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Bové et les autres ?

Publie le dimanche 3 août 2003 par Open-Publishing

N’oublions pas ceux qui sont encore derrière les barreaux (René Riesel et
d’autres : merci de m’informer sur la liste des autres condamnés, je ne la
trouve pas sur internet..). On peut l’étendre aussi aux militants récemments
incarcérés et aux multiples opérations violentes de la police contre ceux
qui mènent des actions directes contre le capitalisme.
N’oublions pas ceux qui vont bientôt les rejoindre (neuf militants de la
Confédération paysanne ont été interpellés suite à une action de
neutralisation d’un champ de mais transgénique le 22 juillet à Guyancourt
(Yvelines) : Nicolas Duntze, Hubert Caron, Geneviève Savigny, René Louail,
Léo Mertens, Pierre Machefert, et Dominique Macé). Et nous, et nous !

Comme tout cela ressemble à cela :

Joseph Ettor, un responsable de l’IWW, affirmait que « si les travailleurs
du monde entier [voulaient] l’emporter, il leur [suffisait] de prendre
conscience de leur solidarité, de croiser les bras pour que le monde soit
paralysé. Les travailleurs sont plus puissants avec leurs mains dans les
poches que tout l’argent des capitalistes. »

C’était une idée extrêmement puissante. Au moment même où la croissance
capitaliste devenait fantastique et les bénéfices énormes, et au cours des
dix années captivantes qui suivirent sa création, l’IWW représenta une
menace pour la classe capitaliste. Officiellement, l’IWW ne compta jamais
plus de cinq ou dix mille membres en même temps. Les gens allaient et
venaient, mais on peut néanmoins estimer à cent mille environ le nombre
total des membres de l’IWW. Leur énergie, leur persévérance, leur force de
conviction, leur capacité à mobiliser des milliers de personnes en un lieu
et à un moment précis leur conféraient un poids dans le pays sans rapport
avec leur effectif réel. Ils voyageaient partout et nombre d’entre eux
étaient des travailleurs itinérants ou sans emploi. Ils militaient,
écrivaient, discouraient, chantaient et pour finir propageaient leur idéal
et leur message.

Ils furent la cible de toutes les armes dont le système pouvait disposer :
la presse, les tribunaux, la police, l’armée, la violence de rue. Les
autorités locales votèrent des lois pour les empêcher de s’exprimer mais les
Wobblies défièrent ces lois. À Missoula (Montana), un pays de scieries et de
mines, des centaines de membres de l’IWW arrivèrent dans des wagons de
marchandises après que certains d’entre eux eurent été empêchés de
s’exprimer. On les arrêta les uns après les autres, tant et si bien qu’ils
finirent par encombrer cellules et tribunaux, contraignant la ville à
abroger son arrêté interdisant la prise de parole en public.
À Spokane (Washington), en 1909, un arrêté fut voté qui interdisait les
rassemblements sur la voie publique. En conséquence, un membre de l’IWW qui
tenta néanmoins de s’exprimer fut arrêté. Des milliers de Wooblies
convergèrent vers le centre-ville. Ils prirent la parole l’un après l’autre
et furent arrêtés. Bientôt, six cents d’entre eux se retrouvèrent derrière
les barreaux. Les conditions de détention étaient terribles et plusieurs
personnes moururent dans leurs cellules, mais l’IWW retrouva sa liberté
d’expression.

En 1911, la lutte pour la liberté d’expression se transporta à Freno
(Californie). Le Call de San Francisco écrivit que c’était « une de ces
étranges situations qui éclatent soudainement et sont difficiles à
comprendre. Quelques milliers de gens, dont l’activité est de travailler
avec leurs mains, se mettent en route et voyagent en fraude, affrontant les
pires difficultés et risquant mille dangers pour venir se faire mettre en
prison ».

En prison, ils chantaient, criaient et haranguaient à travers les barreaux
de leurs cellules des groupes rassemblés à l’extérieur. Selon Joyce
Kornbluh, qui a publié une remarquable collection de documents de l’IWW,
Rebel Voices, « ils discutaient à tour de rôle de la lutte des classes et
entonnaient des chants de l’IWW. Lorsqu’ils refusaient de se taire, le
geôlier appelait les pompiers et ordonnait qu’on les arrosât avec les lances
à incendie. Les hommes utilisaient leurs matelas comme boucliers et le calme
ne revenait que lorsque l’eau glacée atteignait les genoux des prisonniers
 ».

Lorsque les autorités de la ville apprirent que des milliers d’autres
militants prévoyaient de s’y rendre, elles levèrent l’interdiction de
s’exprimer dans les rues et relâchèrent les prisonniers par petits groupes.
La même année, à Aberdeen (Washington), même scénario : décret contre la
liberté d’expression, arrestations, prison et, contre toute attente,
victoire. L’un des hommes arrêtés, « Stumpy » Payne (Payne le Courtaud),
charpentier, ouvrier agricole et rédacteur en chef d’un journal de l’IWW,
écrivit au sujet de ces événements : « Ils étaient là, dix-huit gars dans la
force de l’âge, dont la plupart avaient parcouru aussi vite qu’ils l’avaient
pu de longues distances sous la neige en traversant des villes hostiles,
sans argent et affamés, pour rejoindre un endroit où l’emprisonnement était
le plus doux traitement auquel ils pouvaient s’attendre. Un endroit où de
nombreux autres avaient déjà été traînés dans la boue et quasiment battus à
mort. [...] Pourtant, ils étaient là, riant comme des enfants devant ces
événements tragiques qu’ils considéraient comme de simples blagues.
Qu’est-ce qui motivait ces hommes ? [...] Pourquoi étaient-ils là ? Le
besoin de fraternité chez l’être humain est-il plus fort que la peur ou
l’inconfort, et ce malgré l’énergie dépensée depuis six mille ans par les
maîtres du monde pour extirper cette soif de fraternité qui habite l’esprit
humain ? »

Howard Zinn
Extrait [pages 378/379] de Une histoire populaire des États Unis,
traduit par Frédéric Cotton, Agone, 2002.