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le protectionnisme d’abord, le nationalisme ensuite

16 mars 2010, 01:12, par MatRen

L’idée des vases communicants est un thème assez classique de la vulgate libérale : le libre-échange permettrait aux pays pauvres de faire jouer un "avantage comparatif" dans la compétition mondiale et de rattraper ainsi leur retard. Cela ne suffit pas pour prouver sa fausseté, mais c’est toujours bien de savoir d’où viennent les idées qui circulent.

Car il y a développement et développement.

Les industries et les services que la mondialisation détruit en Occident sont pour la plus large part des activités économiques tournées vers le marché intérieur. Celles-ci contribuent à la souveraineté et à l’autonomie économique des nations qui les abritent et des peuples qui y travaillent. Un peuple sans indépendance économique ne dispose d’aucune marge de manoeuvre politique, notamment envers sa propre classe dominante.

A l’inverse, le modèle de développement que cette logique des "vases communicants" impose aux pays du tiers-monde détruit leur souveraineté économique et politique. Les transnationales mettent en oeuvre des procédés dont la productivité est déraisonnablement élevée compte tenu du niveau de développement : point besoin de subventions à l’export pour que l’agriculture et l’industrie des "arrière-pays" soient ravagées et laminées par cette concurrence. L’économie nationale est livrée toute entière au bon vouloir du "marché mondial", c’est à dire de la bourgeoisie transationale, et réorganisée pour servir les besoin d’un système économique dont nous savons tous deux (voir plus haut) qu’il n’est pas durable. Sous le patronage de la bourgeoisie mondiale, les richesses profitent beaucoup à une classe de nouveaux riches (voir Chine, Inde, ...) et fort peu à la population dans son ensemble.

Je ne peux pas faire mieux que de citer à ce propos le verdict prononcé par le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers-Monde (CADTM) : "L’OMC complète la puissante machine de guerre contre les peuples de la planète. Le renforcement de la connexion des économies du Sud au marché mondial se fait au détriment de leurs producteurs locaux, de leur marché intérieur et des possibilités de renforcer les relations Sud-Sud."

Est-ce vraiment le modèle de développement que nous souhaitons, à la fois pour nous et pour les pays du tiers-monde ? Davantage de mondialisation, c’est toujours plus de pouvoir pour les multinationales et moins de marges de manoeuvre pour les peuples.

Toujours dans l’analogie des vases communicants, il faut tenir compte du diamètre des colonnes d’eau. Les pays d’Asie ont encore derrière leurs centres industriels d’immense masses paysanes arriérées que l’Occident a mis deux siècles à résorber. A chaque point de productivité gagné dans le secteur agricole, ce sont des millions de paysans ruinés qui affluent vers les usines pour vendre leur force de travail à n’importe quel prix et noyer les acquis sociaux du frêle prolétariat constitué. Compte tenu de cette gigantesque "armée de réserve", cautionner la logique des "vases communicants" revient à cautionner une baisse importante et durable des conditions de travail et de rémunération des travailleurs des pays industrialisés. Parce que les colonnes ne sont pas de même diamètre, l’eau va descendre beaucoup plus d’un côté qu’elle ne montera de l’autre.

Nous luttons âprement pour défendre les acquis sociaux dans les pays industrialisés ... et d’aucuns voudraient cautionner leur chute au nom d’une sorte de misérabilisme fondé sur l’idée que le tiers-monde n’est pas capable de se développer autrement qu’au détriment de l’Occident. Aidons-les à se débarrasser de leur dette injuste et des multinationales qui pillent leurs ressources, au lieu de les livrer encore davantage à leurs bourreaux libre-échangistes. Après cela, ils se développeront très bien, avec ou sans "vases communicants".

Plus vite elles seront mises à l’abri du dumping social, et plus vite les masses travailleuses occidentales pourront repartir à l’assaut, pour elles-mêmes et aux côtés de leur frères du tiers-monde.

Le "protectionnisme" n’est rien de plus qu’une "politique économique visant à défendre certains acteurs nationaux" ... mais la définition ne dit pas lesquels. Il y a donc autant de protectionnismes radicalement différents que d’acteurs économiques à défendre, d’autant plus lorsqu’il s’agit de classes sociales antagonistes. L’exemple que vous citez (subventions à l’exportation) est l’exemple-même que j’avais repris plus haut pour illustrer le protectionnisme bourgeois contemporain que je combat pour les mêmes motifs que vous. Cela ne remet pas en cause la possibilité d’un protectionnisme social qui aurait vocation à établir les conditions d’un commerce réellement équitable en neutralisant la possibilité du dumping social.

La sortie du capitalisme n’est pas réaliste à court terme. Il suffit de voir les niveaux de conscience, de radicalité et d’activité politique de la classe travailleuse pour s’en rendre compte. Présenter le renversement immédiat du capitalisme comme la seule alternative, c’est donc ne proposer aucune alternative. La priorité du jour, c’est d’imposer à la bourgeoisie des réformes de structure qui modifient durablement l’équilibre des forces à son détriment, et le protectionnisme social en fait partie.

MatRen