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Bourrons nous la gueule, ça passera plus vite ? !

28 octobre 2008, 10:30

Merci Cyril pour cette chanson de V. Sanson qu’en effet j’aime beaucoup...

Hélas non l’une des personnes dont je parle n’aura plus de chance de lutter encore, elle est morte le 6 novembre 2005.

J’avais écrit un texte pour elle un soir qui était celui ci "Souvenir de mon age déchu"

"Ce soir je pense à toi encore plus que d’ordinaire.

Pourquoi, je l’ignore. Et peu importe.

Tu nous as quittés il y a bientôt deux ans.

Ton beau visage, qui était devenu si torturé par la souffrance et la maladie, s’est fermé comme les livres que tu aimais tant et il ne me reste de toi que des souvenirs et les photographies, dont tu avais fait ton métier depuis 25 ans.

Tu étais bien jeune, tu avais 51 ans et deux petits garçons.

Depuis ta mort, il ne se passe pas un jour sans que je convoque ton souvenir. J’ai mis longtemps à effacer tes numéros de téléphone de mon répertoire. Aujourd’hui, souvent, je regrette de l’avoir fait.

Encore maintenant, quand il m’arrive de penser à une chose ou une autre, d’avoir un souci, une envie de te voir, je me dis que je vais t’appeler mais mon envie se heurte à la paroi de verre de l’hôpital où je t’ai vue, et tenu la main pour la dernière fois.

Du cimetière, de l’enterrement, je ne me souviens pas. Ca n’a pas existé pour moi.

J’étais enceinte quand tu es partie, tes derniers regards, tes derniers balbutiements pour moi ont été aussi pour ce bébé. Tes yeux en amande éaient plein d’angoisse et de fièvre, ton regard éperdu courait dans tous les sens. Je n’ai jamais ressenti chez quelqu’un un tel sentiment d’urgence et de peur.

Tu étais une femme brillante, drôle, généreuse, pleine de vie et de talents. Et terriblement belle aussi, je l’ai déjà dit mais c’était vrai et cela te définissait aussi.

Un jour très intime, ton monde a basculé et ta vie s’est fracturée.

Tu t’es mise à boire, à boire de plus en plus, jusqu’à en devenir folle parfois.

"On" ( tes soeurs, ton mari, ta mère, mon frère, moi), on a commencé la longue suite de cures, de médecins... Les hôpitaux, Sainte-Anne, les "maisons de repos", les psychiatres, psychanalystes, psychologues ... tout y est passé, "on" a tout essayé. Enfin plutôt nous sans toi que nous avec toi. C’était même souvent nous contre toi. Sans conviction de ta part car je pense que la faille ouverte en toi était trop grande et aspirait toute l’énergie extérieure pour en fait, aviver ta plaie.

Tu sortais de la énième cure, ça allait quelques semaines, puis, quelques jours. Et vite, l’alcool reprenait le dessus...Tu étais seule, et solitaire, mais tu nous as tenu tête à tous, tu nous as opposé une résistance incroyable.

Tu nous as eus. "On" n’a pas pu te sauver malgré toi.

"On" n’a pas pu te garder, égoïstement, près de nous. Tu avais choisi, peut être pas consciemment, que c’était fini.

Durant toutes ces années qui ont précédé ta mort, nous t’avons vue tenfoncer, un peu plus définitivement chaque jour, dans un cauchemar qui nous était, à la fin, complètement étranger et imperméable...Il n’y avait plus de moyens de rentrer dans ton monde, sauf par accident...

On parle de déchéance. J’ai vu avec toi ce que signifiait ce terme et j’ai compris qu’il ne pouvait décidément rien admettre de connotation péjorative et que celui qui souffre ainsi si horriblement, si durablement, ne peut qu’être délivré par la fin de ses jours.

Un souvenir de cette période si sombre : je vivais chez toi à l’époque. Un soir nous étions ensemble, tu étais rentrée de l’hôpital depuis 48 heures. Il devait être 4 heures du matin, j’ai entendu du bruit dans le salon. Je me suis levée et je t’ai vue, à moitié nue, devant ta glace, en train de parler toute seule, de t’énerver ; tu étais désorientée et perdue.

J’ai essayé de m’occuper de toi. Je t’ai prise dans mes bras, je t’ai donné un cachet, je t’ai caressé les cheveux, je t’ai parlé, pendant deux heures... Tu as fini par te calmer, tu as dormi quelque temps.

Je n’ai pas pu aller travailler, j’avais trop peur pour toi. Et en effet, au milieu de la matinée, la crise démentielle est revenue et j’ai du appeler les pompiers. On t’a emmenée à l’hôpital. J’ai appelé ton mari, ta soeur. Le temps qu’ils arrivent, les médecins et les infirmières se sont littéralement emparés de toi. Ils t’ont allongée de force et sanglée sur un lit pour te faire une piqure.

"Ne me laisse pas, ne les laisse pas me faire ça"... Je ne pouvais rien faire car j’étais désemparée. J’étais désemparée parce que je ne savais plus ce que l’on devait faire pour toi. Je ne savais même plus si ce que l’on devait faire pour toi on le faisait encore pour toi ou pour nous. Moi aussi, j’étais perdue. Et tous ceux et celles qui t’ont entourée presque quotidiennement durant ce calvaire étaient perdus aussi.

On avait envie de s’en remettre aux mains des médecins, des "spécialistes", de se laisser guider, de rencontrer une personne qui nous aurait dit "voilà : c’est comme ça, on va faire ça et il va se passer ça". Mais non, rien. Des doutes,des questions sans réponse, chez les "spécialistes" aussi.

Et une difficulté à communiquer entre ces deux mondes, celu i des professionnels et celui des soufffrants et de leurs familles.

Pour te tirer de là, tu as eu, comme souvent, un éclair de génie. Ton corps devenu si fragile a fabriqué un petit cancer hyper efficace pour lutter contre l’autre cancer, celui de l’alcoolisme. Une sorte de politique de la terre brûlée en somme.

6 mois. Cela a pris environ 6 mois, et le cancer t’a emportée en un rien de temps. Tu as disparu la nuit où je suis venue te voir pour la dernière fois. Je le savais, nous le savions tous, que cette nuit-là, tu allais nous laisser. Et qu’il n’y avait plus rien à faire, i l fallait que tu partes, tout ça ne ressemblait plus à rien. Une de tes soeurs a passé cette nuit là près de toi, et tu as pu ne pas mourir seule.

Ce soir, je regarde une très jolie photo en noir et blanc - tu dois avoir 23 ans et moi 3 ans. Je suis sur tes genoux. Tu es très belle, vraiment très belle dans ta beauté toute slave et ta minceur de ballerine...

Je pourrais passer ma vie à regretter de n ’avoir pas pu te sauver. Ca n’aurait pas de sens... Le destin c’est comme du sable qui file entre les doigts...

Mais tu me manques, parfois cruellement et, on le sait toutes et tous, la vie se charge toujours de rappeler les morts à ceux qui sont restés, en attendant... Ici une chanson, là un livre...tiens, là, une photo, une rue, un nom...

En cela, notre histoire n’est pas différente de millions d’autres. Tu es morte et tu me manques... "