, départissons-nous avant tout, de cette soumission intellectuelle au magistère dixit qui, à bien des égards, fait de nous encore de nos jours des colonisés mentaux.

On l’aura compris, tant que le regard des gouvernants concernant l’université sera ce qu’il est, rien de pérenne ne sera construit et ce n’est pas en consommant les ressources du pays d’une façon débridée - donnant l’illusion factice que nous sommes un pays émergent- que nous irons vers l’avènement de l’intelligence, de l’autonomie. La gestion par la paresse intellectuelle est encore possible tant que nous pompons d’une façon frénétique une ressource qui appartient aux générations futures. « Demain se prépare ici et maintenant ! ». La flamme du savoir ne doit pas s’éteindre avec la disparation du professeur Ouabdesselam. Son combat a été et sera notre combat...L’Ecole polytechnique peut et doit continuer à jouer son rôle d’éclaireur des grands choix technologiques pour le pays. Elle a le potentiel, elle souhaite qu’on lui fasse confiance pour qu’elle continue à donner la pleine mesure de son talent. Pour cela et par fidélité au sacerdoce du professeur Ouabdesselam et à tout ceux qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes à ce pays, nous devons, par notre rigueur scientifique et pouvons véritablement être des acteurs de la vie de notre pays.

Fodil Boumala, le talentueux journaliste éclectique, qui eut à interviewer le professeur Ouabdesselam, en parla avec respect, mais il fit une réflexion qui mérite « réflexion ». Il a parlé de la « pulsion de mort » qui, seule, est capable de réunir les Algériens. Pourquoi, propose-t-il, ne pas y substituer la « pulsion de vie ? » En clair, pourquoi attendre la mort d’une personne pour reconnaître son apport au pays ? Cela éviterait que des sommités, dans l’absolu et non pas dans le relatif des pouvoirs conjoncturels, ne terminent dans l’anonymat le plus strict avec pour seuls fidèles celles et ceux qui les ont connus et appréciés.

Pour nous, Abdelaziz Ouabdesslam est un citoyen du monde au sens où il a rendu service en éclairant, en éduquant, en tentant inlassablement d’inculquer des valeurs et de ne pas tomber dans le piège des compromis, voie royale vers la compromission. Il dépasse de loin le cadre étroit du pays et s’inscrit assurément dans la lignée de tous ceux qui ont servi l’humanité en tentant de la « civiliser ». Le pays s’honorerait en rendant les honneurs à ce patriote, à cet aristocrate de la pensée, à ce fier Algérien qui fit le grand djihad, celui de combattre inlassablement l’ignorance en entretenant à sa façon la flamme du savoir loin des feux de la rampe.

Pr Chems Eddine CHITOUR

Ecole Polytechnique enp-edu.dz