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CULTURE : "La parole donnée doit être respectée"

Publie le mercredi 19 juillet 2006 par Open-Publishing
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de Jack Ralite, sénateur

Tout le monde connaît la rude histoire à laquelle sont confrontés
depuis trois ans les intermittents du spectacle, ces artistes et
techniciens qui font l’essentiel de nos plaisirs artistiques et
culturels.

Le 26 juin 2003, au sein de l’Unedic certains partenaires sociaux
minoritaires côté salariés et patronal signaient en - effet un
protocole d’accord chargé de faire des économies, de supprimer des
abus, de précariser la précarité des intermittents, ce que le
gouvernement agréa.

On sait le mouvement d’ampleur nationale, avec une solidarité jamais
démentie, qui en résulta, et jusqu’à la création d’un comité de suivi
regroupant partenaires sociaux non - signataires et majoritaires côté
salariés et patronal (CGT spectacle, SUD spectacle, SRF, Syndéac, U
fisc), la coordination des intermittents et des députés et sénateurs
de toutes sensibilités. Tout fut alors action-construction pour
aboutir à une proposition de loi soutenue par 471 parlementaires,
dont la majorité de députés à l’Assemblée nationale.

Les partis politiques soutinrent cette démarche. Ainsi la convention
pour la culture de l’UMP, le 24 janvier 2006, où Nicolas Sarkozy
déclara notamment : « Cessons de croire qu’en matière culturelle les
déclarations d’intentions suffisent. (...) Ce n’est pas parce qu’il
s’agit de culture que l’on doit se contenter de mots ».

Le ministre de la Culture, plusieurs fois dans l’année et
solennellement devant l’Assemblée nationale le 30 mars 2006, alla
dans le même sens.

À vrai dire, pour certains, l’engagement législatif était conditionné
à l’échec des négociations reprises à la fin de l’automne entre les
partenaires - sociaux.

Précisément, il y eut échec le 18 avril, après de nombreuses étapes
sans conclusion. Si un projet vit le jour, il était très proche de
celui de juin 2003, qui n’avait d’ailleurs ni fait d’économies, ni
réglé les abus mais précarisé l’intermittence.

Ce projet inéquitable, illisible, inefficace malgré une retouche
gouvernementale n’eut le 18 mai 2006, date butoir, qu’une signature,
celle du MEDEF, la CFDT suivie par la CFTC et la CGC remettant leurs
signatures éventuelles à plus tard. Aujourd’hui, il serait question
du 19 décembre.

Pourtant, bien qu’il n’y ait que la signature du MEDEF, le ministère
la fortifiant en déclarant qu’il agréera le texte tel quel, rien ne
se passe.

Ainsi, tant de forces réunies et,d’un seul coup, c’est l’impasse. En
fait, nous sommes face à l’impuissance démissionnaire consécutive à
la rupture muette des engagements pris par certains, c’est la
déréglementation de la parole donnée.

Voilà un projet de loi, expérience combien heureuse d’élaboration
démocratique ayant mêlé experts et experts du quotidien, un projet de
loi rare qui fait société et qui, au moment du passage à l’acte, est
abandonné par une partie de ses auteurs, et non des moindres, après
des semaines d’incertitude, de flou, d’atermoiements, d’enlisement
pour déboucher sur la précarité de la parole donnée.

Voilà un projet de loi que la CFDT accompagnée de la CFTC et de la
CGC viennent de demander au président de l’Assemblée nationale de ne
pas inscrire à l’ordre du jour et s’entendre répondre que, pour lui,
c’est d’abord la négociation des partenaires sociaux qui compte,
revenant ainsi sur ses engagements devant le comité de suivi le 2
mars dernier, c’est de l’irrespect de la parole donnée. Soyons
précis : les irrespectueux en agissant ainsi pratiquent l’arrogance,
l’outrage, osons le mot, une forme de violence, c’est-à-dire tentent
d’obliger au silence l’autre, les autres, l’immense majorité. C’est
comme une mise à l’index. C’est une forme d’arbitraire visant à
désespérer le monde du spectacle.

Cette année, le Festival d’Avignon fête ses soixante ans. 1 142 jours
après le mauvais coup du 26 juin 2003, c’est un témoignage de
solidarité avec ce Festival, ses artisans, ses artistes qu’habite
l’esprit de Jean Vilar, « homme de la parole donnée et respectée »,
qui ne méprisait rien tant que les

« girouettes ». Ce qui se passe sur ce dossier d’intérêt national et
artistique est un déni de culture, un déni de démocratie, un déni
d’égalité.

Les infidèles aux engagements pris devraient savoir que de manigancer
des conflits à dormir debout, que de lancer de bonnes paroles du bord
de la route peut contrarier le mouvement artistique, mais ne le
bloquera pas, car, reprenant les mots de Péguy ; nous disons aux
autocenseurs de leurs engagements : « Il ne vous manque rien/ Il vous
manque encore ceci/ Il ne vous manque plus que ceci/ Mais il ne vous
manque pas moins/ Il vous manque encore ceci/ Il vous manque de
savoir. »

Comme le disait René Char, que « l’inaccompli bourdonne l’essentiel
 ». Dans cet essentiel, il y a la dignité, le respect de l’autre,
l’heure exacte de la conscience, la résistance, de nouveaux
commencements, la culture comme bien public.

À demain, en multipliant les occasions de penser et d’agir, en étant
des gêneurs perpétuels, des citoyens comme Jean Vilar, c’est-à-dire « 
une expérience et de la morale ». Le comité de suivi doit demeurer
pour que l’essentiel s’accomplisse.

http://www.humanite.fr/journal/2006-07-17/2006-07-17-833638

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