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The Patriot

Publie le jeudi 14 janvier 2010 par Open-Publishing

Le discours de sa Majesté en l’occasion du 6 Novembre sonne comme un retour à l’ordre, ou, comme dirait feu son père Hassan II, une fin de récréation ‘fi nithamin ou intitham’.

Ne soyons ni zélateurs de l’intégrité territoriale, ni défenseurs du séparatisme polisarien. A vrai dire, cette catégorisation même est trompeuse et dangereuse. Dangereuse car nous revoilà propulsé aux années 1980, où le Makhzen jouait avec l’importance de la “cause nationale” pour étouffer des voix récalcitrantes (y compris l’USFP, qui a cherché à jouer d’un nationalisme déjà confisqué par la monarchie)
Du discours, je ne peux pas prendre position ; Sujet Marocain, la constitution m’interdit de commenter le discours du 6 Novembre. Et à vrai dire, c’est plutôt d’identité, de patriotisme et de politique que je souhaiterais parler, à défaut d’exercer un droit que cette constitution me refuse.

Par la définition proposée , on découvre que le patriotisme est “l’attachement profond et dévouement à la patrie, souvent avec volonté de la défendre militairement en cas d’attaque extérieure.”

Remarquons tout de suite que le mot est fortement connoté d’attitude défensive. On “défend” une patrie “en danger”. Loin de tout nationalisme de chauvinisme, le patriotisme semble être une valeur éminemment positive.

Mais -car il y a un mais-, le terme même de Patriotisme suppose l’existence d’un "ennemi". C’est l’”autre” qui refuse de voir le “je” ou le “nous” épanoui et vivant dans la stabilité, ou simplement bénéficiant de ce qui lui ferait défaut. Typiquement, l’ennemi serait jaloux, une pure tradition maghrébine.

Au-delà de spéculations futiles sur le sens du terme, l’utilisation faite du concept est toujours délicate. Précisément, sur quels critères une institution qualifiée peut-elle décréter que tel ou tel individu ou groupe d’individus mérite ou non le qualificatif de patriote ou patriotique ?
Un blogueur répondait à mes interrogations en disant “Quand un citoyen prend fait et cause pour l’ennemi de son pays, il devient un traître à la nation ! Peu importe ses raisons et peu importe ses convictions !”.

Ce n’est pas un reproche que je fais à l’auteur de cette définition restrictive, mais en l’appliquant à tous les cas de figures de ‘traîtres’ devenus héros, on finit par déclarer traîtres à la nation des individus qui ne le sont peut être pas, et d’autres qui le sont, mais qui se parent de patriotisme qui devient, comme dirait S. Johnson, le dernier rempart de leur lâcheté.

Je disais plus haut que je me refusais à être un zélateur de l’intégrité territoriale. Je m’y refuse car l’histoire de la "cause nationale" pour reprendre le terme très célèbre pendant les années 1980 est inconnue, manipulée et cachée à l’oeil de l’historien ou du citoyen lambda. Le fondateur du Polisario (El Ouali Mustapha Sayed) a pris sa décision non pas pour des considérations personnelles, mais par un mélange d’idéalisme et de crédulité exploitables et manipulables par de tierce parties intéressées. Enfin, que dire des centaines (peut être les milliers) de soldats marocains morts et capturés lors d’une guerre dirigée essentiellement par des considérations intérieures, et clairement, la situation actuelle du Sahara dure car des pouvoirs obscurs y trouvent leur compte, de part et d’autre du mur défensif.

A ce sujet, et d’un point de vue strictement marocain, la résolution du conflit passe d’abord par un renouvellement des pratiques politiques au Maroc, l’engagement réel du citoyen marocain dans l’affaire du Sahara, et bien sûr, comme tous les problèmes fondamentaux de ce pays, une réforme constitutionnelle.
Suis-je Marocain ? Suis-je Patriote ? Comment définir la Marocanité d’un individu sans tomber dans le piège fascisant de l’identité ? Un pays comme le Maroc, qui peine à connaître sa propre histoire, est facilement manipulable et l’a déjà été. L’identité, comme toute chose dans une société, est une valeur dynamique, qui se construit et se déconstruit à la lumière des évolutions des faits sociaux -au sens de Durkheim-.

Précisons à l’adresse des défenseurs de “l’identité”, notre identité ne se limite pas seulement au Foot, aux plats culinaires ou à la pratique spirituelle. Pour nos glorieux ancêtres (et cela a été vrai jusqu’en 1925-1926), le principe de guerre civile était une sorte de dynamique sociale, un aspect indéniable de notre ‘identité’ que nous avons bien oublié…
Le Patriotisme, lui, est plus délicat à cerner. La définition du terme est éminemment défensive, qui en fait donc une valeur à connotation positive -par opposition au Nationalisme belliqueux et au Chauvinisme raciste-. Patriote oui, mais pour qui, ou plutôt, pourquoi ? A la nation ? A l’Etat ? Au peuple ? A la communauté ? Ou pour réduire les choix : patriote, fidèle à l’idée de la patrie ou à la structure l’incarnant ?
A la première proposition, je dis oui, je m’estime patriote -7ata nou5a3-, dans le sens où je veux ma fidélité indéfectible au peuple marocain. Notez bien que cela n’affecte pas l’autre position dont je me réclamerais -un socialisme plutôt internationaliste-, où la défense du peuple marocain n’exclut nullement la solidarité avec les autres peuples (notez, les autres peuples, et non pas les autres pays).

A la seconde question, mon avis est plus circonspect : quelle fidélité à un régime incapable de tenir la parole donnée ? Je m’explique : le Maroc, et depuis l’indépendance a toujours connu une dualité certaine dans ses structures étatiques. A côté d’un état moderne, doté d’une constitution, d’un parlement, d’un système juridique, d’une police et d’une forme armée –. Bref, tous les attributs d’un Etat moderne, Wébérien ; à côté de cela, une structure opaque, une institution et un état d’esprit puisant leurs racines dans les formes primitives d’une bureaucratie militaro-religieuse que nous connaissons sous le nom de Makhzen. Ce Makhzen-là étouffe et noyaute l’administration moderne, qui réagit donc comme le bras bureaucratisé et quelque peu rationalisé -via des lois et des pratiques juridiques déterminées- de ce dernier. Ce makhzen nie la qualité de citoyen au Marocain au profit d’un statut de sujet, si tant est tolérée la notion d’individualité. Or, un patriote ne peut l’être que par sa libre décision, on est patriote parce qu’on veut l’être, et cela suppose que notre individualité est libre, entière et raisonnée, une individualité citoyenne.

Enfin, pourquoi parler de Makhzen et d’Etat ? Le patriotisme ne puise-t-il pas sa force dans les symboles de la nation ? En effet, mais le Maroc, du fait de l’héritage colonial français, combiné à l’héritage Makhzénien, se pense d’abord comme Etat-nation, où l’expression de la Marocanité est d’abord celle de l’Etat : patriote et soutien sans faille de l’Etat, non pas dans sa définition des Lumières, garant du contrat social et du bien-être collectif, mais un agrégat de lobbies, un rapace se nourrissant sur l’habitant. A cet Etat, le Makhzen marocain, on ne saurait prêter allégeance. C’est tout le combat des défenseurs de la cause constitutionnelle, qui, à travers une séparation claire et confirmée des pouvoirs, restitue au patriotisme une valeur symbolique au-dessus des considérations politiques et matérielles.

Penser un autre monde