"Beethoven" ne doit pas devenir une barbarie technique

de Sabiha Ahmine

"Mosquito", est un petit boîtier électronique qui émet des ultrasons audibles pour chasser les jeunes perturbateurs dans les quartiers. 40 ans après Mai-68, une innovation formidable !

Au printemps de quoi rêves – tu ? nous chuchote le poète à l’oreille, en cette date anniversaire. C’est vrai, la jeunesse de Mai 68, a rêvé de plusieurs merveilles de ce monde actuel, beau avec ses 35 heurs, avec ses plages et ses vacances... Mais hélasse, dans le monde d’aujourd’hui, il y aussi le cruel, le chacalisme et la barbarie endormi, qui menacent à chaque instant, dans l’indifférence, notre bien vivre ensemble.

Après les produits répulsifs anti-SDF, après les testes ADN, à qui le tour ? En effet si vous pensez avoir une idée du rêve que nous réserve "Mosanto" et ses OGM, vous allez mieux apprécier ce que peut réserver "Mosquito" : un petit boîtier électronique qui vient de faire son apparition en France et qui émet des ultrasons audibles uniquement par les jeunes dans les quartiers.

Il ne s’agit pas d’un citoyen hybride ou de l’affreuse marionnette de Frankenstein, mosquito est un répulsif sonore anti- jeunes. Les sons émis par cette monstruosité technologique et morale sont insoutenables pour les oreilles des adolescents. Ce qui pose un problème de santé publique, car au-delà de 95 décibels, le son présente un danger pour l’audition mais aussi... pour les femmes enceintes... Avec l’âge, l’appareil auditif perd en effet une partie de ses capacités dans les fréquences extrêmes.

Vendu en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas depuis deux ans, ce boîtier anti- jeunes serait en cours de commercialisation en France à un prix de l’ordre de 850 euros. Ce joli joujou répond au nom évocateur de "Mosquito" (moustique) et a été rebaptisé Beethoven en France dont il n’aura échappé à personne qu’il était atteint d’une franche surdité. Une cinquantaine de bailleurs sociaux et de syndics auraient déjà fait l’acquisition de ce produit destiné à éloigner les adolescents de certains lieux de rassemblement comme les halls d’immeubles ou les cages d’escalier.

J’ai présidé récemment à la Maison des Passages, un lieu historique de la citoyenneté, de l’humanisme et de la solidarité lyonnaise, un colloque au tour des cultures urbaines. Je trouve que le principe même de cette « chose » est intolérable et doit être condamné sans réserve. L’accepter c’est stigmatiser les jeunes des quartiers. Comme le fond constater des sociologues, c’est la voie au pire, « à une société divisée, fragmentée, où la peur de l’autre érigerait des barrières invisibles, durcirait les rapports humains au sein d’une collectivité dont la seule ligne d’horizon doit rester la construction d’un " vivre ensemble " ».

Cependant se contenter de la seule indignation morale, comme le fait à juste titre Mme Amara ou Mme Boutin, est certes nécessaire mais insuffisante. En effet si on admet que notre société dispose de suffisamment de moyens de médiation et de dialogue au travers des élus, des associations, des MJC, des éducateurs et des forces de police de terrain, elle peut surtout résoudre avec des moyens humains les problèmes. On peut résoudre, avec le dialogue ou la participation politique, les problèmes de simple voisinage ou de bruit autrement que par des boîtiers à ultrasons.

C’est pourquoi, l’usage civil de "Mosquito " doit être ainsi interdit en France, en Europe et ailleurs. L’héritage musicale de Beethoven ne peut pas devenir une barbarie technique, mais un outil citoyen de dialogue et d’éducation au civisme qui s’intègre d’une manière parfaite au paysage urbain.