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13 avril 2005, 22:59

DIRECTIVE EUROPEENNE ET COMPLEMENTS ALIMENTAIRES

REPONSE DES PROFESSIONNELS DU DROIT SUR LES INCIDENCES DE LA DIRECTIVE EUROPEENNE SUR LES COMPLEMENTS ALIMENTAIRES

Le MILCT a bien pris connaissance de l’article intitulé « Qui désinforme qui ? » en réplique à notre communication parue dans le n° 11 de la Lettre du MILCT relative à la « défense des compléments alimentaires ». Nous tenons à préciser que nous ne sommes là ni pour agresser ni pour semer le trouble mais pour donner une information juridique fiable sur l’évolution du droit des compléments alimentaires.

C’est dans le cadre d’une totale indépendance politique et économique que le MILCT, existant depuis 1960, produit cette réponse aujourd’hui, puisque le MILCT n’assure ni la vente ni la distribution de produits, de médicaments ou compléments alimentaires. De même, que le MILCT ne distribue ni ne promeut aucune copie ou contrefaçon de produit ou médicament, ce qui n’est malheureusement pas le cas de toutes les associations.

Compte tenu de la grande complexité du droit en général en raison de l’inflation des textes, du droit communautaire en pleine construction qui se superpose au droit français et dont les normes ne sont pas toujours complètement interprétables dans leur entièreté au moment où elles sont émises (auxquels se surajoutent quelques fois des problèmes de traduction conduisant parfois au contentieux), nécessitant par la suite des positions de certaines institutions communautaires (comme les agences européennes sanitaires, comme la CJCE…), nous avons décidé de consulter des juristes spécialisés.

Afin de se faire une opinion éclairée et en toute indépendance, nous avons donc pris soin de prendre avis auprès d’un pool de juristes hautement spécialisés en droit communautaire dont le cabinet est situé à Bruxelles et qui forme des avocats en droit communautaire venus de toute l’Europe. De même, nous avons consulté deux avocats spécialisés en droit de la santé et universitaires.

Il en ressort les points suivants :

1. Concernant la requête devant la Cour de Justice des Communautés européennes

Il est mentionné « un recours auprès de la Cour de Justice des Communautés européennes, recours dont la validité a fait l’objet d’une reconnaissance préalable par la Justice anglaise nécessaire pour sa transmission à la CJCE ».

Compte tenu que certains juristes vont jusqu’à faire dix ans de droit afin de maîtriser les arcanes du droit communautaire et de sa procédure, vous comprendrez que nous ne pourrons pas, même si nous en avons les compétences, dispenser un cours de procédure communautaire dans notre réponse. Néanmoins, ce que nous pouvons d’ores et déjà vous indiquer, c’est que le recours que vous mentionnez (il ne s’agit d’ailleurs pas d’un seul recours mais de deux requêtes au total présentées par The High Court Of Justice –England and Wales-, Queen’s Bench division - Administrative Court - du 17 mars 2004, enregistrées au greffe de la Cour européenne le 26 mars 2004), n’est ni plus ni moins qu’une question préjudicielle sollicitée par la juridiction britannique auprès de la Cour de justice des Communautés européennes, les tribunaux britanniques ne sachant pas interpréter la directive 2002/46/CE du 10 juin 2002 sur les compléments alimentaires. Il est à rappeler que ce type de recours est très courant et que la plupart des décisions rendues par la CJCE le sont à partir de questions préjudicielles. En conséquence, la justice anglaise n’est pas là pour admettre ou non la validité d’une telle requête puisque c’est à la CJCE seule de se prononcer par un arrêt. Par contre, la juridiction nationale qu’elle soit anglaise, française, etc. dispose du droit de transmettre ou non la demande de questions préjudicielles à Bruxelles, sans présumer du bien fondé d’une telle demande.

Le malentendu résulte très probablement d’une incompréhension par les autorités sanitaires anglaises du contenu, des tenants et aboutissants de la directive 2002/46 puisque le droit britannique a prévu qu’à compter du 01 août 2005 « les compléments alimentaires non conformes à la directive du fait de l’utilisation, dans leur fabrication, de substances non autorisées par celle-ci » sont interdites. Les plaignants visent ainsi l’interdiction de 5000 compléments alimentaires composés de substances non visées par la liste positive bruxelloise. Ce malentendu a de surcroît été amplifié par les juristes anglais qui ont introduit une requête visant à obtenir l’annulation de la directive européenne pour leur permettre (croient-ils !) d’obtenir l’abrogation du texte anglais. En fait, la problématique ne semble pas devoir être posée en ces termes mais plutôt sur le contenu réel de la directive et ces conséquences effectives et non, de tirer, à partir du texte anglais, une interprétation erronée du texte communautaire. Ce qui s’imposait était de poser une question préjudicielle à Bruxelles afin de mettre en lumière le texte anglais au regard du texte européen et de demander si la directive européenne avait bien prévue les interdictions qui sont visées par le texte anglais et non pas, de solliciter l’illégalité pure et simple de la directive communautaire. Parallèlement, il s’agissait de se retourner contre les autorités anglaises ayant mal transposé la directive européenne.

Par ailleurs, il est bon de savoir que la réponse de la CJCE devrait intervenir au plus tôt en juin 2005 compte tenu du fait que l’avocat général prononcera ses conclusions début avril 2005 et qu’il faut entre 3 à 9 mois pour que la décision de la CJCE soit rendue. Il serait intéressant de noter que d’ores et déjà une ordonnance de jonction des deux requêtes a été prononcée le 07 mai 2005 et que la demande de procédure accélérée sollicitée par les associations et laboratoires plaignants a été purement et simplement rejetée, la Cour européenne estimant que « l’intérêt a être fixé sur la validité des dispositions communautaires litigieuses avant le 01 août 2005 et la sensibilité économique des présentes affaires ne sont pas de nature à établir l’existence d’une urgence extraordinaire au sens… du règlement de procédure ».

2. A propos des associations non citées par le MILCT

Le MILCT estime que l’intérêt de ses lecteurs et des vôtres n’est pas de polémiquer sur telle ou telle association, mais de faire le point objectivement et avec des informations juridiques rigoureusement exactes.

3. A propos de milliers de substances interdites

Avant de répondre sur le point des vitamines et des minéraux stricto sensu, nous confirmons que cette directive ne s’applique qu’aux vitamines et aux minéraux et non pas à d’autres substances comme les fibres, acides gras, etc. Si une liste limitative de minéraux et de vitamines est certes fixée (nous allons y revenir), un document officiel émanant des institutions communautaires précise : « cette restriction n’a aucun rapport avec les nutriments ou les substances autres que les vitamines et les minéraux qui peuvent servir d’ingrédients pour la fabrication de compléments alimentaires et qui, comme vous l’indiquez à juste titre dans votre réponse à l’article de l’ANH, peuvent continuer à être utilisés comme avant l’adoption de la directive 2002/46/CE ».
En conséquence, lorsque vous écrivez que « ce sont bien des milliers de produits qui vont être retirés du marché, etc. », ceci est totalement faux. Du reste, nous notons une inflation des chiffres entre votre premier courrier qui mentionnait des centaines de substances interdites, le second qui maintenant en mentionne des milliers. A quand un troisième courrier qui en mentionnera des dizaines de milliers ?

D’ailleurs, le fait que le Président de la CJCE ait refusé la procédure accélérée malgré la menace de 5000 produits interdits, tend à démontrer que cette menace provenant de cette prétendue interdiction n’est pas aussi probante que voudraient le faire valoir les plaignants.
Et pour preuve puisque les autorités de Bruxelles nous ont d’ores et déjà répondu que la liste ne visait que les vitamines et minéraux et absolument pas le reste ; pour le savoir, il n’était pas besoin de saisir la CJCE.

4. A propos de la liste limitative des vitamines et minéraux

Cette liste limitative de vitamines et minéraux annexée à la directive du 10 juin 2002 est une liste limitative provisoire puisqu’elle peut être enrichie à partir de requêtes spécifiques en vue de l’insertion de nouvelles substances à l’annexe II de la directive. En conséquence, cette liste sera régulièrement mise à jour sur la base des demandes formulées par les parties intéressées. Aucun dossier fin avril 2004, (les requêtes ayant été déposées en mars 2004…) n’avait été déposé en vue d’enrichir cette liste de vitamines et de minéraux. En conséquence, comment est-il possible d’affirmer que les coûts sont très élevés alors qu’aucun dossier n’a été déposé et qu’il nous a été confirmé officiellement que les coûts n’avaient rien d’exorbitants ?

Concernant les dosages de vitamines et minéraux en question, comment pouvez-vous affirmer que « les dosages des limites supérieures pourront être fixés de façon discrétionnaire et probablement à des niveaux très bas », alors que ces dosages ne sont toujours pas fixés à ce jour et qu’ils le seront sur la base également des dossiers présentés par les laboratoires concernés par la fabrication des compléments alimentaires.

5. A propos des textes communautaires régissant les compléments alimentaires

Nous confirmons qu’un seul et unique texte réglemente les compléments alimentaires, ce qui était différent auparavant puisque seul le droit relatif à la définition du médicament s’appliquait étant donné qu’il n’y avait pas de textes spécifiques du complément alimentaire.
Le code communautaire du médicament a été modifié avec une nouvelle définition du médicament qui permet justement d’éviter les conflits de textes en permettant à un produit entrant dans le champ juridique du complément alimentaire de ne pas tomber dans celui du médicament. L’objectif est d’éviter du contentieux au niveau communautaire à ce sujet, compte tenu du grand nombre de plaintes déposées à Bruxelles sur ce thème. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a été décidé de réglementer en droit communautaire les compléments alimentaires, afin d’éviter que ne continue l’engorgement de la CJCE.

Concernant la directive sur les plantes que vous mentionnez, c’est la confusion la plus totale. En effet, cette directive récente sur les plantes concerne les AMM allégées en matière de plantes bénéficiant d’un usage traditionnel compris entre 15 et 30 ans. Ce texte européen est le pendant de la réglementation française sur les AMM allégées datant de 1982. En conséquence, cette directive plantes n’a strictement rien à voir avec les compléments alimentaires. Pour votre information, une directive probablement spécifique ou qui viendrait compléter la 2002/46 devrait être prise en vue d’intégrer les plantes dans les compléments alimentaires n’ayant rien à voir avec celle que vous mentionnez. Toujours pour votre information, sachez également qu’une directive est en cours sur les aliments enrichis que vous n’avez même pas ni relevée ni mentionnée.

Conclusion :

Etant donné le temps passé à l’élaboration de cette réponse, pour notre part, c’est la dernière fois que nous répondons dans ce cadre au sujet des compléments alimentaires. En effet, pour pouvoir émettre un avis en droit communautaire, il est nécessaire d’être au minimum Docteur en droit afin de s’y retrouver et de commencer à comprendre les raisonnements juridiques des textes communautaires qui se superposent au droit français. Un avocat généraliste qui n’a pas un doctorat en droit est incapable de s’y retrouver, alors comment pouvez-vous émettre un avis fiable sur des textes d’une aussi grande complexité sans même être juriste ? Nos juristes de haut niveau n’ont pas à se justifier et ne se justifieront plus à l’avenir suite à nos prochaines informations juridiques sur les compléments alimentaires.

Il est important de souligner que les principaux groupements professionnels de la diététique et des compléments alimentaires ne voient, sans cependant faire de la directive européenne un modèle de perfection, aucune menace avec ce texte en l’état actuel des choses ; au contraire, cette directive oblige la France à avancer et à revoir ses positions relatives au grave retard réglementaire dont elle fait l’objet ainsi que de la répression inadmissible qu’elle fait subir dans ce secteur économique tant auprès des fabricants, distributeurs, professionnels de la santé et prescripteurs assignés en justice, qu’auprès des consommateurs utilisant ces produits et qui se retrouvent eux aussi en justice ! A souligner que la France vient encore de se faire condamner par la CJCE sur ce chapitre.

Egalement, la France s’est encore fait remarquer à deux reprises en quelques mois en présentant à Bruxelles des projets de réglementation français du complément alimentaire non conformes au droit communautaire et aboutissant à nier la possibilité de faire entrer sur le marché français des substances vendues dans d’autres Etats membres (principe de reconnaissance mutuelle).

Il appartient maintenant aux fabricants et distributeurs, syndicats de la diététique qui s’y emploient depuis des années et qui continuent, de faire évoluer cette directive européenne quant à la liste positive et ceci, sans avoir ni à agresser Bruxelles et encore moins à déposer de plaintes auprès de la Cour de justice des communautés européennes.

Laissons donc aux professionnels du droit le soin de faire du droit. Donnons aux associations le rôle de coaliser, crédibiliser notre cause en écartant les associations qui pourraient se trouver dans l’illégalité et qui nous discréditent vis-à-vis des pouvoirs publics, en sachant pertinemment que certains modes de fonctionnement avec les prescripteurs sont contraires au droit et à l’éthique. Les associations qui cautionnent de tels agissements ne sont pas crédibles auprès des instances françaises et européennes.
Lorsque l’on prétend vouloir conquérir une citadelle, celle de la liberté thérapeutique, il est de très bon ton de se présenter avec de vraies valeurs éthiques et humaines.

Pierre-Yves MAIGNAN
Président du MILCT
Journaliste médical indépendant avec la participation de tout le pool juridique consulté.

N.B. : Je tiens à remercier les docteurs en droit, les avocats universitaires ainsi que les hauts fonctionnaires qui ont accepté de nous consacrer beaucoup de leur temps afin de nous éclairer, de nous expliciter tous les raisonnements juridiques et, de nous fournir toutes les informations techniques de haut niveau nécessaires à l’élaboration de cette réponse complexe.