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> 10 objections majeures au commerce équitable

4 juillet 2005, 14:21

Bonjour Mr Pinsard,

J’ai lu votre contre-argumentaire avec attention. Je me permets de joindre à ce forum mes commentaires objection par objection.

Certes ce texte contient des imprécisions voire même des incorrections mais je pense que ce texte contient des questions et des objections tout à fait valables.
Malheureusement, en poussant certaines objections jusqu’à la caricature, ce texte se décrédibilise.

Pour commencer, je souhaiterais répondre à Mr Pinsard. Concernant certaines objections qu’il admet bien volontiers, ses réponses s’accompagnent souvent d’un MAIS, "c’est déjà mieux que rien" ou "le commerce équitable ne représente que quelques % du commerce mondial et n’a donc qu’un impact limité".

Je souhaitais simplement rétorquer que j’attends du commerce équitable qu’il joue justement le rôle de "traceur" de nouvelles voies et d’alternatives et fasse donc preuve d’innovation et de créativité non seulement dans les produits qu’il diffuse mais également dans les pratiques managériales, organisationnelles et opérationnelles. Et là c’est décevant.

Revenons au document proprement dit :

1 - Pas d’accord / effectivement comparer les pouvoirs d’achat de nos pays et des pays dont sont originaires les produits du commerce équitable est, si pas une erreur, irréaliste.

2 - Là, l’objection a du sens. En effet, l’ambiguité du commerce équitable actuel (du moins du côté des associations de bénévoles) est de dénoncer le "système" tout en en étant dépendant (entrée dans les grandes surfaces, campagne marketing). En effet, ne soyons pas dupes. Il y a va de la survie de ces associations du Nord d’augmenter leur "chiffre d’affaire" et cela ne peut se faire qu’en utilisant les bonnes vieilles techniques commerciales. D’où la question : si ces associations veulent prouver que le commerce équitable est une alternative viable, dans ce cas, elles doivent prouver qu’elles peuvent fonctionner comme tout commerce "classique" c’est-à-dire sans bénévole (= travail au noir dans le commerce classique)

3 - Une nouvelle objection sensée. En effet, à cette objection, certains m’ont rétorqué mais certains des produits sont bio ! Tant mieux que ces produits soient conçus dans des conditions bio mais cela n’a rien à voir avec l’impact environnemental lié notamment au transport et aux emballages.

Ne me faites pas écrire ce que je n’ai pas écrit. Je suis très content que mon café, venant de pays situés à des milliers de kilomètre tout comme le riz, soient équitables. Que je puisse découvrir des objets et des substances inconnues de nos contrées...sans que cela ne verse dans une espèce de mode de l’exotisme et du "world" ce-que-vous-voulez.

4 - Pas d’accord / le commerce équitable n’est pas responsable de l’appauvrissement de la biodiversité dans nos contrées. Cet appauvrissement a commencé bien avant la "mode" du commerce équitable et l’impact de ce dernier est, selon moi, nul ou presque.

5 - "Déculturation de la production". A partir du moment où le commerce équitable se positionne comme une alternative au commerce international "classique", il en est de même pour tout commerce quel que soit le pays, au Nord comme au Sud. Le développement par les exportations (que ce soit vers le pays voisin ou à des milliers de kilomètres) dépend des modes de consommation des clients-cibles et s’y adaptera donc. Là également l’objection est fallacieuse car le commerce équitable, per se (vu qu’il a choisi la voie du commerce international), sera impacté comme les filières commerciales classiques. Cette constatation est à mettre en parallèle avec la dimension "développement des circuits courts de commercialisation" qui est négligée, voire absente dans le commerce équitable.

6 - Une nouvelle objection qui me semble correcte. C’est clair, notre pouvoir d’achat est supérieur à celui de la majorité des habitants des pays du Sud et il est donc plus intéressant de nous vendre des produits car nous sommes potentiellement plus "acheteurs". Mais cela se fait au détriment du développement d’un marché local, de proximité, privilégiant la solidarité chaude et qui réduit la dépendance par rapport aux modes de consommation du Nord. Certes, cette alternative ne peut compenser les revenus que gagnent actuellement les producteurs du commerce équitable. Il s’agit donc d’insérer dans la stratégie des associations de commerce équitable du Nord le soutien au développement de circuits courts de commercialisation dans le Sud, circuits par lesquels les mêmes produits du commerce équitable seraient vendus...en tenant compte du pouvoir d’achat local.
Il s’agit petit à petit de promouvoir les produits locaux et d’arriver à un équilibre entre produits exportés / produits commercialisés sur place.

7 - une objection partiellement vraie. C’est le problème du verre à moitié plein ou à moitié vide. Certains diront "du commerce équitable dans les grandes surfaces, c’est déjà ça !". D’autres diront que cela "dilue" l’effet du commerce équitable notamment en matière de conscientisation. En effet, mon expérience montre que, pour une somme relativement modique, beaucoup de personnes s’achètent une bonne conscience grâce aux produits du commerce équitable. A-t-on déjà vu dans les grandes surfaces des petits dépliants à côté des produits du commerce équitable mettant l’accent les mutlinationales du café, des équipements sportifs, etc. et proposant au public des actions concrètes autres que la consommation. C’est rare (je suis optimiste), voire inexistant ! Encore une fois, nous en revenons aux objectifs du commerce équitable pour les associations du Nord : faire du chiffre d’affaire dans une niche commerciale ? Sensibiliser le grand public par ce qui constitue désormais l’acte prépondérant dans nos sociétés : la consommation ?

8 - c’est une objection abusive. Naturellement, le commerce équitable ne constitue pas une stratégie de rupture par rapport au système actuel et il ne le sera jamais. Cette objection est un peu vraie pour ce que j’appellerais le commerce équitable "canada dry" ou "light". Pour les filières de commerce équitable visant à terme l’autonomie des producteurs du Sud et le développement de circuits courts de commercialisation diminuant leur dépendance par rapport au Nord, cette objection est incorrecte. Le tout est de voir quelle sera la proportion, dans l’avenir, entre le commerce équitable "canada dry" et le commerce équitable digne de ce nom.

9 - Là encore trop, c’est trop. La caricature est exagérée. Le document suggère que la majorité des personnes travaillant dans des associations de commerce équitable voyage fréquemment. C’est faux. Ce qui est par contre vrai, c’est l’absence de changement en profondeur des habitudes de consommation et d’engagement de la majorité des personnes actives dans ce domaine. Les quelques heures passées bénévolement suffisent mais au-delà, souvent c’est le retour au réalisme (non durable) qu’il soit social, économique ou environnemental.

10 - Encore une fois le terme est forcé. Le choix d’associations de commerce équitable de privilégier le réalisme économique au détriment d’un changement en profondeur est latent. Il suffit de voir l’augmentation des termes issus du management d’entreprises "classiques" dans les textes de gestionnaires de ces associations. C’est un choix. Il y va de leur survie et de leur pérennité...et, d’après leurs dires, de la survie des actions de sensibilisation.

Malgré le ton caricatural qui nuit à son contenu, il faut admettre que certaines objections soulèvent des questions quant au positionnement du commerce équitable : niche commerciale ou acteur de changement en profondeur ?

Développer un réseau de commerce solidaire et équitable associant circuits courts de commercialisation et commerce international équitable pourrait faire partie d’une alternative pouvant altérer quelque peu les rapports de force actuellement fort en défaveur des petits producteurs, qu’ils soient du Nord ou du Sud...

Philippe Drouillon (philippe.drouillon@skynet.be)