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Cannes : la violence policière plein cadre

Publie le mardi 18 mai 2004 par Open-Publishing

Récit des scènes de tabassage qui ont eu lieu samedi contre des intermittents du spectacle et des journalistes. (-Photos © E FRANCESCHI - agrandir)

Les intermittents tardaient à faire dégénérer le festival. Alors, les policiers leur ont donné un coup de main, ou de poing, samedi, avec efficacité. Samedi, 17 h 45. Ça s’appelle « Les flics cognent au Star », ce ciné, rue d’Antibes, que quelques dizaines d’intermittents et précaires ont choisi d’occuper. Leur premier acte olé olé : ils bloquent des projections du marché du film, pour « enrayer la machine économique du cinéma ». Bon enfant, mais les spectateurs ne sont pas ravis, ni la direction du ciné, qui appelle la police. Un premier type bizarre, en civil, traîne. S’en va. Revient avec ses copains. Et là, du grand art. A six, ultraviolents, ils foncent sans s’annoncer dans le cordon des manifestants potaches barrant l’entrée.

Des flics ? Ils n’ont pas de brassard. Des vigiles brise-grève ? Les manifestants ripostent. Les six énergumènes sortent leurs brassards « Police ». Empoignades. Coups. Un policier en civil enfonce son doigt dans l’oeil d’un manifestant. Arrive le commissaire André Trouvé, patron des flics de Cannes, qui indique : « On a ce qu’il faut. » Des CRS déboulent. Cognent à tout-va. Evacuation du ciné. Les manifestants, sonnés, apeurés, sortent les mains en l’air. Les flics les projettent dehors. Les six civils ressortent : ils veulent des interpellations. Visent des gens et foncent. Interpellations particulièrement violentes. Du sang coule. Ça matraque, même un policier municipal se défoule.

Parmi les visés, Tommaso di Giorgi, 44 ans, chômeur. Militant d’AC !, il a l’habitude des occupations : en général, la police vient, s’annonce, donne dix minutes pour libérer les lieux, et tout se passe bien. Ici, juste de la violence policière, disproportionnée. Un civil fonce sur lui. Tommaso comprend. Trop tard. Le civil le pousse par-derrière. « Je suis tombé avec la tête sur le phare de la voiture de police, raconte Tommaso. J’ai appris plus tard qu’il était cassé [le phare, mais son nez aussi]. Je perdais connaissance. Le flic a dit "Oh putain ! Allez, fais pas le con, t’en vas pas dans le coma !" » Tommaso part à l’hosto. Deux points de suture sur le nez, trois sur le menton. Il veut ressortir. Le médecin refuse. Tommaso signe une décharge. Comme risque, le médecin écrit : « Décès. » Réjouissant. Finalement, trois flics l’entendent à l’hôpital, Tommaso est libéré à minuit.

20 h, journaliste menotté. Entretemps, les policiers ont joué le deuxième acte : « Les flics bastonnent du journaliste ». 20 heures, cent manifestants bloquent la circulation devant le commissariat, pour protester contre les quatre gardes à vue. « Libérez nos camarades ! » Charge des CRS à travers les voitures de badauds bloquées. « Pas charge, corrigera un responsable, refoulement. » Guest stars : les six civils du ciné. Mais c’est Gwenaël Rihet, de France 3, qui va morfler. Il a un tort : il filme les interpellations, à nouveau très violentes. « Chaque fois, j’étais bousculé. » Gwenaël flippe. « Les flics veulent me casser la gueule. » On peine à le croire. Erreur.

Deux minutes plus tard, un civil le fauche par-derrière. S’assoit sur lui. Ses collègues le frappent, coups à la tête, à la hanche, aux jambes, au torse. Lui passent les menottes dans le dos. Gwenaël pisse le sang : la tête. Ça lui vaudra quatre points de suture. Plus tard. Car auparavant, les flics tentent de récupérer la caméra, mais le preneur de son réussit à la sauver. Et Gwenaël part au poste. « Les flics me disent : "Ça va chauffer." J’ai pensé : "Ils vont encore me porter des coups." » Il est libéré à 23 h 30.

Entretemps, les flics se rendent compte qu’ils sont allés trop loin. Deux journalistes (AFP et LCI) ont été molestées. Même le commissaire Asso a été fauché par une charge. Il boite bas. Le genou. Prétend que c’est un coup d’un intermittent. Tiré de sa soirée au festival, le sous-préfet Claude Serra, en smoking, improvise une version. Elle ne tient guère. Au Star, il y aurait eu « une bagarre avec des Anglais » justifiant l’intervention. Personne ne l’a vue. Le cameraman ? Les flics n’auraient pas compris qu’il était journaliste. Dur à croire. Ils ne voulaient pas de témoins, cognaient comme si, après quatre jours de frustration, ils pouvaient enfin se défouler. Tommaso, le blessé ? « Il a glissé. » Tout seul ? Le sous-préfet annonce huit blessés policiers, trois chez les manifestants. Dans ses petits souliers (vernis), il n’insiste guère. La nuit, les télés passent les images. Accablantes.

Dimanche, le préfet des Alpes-Maritimes « présente ses excuses, notamment aux journalistes ». « Votre confrère de France 3 a été blessé dans des conditions inacceptables, affirme Pierre Breuil. Dès demain [ce lundi], j’engagerai des poursuites disciplinaires contre les auteurs, que je connais. Les deux policiers seront punis. » Deux ? On a vu une équipe de six, ultraexcités. Le ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, trouve les incidents « très regrettables » et « choquants ». La patronne du Star est « en dépression », selon un employé. Le cameraman de France 3, qui a porté plainte, est sonné. Et les intermittents, traumatisés. Les six flics ont peut-être atteint leur but...

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Photos © ERIC FRANCESCHI. VU - De gauche à droite et de haut en bas : deux policiers (à gauche) interviennent sans brassard au cinéma le Star ; les manifestants sortent bras en l’air pour signifier leur non-violence ; près du commissariat, le cameraman de France 3 (à terre, à gauche du poteau) est frappé par des policiers en civil et des CRS ; les CRS chargent des manifestants.

Par Michel HENRY
lundi 17 mai 2004 (Liberation - 06:00)