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Leçon makhzénienne

Publie le jeudi 21 janvier 2010 par Open-Publishing

Par : Khalid Jamaï

Le remaniement ministériel que vient de connaître « le plus beau pays du monde », le pays « où les prisons sont meilleures que celles de France et de Navarre », s’inscrit dans la pure tradition makhzénienne par sa soudaineté, par les hommes qui ont été « ministrés ». Il y a lieu de relever aussi que ce remaniement intervient après le mécontentement, pour ne pas dire plus, de Washington et de Paris à la suite de la bourde « Aminatou ». Hasard ou conséquence du calendrier ? Comme chacun sait, les voies du makhzen sont impénétrables ! Dans une précédente chronique, je rappelais que la sagesse populaire disait toujours : il est trois choses dans lesquelles il ne faut jamais avoir confiance : « le makhzen, le feu et la mer ».

Radi, pourtant sociologue de formation, Benmoussa le polytechnicien et les autres remerciés, pour ne pas dire congédiés, en ont fait la triste expérience. Selon diverses sources, les « éjectés » n’avaient pas été informés d’avance. C’est tout dire ! Quant au Premier ministre, il est depuis longtemps inscrit aux abonnés absents. Ceux qui font confiance au makhzen savent qu’ils occupent des sièges éjectables à tout instant. Plus, le makhzen ne se limite pas à se défaire de ses plus loyaux serviteurs sans le moindre état d’âme mais tient à leur faire boire la coupe jusqu’à la lie. M. Radi avait par exemple demandé à être déchargé de sa fonction de ministre de la Justice. Il lui fut répondu qu’il était indispensable, que c’était l’homme qui allait réaliser la grande réforme de la justice. Cela causa quelques remous au sein de son parti, mais la couleuvre fut vite avalée.

On ne démissionne pas au Maroc, on congédie. Quant à M. l’X (X c’est ainsi que l’on appelle les lauréats de l’Ecole Polytechnique), on lui fera porter le chapeau de tous les dérapages. Il payera ainsi son zèle immodéré dans l’affaire Belliraj, dans celle d’Aminatou, dans la répression qui n’a épargné ni étudiants, ni chômeurs diplômés, ni ouvriers, sans oublier le samedi noir d’Ifni etc. Lorsque Driss Basri fut « débarqué », il déclara : « Vous savez, un ministre de l’Intérieur c’est la femme de ménage. » C’est vrai, mais pas dans les pays réellement démocratiques.

Autre caractéristique du makhzen : « La division est la garante de toute bonne gouvernance. »

Radi sur la touche, c’est Lachgar, hier pourfendeur du gouvernement, qui rejoint son mentor El Yazghi dont il fut pendant longtemps le bras séculier et avec qui il se fâcha car il ne le « ministra point ». Ainsi, par ce tour de passe-passe, le makhzen affaiblit l’USFP en le discréditant davantage et pense ainsi, du même coup endiguer ne serait-ce qu’un rapprochement entre cette formation et les islamistes du PJD qui se veut pourtant plus royaliste que le roi par moments. Quant aux nouveaux arrivants, ce sont des purs et durs makhzéniens formés à la dure école hassanienne. M. Naciri a de tous temps été l’avocat attitré du Palais et M. Cherkaoui, depuis l’avènement du roi Mohammed VI, est le véritable ministre de la Justice. Dans le « plus beau pays du monde », c’est le tout sécuritaire qui prédomine. Cette prédominance a, entre autres, comme corollaire de vider le poste de Premier ministre de toute substance. Car, on voit mal, très mal même, comment un Abbas El Fassi peut ordonner quoi que ce soit à ce nouveau ministre de la Justice, encore moins à celui qui a remplacé M. Benmoussa.

Cette mainmise du tout sécuritaire n’implique-t-elle pas que s’est instauré, dans les faits, un état d’exception qui ne dit pas son nom ? La création d’un Conseil consultatif de la régionalisation, l’énième, ne confirme-t-elle pas cette marginalisation des institutions « élues », à savoir le Parlement et la Chambre des conseillers dont le pouvoir législatif est déjà réduit à presque zéro. Le souverain avait toujours déclaré qu’il entendait que la monarchie fût exécutive. L’arrivée de Cherkaoui et de Naciri, la création de cet énième conseil consultatif le confirment. Mais, revers de la médaille, les Benmoussa et les Radi servaient de fusibles. Aujourd’hui, ce sont les hommes du roi qui sont directement aux commandes. Autre question, en dix ans, nous avons eu droit à 8 ministres de l’Intérieur dont deux secrétaires d’Etat. Un tel charivari inquiète dans un pays où makhzen et Intérieur sont des synonymes. Rappelons, pour finir, cette déclaration de Barack Obama, faite trois mois avant son élection et citée par Serge Halimi dans le dernier numéro du Monde Diplomatique : « Le plus grand risque que nous pourrions prendre serait de recourir aux mêmes techniques politiques, avec les mêmes joueurs et d’en attendre un résultat différent. Dans des moments pareils, l’Histoire nous enseigne que ce n’est pas de Washington que vient le changement. Il arrive à Washington parce que le peuple américain se lève et l’exige. » Une vérité que plus d’un ferait bien de méditer, surtout lorsqu’on remplacera Washington par Rabat et peuple américain par peuple marocain…

Le Journal Hebdomadaire

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