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APPEL des MARCHES EUROPÉENNES DES « SANS VOIX »

Publie le samedi 26 avril 2003 par Open-Publishing

Ceci est un projet d’Appel dont chaque mouvement peut se saisir pour l’enrichir, qui ra été
discuté lors des AG des sans voix de Florence et Bruxelle. (mouvements de chômeurs, de précaires, de
mal-logés et sans logis, de sans papier, d’handicapés, d’immigrés, de mouvements des quartiers
populaires de banlieue ...de différents pays européens)
Une nouvelle AG européenne se tiendra dans les prochaines semaines afin de coordonner les
initiatives prises autour de ces marches .En attendant, faîtes nous remonter les initiatives que vous
menez .

Réunis en Assemblées européenne des sans-voix à Florence lors du Forum social puis à Bruxelles
début février 2003, nous lançons les Marches européennes des « Sans voix », marches contre les
inégalités et toutes les formes d’exclusion, de discrimination, marches pour les Droits et pour des
alternatives concrètes . Elles doivent permettre des convergences entre les mouvements sociaux, de créer
des actions, des rencontres, et des échanges de pratiques de luttes et d’alternatives.
Les premières étapes fixées sont :
 deux semaines d’actions, du 22 au 27 avril, et du 23 au 30 octobre (cette dernière s’inscrit
dans la préparation de la marche mondiale des sans voix).
 Des dates de mobilisation unitaires et de rencontres (à préciser) : à Bruxelles en mars 2003, à
Thessalonique et Evian en juin, à Paris en novembre, et à Rome en décembre. :

APPEL des MARCHEs EUROPÉENNEs DES « SANS VOIX »

Partout en Europe grandit la colère sociale et l’aspiration à une autre vie, une autre société, un
autre monde. Il est urgent que les luttes se coordonnent à l’échelle internationale, d’autant que
l’Union européenne prépare une Constitution où les Droits sociaux seraient bannis. Nous, chômeurs
et chômeuses, salarié(e)s avec ou sans emploi, précaires, paysans, jeunes et moins jeunes, mal
logés et sans logis, femmes, immigré(e)s, sans-papiers, handicapés, opprimés ; nous, collectifs et
réseaux de citoyens de toute l’Europe, mouvements de lutte des Sans-droits, organisations syndicales
et associative, déclarons la guerre aux inégalités sociales, aux atteintes à la liberté, aux
répressions, aux discriminations, au saccage de l’environnement..., et appelons à une mobilisation
internationale pour les Droits sociaux.
Pour que ces droits et ces exigences s’imposent et s’inscrivent dans les cadres nationaux,
internationaux et la future Constitution de l’Union européenne, nous voulons contribuer à une expression
directe de la base de la société et appelons à des marche européenne de sans voix.

1/ UN REVENU GARANTI : Alors que des millions d’habitants de l’Europe vivent en dessous des seuils
de pauvreté et que la misère s’étend, les richesses produites et les profits des groupes
capitalistes continuent de croître. Partout en Europe, et sur la planète, nous exigeons un Droit à un
revenu garanti individuel permettant de vivre, sans aucune discrimination d’âge, de sexe, d’origine ou
de tout autre type.

2/ PRÉCARISATION : L’Union Européenne et les États qui la constitue imposent aux salarié(e)s des
emplois de plus en plus précaires et mal payés. Nous nous élevons contre toutes les mesures de
travail forcé, contre toutes les formes de précarisation du travail, des statuts et des revenus, et de
temps partiel obligé, qui sont désormais imposées aux chômeurs par un chantage sur leurs
indemnisations, et affaiblissent les statuts des salariés.

3/ DROIT DE LUTTER : Contre la tyrannie et l’avidité patronale, nous voulons que soit respecté
dans toutes les entreprises d’Europe le droit pour les salariés, y compris les salariés précaires, de
s’organiser, de s’exprimer et d’agir, notamment par la grève. Pour un véritable droit à l’emploi,
nous exigeons une réduction massive du temps de travail, concertée partout en Europe, avec les
embauches correspondantes, sans perte de salaire ni de pouvoir d’achat, sans flexibilisation. Nous
exigeons également la création massive d’emplois socialement, culturellement, écologiquement utiles,
avec des salaires et des statuts garantis. Nous luttons et soutenons les initiatives alternatives
où s’inventent des formes nouvelles de culture, de vie et de production, où se crèent un autre
monde.

4/ DROITS SOCIAUX : Nous exigeons une convergence et une harmonisation vers le haut de tous les
Droits sociaux existants en Europe. Avec un accès gratuit, notamment pour les précaires, les sans
emplois et les personnes vulnérables, à tous les services essentiels : - Droit à des soins de
qualité pour toutes et tous, à une protection sociale de haut niveau- Droit au logement. - Droit à
l’éducation, à la culture, à la formation. - Droit à la justice. - Droits des jeunes à un revenu, à
l’emploi, à la formation. - Droit au transport et à tous les moyens de communication, à l’énergie. -
Droit à une retraite permettant de vivre. - Respect de l’environnement. - Droits des
consommateurs. - Interdiction du travail des enfants...

5/ SERVICES PUBLICS : La politique néo-libérale de l’Union européenne exprime des choix clairs en
faveur des intérêts des possédants et des groupes capitalistes, et contre ceux de l’immense
majorité de la population. Nous dénonçons notamment le démantèlement des acquis sociaux et la
privatisation des Services publics. Services publics dont nous exigeons la transformation, afin qu’ils
servent mieux qu’aujourd’hui les besoins des couches populaires et des démunis, et qu’ils soient
contrôlés par les usagers et les travailleurs qui y sont employés.

6/ LOGEMENT : l’Europe est frappée par une flambée des loyers et une spéculation immobilière
galopante, alimentée par les politiques publiques de précarisation des statuts locatifs, de régression
des politiques sociales du logement, de vente des patrimoines immobiliers publics et sociaux.
Vingt et un millions d’Européens sont mal-logés ou sans logis, les bidonvilles resurgissent, les
expulsions se multiplient, l’épuration sociale des centres ville s’accélère. Nous exigeons la
réalisation d’un véritable droit au logement, l’arrêt des expulsions, et de la privatisation des immeubles
publics et des logements sociaux, la réalisation massive de logements pour les revenus modestes,
la réquisition des logements vacants, la reconnaissance du droit à occuper des friches, locaux et
logements vacants pour créer des alternatives .

7/ REPRESSIONS : Sous son vernis « démocratique », l’Union européenne se transforme en une hypocrite
tyrannie libérale. Nous dénonçons la répression des mouvements sociaux ainsi que la relégation et
la criminalisation des catégories de la population les plus fragiles, sans domicile ou mal logés,
immigrés, mendiants, prostituées, Sans-papiers, gens du voyage, jeunes, habitants des quartiers
populaires . Nous dénonçons les atteintes répétées aux libertés les plus élémentaires, le
développement du fichage de masse, ainsi que la violence et l’impunité policières. Nous exigeons que soient
reconnues et garanties partout en Europe les libertés essentielles d’action, de manifestation,
d’expression et de circulation.

8/ DISCRIMINATIONS : Le racisme quotidien comme le racisme d’État, frappe à coups répétés les
populations issues de l’immigration, dont la jeunesses est désignée à la haine sécuritaire. Nous
dénonçons et luttons contre toutes les formes de racisme et de discriminations, telles que
l’islamophobie, l’antisémitisme, où à l’égard des nomades, des minorités culturelles, des peuples soumis à la
colonisation ou à l’esclavage par les pays européens, ou du fait de la couleur de la peau . Nous
exigeons partout en Europe l’égalité des droits civiques, politiques et sociaux .

9/ EDUCATION : Les systèmes d’éducation centrés toujours plus sur la compétition et la sélection
excluent des pans entiers de la jeunesse, enfants issus des catégories sociales pauvres,
handicapés, enfants de sans papiers ou de groupes culturels discriminés. Nous voulons une éducation qui
permette l’émancipation de chacune et chacun, qui renforce les solidarités, qui inclue tous les
enfants, qui permette de construire une société de justice, de Paix et d’égalité.

10/ CULTURE : parce que la culture est indissociable des processus de transformation et de lutte
sociale, qu’elle doit se construire en résistance à l’uniformisation et à la récupération
marchande des cultures populaires, nous affirmons :
que les nouvelles formes artistiques de résistance et leurs mouvements, sont partie intégrante du
mouvement de résistance global et des luttes de sans -voix , que le droit à la culture est un
outil de réapropritation de l’espace public,

11/ LES FEMMES : La précarité, le chômage, la misère frappent prioritairement les femmes, et nous
nous engageons en faveur de l’égalité, de droit comme de fait, entre les hommes et les femmes.
Nous refusons notamment toutes les discriminations qui entravent un accès égal des femmes à l’emploi,
au revenu, au logement, et cela partout en Europe.

12/ LES SANS PAPIER se voient imposer des formes de précarité du travail et d’exploitation proches
de l’esclavage, ils sont l’objet d’une répression brutale et inhumaine. Nous exigeons le droit à
la liberté de circulation et d’installation, la régularisation de tous les Sans-papiers,
l’instauration d’un statut de résident européen.

13/ - LES PAYSANS : L’oppression des firmes agro-alimentaires et la concentration de la propriété
soutenues par l’Union européenne éliminent progressivement les petits paysans, du Nord comme du
Sud, et les formes d’agricultures respectant l’environnement et les consommateurs. Nous exigeons
l’abandon de toutes les formes d’agricultures polluantes, y compris les OGM, dénonçons toutes les
formes de marchandisation de l’Humain et du vivant, et soutenons la mise en place d’une agriculture
durable et alternative, avec une juste redistribution de la terre.

14/ - LES ENFANTS : Dans certains pays européens les enfants travaillent dès l’âge de 11 ans pour
des salaires de misère . Tout les enfants et les adolescents, y compris handicapés, ont droit à
l’éducation, à un niveau de vie décent, à un avenir de paix et d’épanouissement, à des activités
récréatives et culturelles, à la jouissance pleine et entière à avoir une enfance et adolescence.
Nous luttons pour l’application de la convention internationale des droits de l’enfant au même
titre que les Droit de l’Homme.

15/ - LES HANDICAPÉS, enfants comme adultes, sont dans la plupart des pays européens, relégués
voire enfermés, et mis à l’écart de la société. Nous exigeons que les handicapés moteurs et mentaux
soient intégrés dans tout les circuits de l’éducation ordinaire avec les moyens pédagogiques et
médicaux adéquat, et aient accès au monde du travail ordinaire, sans discrimination de qualification
et de revenu .

16/ - LES PEUPLES EXPLOITÉS : L’Europe participe à l’oppression et au pillage des peuples du Sud
et de l’Est, et s’enrichit sur leur dos. Nous revendiquons une Europe ouverte, solidaire des
peuples de l’Est et du Sud et le Droit des peuples à choisir leur avenir
Nous exigeons l’Annulation de la dette, la supression immédiate des "plans d’ajustement
structurels", la remise en cause radicale des institutions internationales (banque mondiale, OMC, FMI,
G8...), des politiques de développement économique prenant en compte les besoins de la population
mondiale et la protection des ressources naturelles, des rapports Nord-Sud basés sur la solidarité
entre les peuples et non sur les politiques de dominations des pays les plus riches.

17/ : LES PEUPLES OPPRIMÉS : Nous voulons la paix, et que cesse toute guerre coloniale, tout
apartheid, toute opression, contre des peuples, telles que celles en cours contre les peuples
Palestinien, Tibetain, Irakien, Kurde, Tchetchènes, des Chiapas, Indiens d’Amérique, contre les peuples
indigènes et contre les minorités culturelles et cultuelles ... et que cesse toute aide apportée
par l’Europe aux oppresseurs.

18/ : UNE PLANÈTE DURABLE : l’activité industrielle, la polution et la marchandisation du vivant
provoquent un déréglement climatique de grande ampleur, un épuisement des ressources de la planète,
des famines, des épidémies délibérément non combattues, des catastrophes en série. L’europe est
aussi responsable de cette situation. Nous exigeons,le respect de la bio-diversité, des politiques
de lutte contre l’effet de serre et toutes les formes de polution, développement des énergies
non-polluantes et renouvelables, l’interdiction du brevetage du vivant . ..

Contacts :
no-vox@globenet.org
dal@globenet.org
droits-devant@globenet.org
Marches97@ras.eu.org

« LES SANS »
Par : Florence Aubenas (journaliste), Gérard Barrero (militant No Vox), Miguel Benasayag
(philosophe, psychanalyste), Carmen Castillo (cinéaste), Mona Chollet (journaliste), Jean-Baptiste Eyraud
(militant Droit au logement et No Vox), Thomas Lemahieu (journaliste), Laurent Lévy (avocat), Annie
Pourre (militante Droits devant !!), Malika Zediri (militante associative contre les précarités).

La crise structurelle que vivent nos sociétés, bien qu’elle prenne des formes différentes dans les
pays du Nord et du Sud, a partout le même sens : il n’est raisonnablement plus possible de croire
au développement qu’incarnent les pays du Nord et vers lequel tendent ceux du Sud. Ce modèle
productiviste, on s’en rend compte aujourd’hui, n’est ni extensible, ni même viable. Il ne fonctionne
pas. C’est pourquoi nos sociétés - qui comportent des zones de « Nord » au Sud, et des zones de « 
Sud » au Nord - sont des sociétés excluantes et centrifuges. Elles ne peuvent s’offrir le luxe d’« 
inclure » tout le monde dans leur modèle dominant de consommation. Elles ne peuvent pas ne pas
exclure ; ce sont des sociétés du délestage.

On voit aujourd’hui se développer une sociologie des « exclus », des « sans » : sans papiers, sans
travail, sans logement, sans accès à la santé, à l’éducation, à la culture, sans droit à la
différence (le handicap, par exemple)... Tous ceux qui sont « sans », c’est-à-dire des millions et des
millions d’êtres humains, puisque la moitié de l’humanité vit avec moins de deux dollars par jour,
ne se définissent donc pas par rapport à ce qu’ils sont, mais par rapport à ce qu’ils n’ont pas,
par rapport à ce qu’ils ne sont pas. Petit à petit, celui qui n’a pas devient celui qui n’est pas :
il est ce qu’il n’a pas, ce qui suggère que la privation en fait un être humain diminué. Par un
tour de passe-passe, elle devient l’essence de son être, sa définition. Cela conduit à une société
de l’étiquetage, où l’étiquette supplante l’homme. Etre, c’est avoir. Nous partons d’un principe
fondamental : dans notre société, il n’y a pas d’exclus ; tout le monde est inclus, mais en des
lieux différents. Celui qui est dans le besoin, celui qui va mal, qui n’a droit à rien, n’est pas
exclu : il occupe la place qui est la sienne dans une société injuste.

Non seulement les « sans » ne sont pas exclus, mais ils sont l’élément sur lequel reposent nos
sociétés, car ils sont identifiés comme une source d’insécurité. Ils sont le ciment d’une société
sans ciment. Privés d’accès aux soins, ils inquiètent les intérêts des bien portants et du système de
santé ; squatters ou privés de terres à cultiver, ils inquiètent les propriétaires ; privés de
papiers, ils inquiètent les nationaux ; privés des biens élémentaires, ils inquiètent ceux qui en
disposent ; privés de travail, ils inquiètent ceux qui en disposent et servent d’arme de chantage
pour imposer la précarité à tous les salariés. Les « sans » assument cette fonction sociale qui est
d’incarner l’insécurité, cette insécurité absolument nécessaire pour maintenir notre société de
discipline et d’isolement. Ils offrent l’image de ce qu’il ne faut devenir à aucun prix, justifiant
une barbarie quotidienne, l’écrasement du voisin, l’acceptation d’un modèle de société qui menace
toute l’humanité. L’insécurité isole les différentes familles d’un même immeuble, les habitants
d’un même pays, isole les pays les uns des autres... Elle est un modèle de domination qui a cours
aussi bien en macropolitique que dans les vies individuelles. Ce terme est utilisé à propos de tout,
sauf à propos des grandes sources d’insécurité réelle. Par ailleurs, se croire un « inclus », un « 
avec », relève d’une illusion : l’immense majorité des « inclus », même très haut placés, ne vit
que sous la menace de l’exclusion. Inclusion et exclusion sont les deux faces d’une seule et même
médaille, celle d’une société disciplinaire. Accepter qu’il y ait des exclus et des inclus implique
d’accepter cette société disciplinaire.

La lutte des « sans » a marqué les esprits ces dix dernières années, mais elle reste aux yeux de
la plupart des gens, y compris des principaux intéressés, motivée uniquement par le désespoir et
par les nécessités de la survie. Or, notre hypothèse est que les « sans » sont porteurs de bien plus
que d’une simple lutte catégorielle. Nous sommes à un moment charnière où ils débordent de la
simple lutte pour la survie, sans toutefois être encore de nouveaux sujets sociaux - c’est-à-dire sans
cesser d’être des objets de sociologie pour devenir eux-mêmes des sujets ; sans cesser d’être ceux
que l’on regarde pour devenir ceux qui regardent la société, qui la pensent, qui l’interpellent.
Tout le monde se rend compte que la lutte des squatters, des sans terres, des sans papiers, est
porteuse de quelque chose qui interpelle l’ordre injuste de notre monde ; et pourtant, ses
protagonistes, mal représentés dans les instances contestataires internationales, n’arrivent pas encore à
être une multiplicité de sujets sociaux. Ils n’ont pas conscience de leur légitimité à l’être, et
n’apparaissent pas non plus aux yeux des autres, au-delà de la sympathie qu’ils peuvent susciter,
comme des acteurs sérieux, porteurs de nouvelles formes de sociabilités et constructeurs de mondes
meilleurs. Or il faut faire en sorte que la société et ses problèmes se pensent depuis de
véritables laboratoires, qui produisent depuis la marge ce qui est insoluble depuis le centre. Le
capitalisme est en roue libre, et son hégémonie repose sur des fondations bien trop profondes pour qu’on
puisse la réduire à un affrontement entre salauds et gentils. La réalité actuelle, si injuste et
détestable qu’elle soit, a des raisons d’être ce qu’elle est, et il faut s’atteler à comprendre ces
raisons. Le changement ne relève pas d’un « il n’y a qu’à », mais nécessite au contraire une
sérieuse production de pensée. Ce travail ne pourra venir que des « sans » et de leurs amis.

Pourquoi les « sans » peuvent-ils devenir de nouveaux sujets sociaux ? Parce que, à un moment
donné, ils cessent de s’accrocher à l’espoir. Voilà le point où ça pivote : quand, tout à coup, on
perd aussi l’espoir, qui n’est à nos yeux qu’un mécanisme de dévitalisation du présent. On pourrait
croire que, sans espoir, c’est encore pire ; mais cela signifie au contraire que les gens, en
prenant conscience qu’ils doivent développer leur propre puissance, leur propre liberté, pour créer de
nouvelles conditions de vie, éprouvent et expérimentent quelque chose dont le reste de la société
est privé. Dans un monde dominé par l’impuissance, par l’incapacité à influer sur son devenir, les
« sans » exercent un nouveau type de protagonisme, qui ne reste pas au niveau des souhaits. Alors
qu’au centre, des millions de personnes, de façon abstraite, souhaitent le changement, eux, dans
les marges, sont dans des pratiques de changement. Et c’est cela qui est déterminant.

Nous partons en effet de l’hypothèse que, malgré le développement d’un mouvement contestataire,
pour le moment, et peut-être pour longtemps, un changement de modèle de société, un changement
d’hégémonie, est improbable. Rien ne se dégage qui nous permette de dire : le monde va s’ordonner sur
des bases différentes. Souhaiter ce changement, si fort que ce soit, ne suffit pas à le rendre
réalisable. Il n’y a pas de révolution en vue, ni même de réforme, puisque, le modèle n’étant pas
extensible, il faudra toujours déshabiller les uns pour habiller les autres - si du moins ces derniers
veulent être habillés comme les autres. Quoiqu’il en soit, nous estimons que la possibilité ou non
d’un changement d’hégémonie n’est pas notre problème. Souhaiter l’avènement d’une autre situation,
qui se substituerait purement et simplement à celle qui est à la nôtre, ce serait céder à une
illusion, et se condamner à l’impuissance. La seule chose que nous puissions faire, c’est développer
et cultiver des pratiques de changement.

A une époque confrontée à la raréfaction de l’eau, à une disparition de 50% des espèces, à la
fonte des glaces, à la dégradation de l’atmosphère, à des pollutions installées pour des millénaires,
la seule résistance réelle, la seule subversion, est de désirer autrement. Si les gens continuent
à se lever le matin - ou à ne pas se lever, d’ailleurs - pour les mêmes raisons qu’aujourd’hui,
nous courons à la catastrophe. Comment désirer autrement ? Les « sans » ont des réponses à cette
question. Une majorité d’entre eux continuent à désirer être des « avec », à désirer là où on leur
dit de désirer, et, de ce fait, ils restent des objets sociaux. Ils restent à la place où le système
les veut. Ils restent dans l’illusion qu’ils sont des exclus et qu’ils pourraient être des inclus.
Mais par ailleurs, en Amérique du Sud, en Italie, à certains endroits en France, de façon
minoritaire mais très intéressante, on voit se dessiner des lignes de fuite : un certain nombre de « sans
 » se mettent à désirer autrement. Au lieu de s’accrocher au rêve de la consommation, ils
construisent des foyers de solidarité. Partout dans le monde, de façon frappante, des gens disent : « Nous
avons cherché des moyens de survie, et nous avons trouvé une forme de vie supérieure. »

Nous sommes convaincus qu’il existe chez eux, à condition qu’ils deviennent des sujets, un contenu
universel qui dépasse largement leurs revendications concrètes. Un autre élément subversif de leur
combat est qu’ils assument le fait d’être sans utilité économique, et d’avoir pourtant droit à la
vie. Dans leurs pratiques, ils revendiquent la profonde nature humaine, qui n’a pas à être utile :
l’homme n’est pas un outil de production. Le revenu vital n’a pas à être déguisé en salaire.

Cette déclaration se veut un simple point de réflexion entre les « sans », pour eux, et pour la
société. Elle a pour but une mise à jour de la réflexion, et ne vise surtout pas à créer une
coordination - ni même forcément des liens durables. Il ne s’agit surtout pas de formater ou de diriger
les mouvements, de tenter d’instaurer une centralité qui serait catastrophique, mais seulement de
se rassembler à quelques occasions, de façon éphémère, pour mettre en circulation quelques
réflexions communes et les offrir à la multiplicité. Se rassembler, puis s’éparpiller à nouveau pour se
rassembler avec d’autres, ou pour se retrouver plus tard, ailleurs, permettrait d’éviter à la fois
l’écueil de la dispersion et celui du formatage.

Florence Aubenas (journaliste), Gérard Barrero (militant No Vox), Miguel Benasayag (philosophe,
psychanalyste), Carmen Castillo (cinéaste), Mona Chollet (journaliste), Jean-Baptiste Eyraud
(militant Droit au logement et No Vox), Thomas Lemahieu (journaliste), Laurent Lévy (avocat), Annie
Pourre (militante Droits devant !!), Malika Zediri (militante associative contre les précarités).