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Ce qui a mal tourné. Le point de vue d’un anthropologue.

Publie le mardi 10 mars 2009 par Open-Publishing
2 commentaires

Ce qui a mal tourné. Le point de vue d’un anthropologue.

Publié par Paul Jorion dans Constitution pour l’économie, Economie, Matières premières, Monde financier, Questions essentielles

Ma communication au colloque Fermons le casino : comment construire une économie réelle plus juste et plus forte ? organisé le 3 mars par le groupe socialiste du Parlement Européen.

Les sociétés modernes d’origine européenne se sont bâties sur le schéma d’une structure tripartite où l’on trouve guerriers-pillards, prêtres et gens du commun. Au moment où la démocratie apparaît, l’appropriation de la terre et des ressources qu’elle contient par les guerriers-pillards est en place de longue date. L’héritage avait facilité et renforcé une telle appropriation. Les révolutions bourgeoises du XVIIIe siècle complétèrent le pouvoir fondé sur la force par celui fondé sur l’argent. C’est l’argent qui soutint à partir de là les rapports de force que l’épée avait autrefois instaurés. Au XXe siècle, le colonialisme et, paradoxalement aussi le communisme, assurèrent la mondialisation de cet ordre social et économique d’origine européenne. On évoque aujourd’hui la nécessité d’un « aplanissement du terrain de jeu » ( leveling the playing field), on ignore hardiment ainsi que le terrain ne fut jamais plan.

1. Les stock options ou l’alliance sacrée entres investisseurs et dirigeants d’entreprises

Dans une citation qui ne passa pas inaperçue en 2006 et qu’avait pu extraire de lui Ben Stein du New York Times, le fameux investisseur Warren Buffett avait déclaré : « Oui, il y existe bien une lutte des classes mais c’est ma propre classe, celle des riches, qui la mène et nous sommes en train de l’emporter ». La petite phrase marqua le retour en force d’une expression démodée. Il est vrai qu’avec la montée en puissance de l’École de Chicago en sciences économiques, l’expression de « lutte des classes » avait été frappée d’un tabou et les mots « capitalistes » (autrement dit « investisseurs »), « patrons » (ou « dirigeants d’entreprises ») et « travailleurs » (ou « employés », « associés », « membres de l’équipe », etc.) retirés du vocabulaire économique et remplacés par la notion fourre-tout de « masse monétaire », et ceci dans un grand mouvement qui vit les personnes remplacées dans les explications économiques par des « forces physiques ». Ce qui ne signifiait pas pour autant que la lutte des classes avait cessé, ni surtout qu’elle n’avait jamais eu lieu.

L’opération finale et la plus décisive de la lutte fut menée à la fin des années 1970 par le bureau d’études McKinsey qui mit au point les « stock options » grâce auxquelles « les intérêts des investisseurs et des dirigeants d’entreprises seraient une fois pour toutes alignés ». Leur plan réussit, et ceci au-delà de toute espérance.

La répartition des revenus : ce qu’il en advint

Avant que les stock options ne soient inventées, les salariés participaient à un grand jeu des trois nations où les investisseurs et les dirigeants d’entreprises jouaient chacun pour soi. Mais l’introduction des stock options mit fin à cette époque : une alliance sacrée était née et les salariés furent balayés. Leur part du gâteau s’amenuisa de plus en plus et toute tentative de leur part de l’augmenter fut brutalement contrée par les banques centrales soucieuses des masses monétaires, faisant grimper les taux d’intérêt – et du coup le taux de chômage – chaque fois que les salariés faisaient mine de broncher.

Leurs revenus se réduisant, les salariés furent forcés d’emprunter toujours davantage. Les banques commerciales, complaisantes, s’exécutèrent. Parallèlement les sociétés avaient cessé de réinvestir leurs bénéfices et tout le monde emprunta désormais. Les intérêts devinrent une composante de plus en plus lourde des prix. Le « capital » – à savoir l’argent dont on a besoin mais dont l’on ne dispose pas – poursuivit sa concentration dans un nombre de mains qui se réduisait encore. Bien entendu, plus le capital est concentré, moins il a de chances de se trouver là où il pourrait servir utilement.

La spéculation : la montée en puissance de la Société Spéculative

Que faire quand on ne dispose pas de l’argent dont on aurait besoin et que l’on sait pertinemment que travailler davantage ne ferait pas une grande différence ? Acheter un billet de loterie bien sûr. À la fin du XXe siècle chacun avait abouti à cette conclusion et les expressions « bulle financière » et « croissance » étaient devenues synonymes.

On avait cessé d’acheter des actions pour les dividendes qu’elles accordent (la part prosaïque du surplus que la compagnie a pu dégager grâce à votre investissement) mais pour leur plus-value. Pour que ceci devienne possible il fallait transformer la bourse en un casino et la cote de l’action Total ou BP devait se modifier toutes les cinq secondes. Bien entendu rien dans la manière dont Total ou BP mènent leurs affaires ne justifie que la cote de leurs actions se modifie toutes les cinq secondes – pas davantage que tous les cinq jours d’ailleurs. Mais la condition est indispensable pour que la bourse se transforme en un casino où des plus-values colossales seront encaissées. Quand ce beau plan cesse de fonctionner, c’est le krach, que l’on constate en effet tous les quatre-vingts ans environ.

Des émeutes de la faim fomentées par des musées et des hôpitaux

Si le commerce du blé se trouvait uniquement entre les mains de ceux qui ont du blé à livrer ou qui veulent en prendre livraison, son prix serait déterminé par la quantité qui en est produite et celle qui en est requise : ce que l’on appelle communément la loi de l’offre et de la demande. Mais ce n’est pas de cette façon que les choses fonctionnent de nos jours : le prix du blé est déterminé aujourd’hui par les paris que font les grands investisseurs institutionnels : les fonds de retraite, les fondations universitaires, les hôpitaux ou les musées. On pourrait s’attendre – au sein d’un monde rationnel – qu’ils focalisent leur attention sur les pensions à verser aux retraités, sur l’enseignement à dispenser aux étudiants, sur le soin à apporter aux patients ou sur la mise en valeur des œuvres artistiques, que non : ils portent toute leur attention à pousser à la hausse ou à la baisse le prix du blé et ceci pour protéger leurs avoirs, sans se soucier outre mesure du fait que des individus vivent ou meurent du fait de leur spéculation.

Les marchés au comptant ou à terme permettent à ceux qui sont exposés à un risque réel (dû au climat, à l’environnement économique général, etc.) de se couvrir, autrement dit de contribuer à réduire le risque global. Au contraire, ceux qui prennent des positions « nues » sur ces marchés, créent de toutes pièces un risque qui n’existait pas préalablement. La couverture procure une assurance alors que les positions « nues » ne sont rien d’autre que des paris créateurs de risque pour les parties impliquées et pour ceux qui dépendent d’elles. La fonction assurantielle de la finance protège l’économie alors que les paris la tuent. Les politiques adoptées en haut-lieu devraient en tenir compte. Le moyen de prohiber les paris sur la fluctuation des prix est simple et bien connu : il est expliqué dans la norme comptable américaine FASB 133 où il sert à déterminer deux traitements fiscaux distincts pour les positions de couverture et les positions nues. FASB 133 devrait être mise à jour et transformée en une interdiction pure et simple de la spéculation sur les marchés des matières premières.

Recommandations

Mettons fin à l’alliance sacrée entre investisseurs et dirigeants d’entreprises : elle détruit en ce moment-même le tissu social. Interdisons les stock options.

Débarrassons les banques centrales de l’idéologie monétariste : les sociétés humaines ne sont pas faites de masses monétaires mais d’êtres humains. Les banques centrales ont mieux à faire que de prendre systématiquement parti pour les investisseurs et les dirigeants d’entreprises contre les salariés.

Appliquons sans tarder une politique fiscale appropriée pour augmenter les chances que le capital se trouve là où il est effectivement utile.

Fermons le casino : interdisons la cotation continue sur les marchés au comptant et à terme.

Interdisons aux spéculateurs l’accès aux marchés des matières premières : interdisons les aux « non-commerciaux ». Permettons à ceux-ci de focaliser à nouveau leur attention sur ce que la société attend d’eux : enseigner, guérir et favoriser l’accès du public aux œuvres d’art en vue de diffuser la culture.

Encourageons les opérations d’assurance et interdisons les paris sur la fluctuation des prix.

http://www.pauljorion.com/blog/?p=2248#comments

Messages

  • L’insoluble problème de la répartition des profits

    lundi 9 mars 2009 par Patrick Mignard

    La répartition des profits des entreprises et une question qui refait régulièrement surface dans la polémique sociale, et la crise actuelle la remet bien évidemment au goût du jour.

    L’urgence, toujours repoussée, d’une réponse a fait dire dernièrement au « turbo président », une énormité – une de plus - qui en dit long soit sur son incompétence, soit sur sa démagogie,… peut-être sur les deux.

    Dans ce que certains ont appelé une « règle des trois tiers », il a tout simplement suggéré « un partage égal des profits entre salaires, investissement et dividendes »( ???).

    La pire des choses qui pourrait lui arriver c’est que les salariés lui disent « chiche ! » et enclenchent un mouvement social sur cette base,… chose dont les syndicats complaisants se sont bien gardés de faire.

    EFFET D’ANNONCE ET QUESTION ESSENTIELLE

    Disons le tout de suite, cette règle n’est qu’un effet d’annonce – un de plus – sans conséquence concrète, mais elle pose un problème très intéressant.

     « effet d’annonce » parce qu’il est évident que le pouvoir n’a absolument pas l’intention de procéder à ce changement. Pourquoi ? Parce que ce changement touche de fait, et de droit, aux « fondamentaux » du système marchand dont il est le garant.
     
    Le point fondamental abordé par cette question est celui de la « répartition de la richesse dans le système ».

    Dire que « le tiers du profit doit aller aux salariés… en plus de leur salaire » a fait immédiatement réagir le MEDEF dont la porte parole a dit clairement toute la divergence qu’elle avait de tels propos en précisant que « seul l’actionnaire peut décider du montant des dividendes », car cela relève du « droit de propriété », ajoutant pour faire bonne mesure qu’il « n’était ni du ressort de l’État, ni des salariés d’en décider ».

    Madame PARISOT n’a fait que rappeler ce qu’est le capitalisme et en rappelant ces règles élémentaires, et tout à fait exactes, elle a implicitement signifié que cette question ne relevait pas d’une simple arithmétique de gestion, mais était fondamentalement politique.

    Le fondement du capitalisme c’est, rappelons le une fois encore, le « rapport social fondé sur l’investissement du capital dans un processus de production en vue de création de valeur,… et pour se faire, l’embauche de salariés (seul le travail étant créateur de valeur) qui, en échange de leur force de travail reçoivent un salaire équivalent à la valeur estimée de celle-ci ».

    Etablir dans ce système une « répartition du profit aux salariés et ce de manière « inégalitaire » par rapport aux actionnaires (le tiers du profit en plus du salaire) » est bien évidemment inacceptable pour les actionnaires… pire à leurs yeux, elle remet en question le fondement même du système marchand.

    LES RAPPORTS PROFITS / SALAIRES : MYTHES ET RÉALITÉS

    Avant d’être quantitative, la question est, comme le souligne la représentante du MEDEF qualitative… Il s’agit d’un principe d’organisation sociale que l’on pourrait résumer lapidairement par : l’actionnaire est tout, le salarié rien ! Ce n’est pas une affirmation provocatrice mais la réalité du système marchand.

    Que seul le travail humain crée de la valeur est une affirmation difficilement contestable… en effet, même les machines sont issues du travail humain ! Ce n’est que dans cette mesure que la force de travail est acceptable et acceptée… Mais créer une entreprise n’a pas pour objectif de créer de l’emploi, seulement de valoriser un capital, le travail n’étant, d’une certaine manière, qu’un « mal nécessaire ». La preuve en est que l’entreprise essaye de se passer de plus en plus de travail en rentabilisant le peu qu’elle utilise. L’objectif de l’entreprise est de faire du profit, un point c’est tout.

    On comprendra dès lors que le salarié n’a aucun droit sur le profit, qui ne lui appartient juridiquement pas. Il a reçu son salaire, équivalent valeur de sa force de travail,… le reste ne lui appartient pas.

    Vouloir attribuer, en plus, au salarié, une part du profit est vécu, à juste titre, comme un déni juridique par l’actionnaire. Une négation même de l’ordre social marchand.

    Résultat des sociétés non financières en 2006 en pourcentage du bénéfice après impôt :

    Revenu distribué aux actionnaires : … 74, 6 %

    Intéressement et participation :………. 15, 9 %

    Reste à l’entreprise : ……………………...... 9, 5 %

    Source – ALTERNATIVES ÉCONOMIQUES - mars 2009

    Mais me direz vous, les salariés touchent déjà, dans certains cas, une part du profit sous la forme de « participation » ou d’ « intéressement » ! C’est exact, mais ça été imposé par les salariés et accepté par le patronat pour s’acheter la « paix sociale » dans l’entreprise, ça demeure tout de même limité et exceptionnel… la règle étant que le profit appartient aux actionnaires et à eux seuls.

    L’ordre économique et social marchand n’est absolument pas remis en question.Que le profit soit important, là n’est pas la question.

    LA SEULE ET VRAIE QUESTION

    C’est celle des conditions de production des richesses et de leur la répartition dans notre société. Or ce problème n’est pas du tout technique,… il est essentiellement politique. Autrement dit, qui décide ce que l’on produit, comment on le produit et comment on le répartit ?.

    L’Histoire humaine n’est en fait que la succession des formes d’organisations sociales censées répondre à ces questions.

    On imagine ainsi difficilement, le chantre du libéralisme en France, le porte parole présidentiel du MEDEF, le liquidateur des services publics, des régimes de retraites par répartition et de la protection sociale,… oser s’attaquer à cette question essentielle.

    La gauche et l’extrême gauche qui sont incapables de poser correctement la stratégie de changement de ce fonctionnement, comment un représentant de ce système marchand le pourrait-il ?

    Toucher à la répartition des profits c’est toucher au statut même du capital et du travail et à son corollaire, le droit de propriété sur les moyen de production. On est là au cœur de la véritable problématique du changement social. Le MEDEF l’a immédiatement vu,… Sarkozy, emporté par sa démagogie et son incompétence n’a pas mesuré, une fois encore, la portée de ses propos…

    Quant aux syndicats de salariés, ils se sont empressés de regarder ailleurs montrant en cela où sont leurs véritables préoccupations.

    Le partage des profits – du surproduit social – est réglé une bonne fois pour toute dans le système marchand et en constitue son essence… Il n’y a rien d’autre à espérer en son sein.

    La question du partage de la richesse est, et demeure, le vrai problème de toutes les sociétés depuis l’origine des hommes, ça constitue toujours la question essentielle du présent et de l’avenir.

    Patrick MIGNARD
    Mars 2009

    http://www.altermonde-sans-frontiere.com/spip.php?article9905

    UNE HERESIE CAPITALISTE ?

    Quand une banque cesse de verser des dividendes, ses actions grimpent :

    Swedbank grimpe de plus de 20% à la Bourse de Stockholm

    STOCKHOLM, 9 mars 2009

    L’action Swedbank était en hausse de plus de 20% lundi à la Bourse de Stockholm, la direction de la banque ayant décidé de ne pas verser de dividende à ses actionnaires afin de dégager des liquidités dont le groupe a cruellement besoin.

    Peu après 09H10 GMT, le titre, qui a cédé près de 60% de sa valeur la semaine dernière, s’adjugeait 20,20% à 8,02 couronnes suédoises dans un marché en baisse de 1,51%.

    "La poursuite de la détérioration des conditions macro-économiques dans de nombreux pays où Swedbank opère a conduit le conseil d’administration à revoir ses propositions relatives aux dividendes", indique la banque dans un communiqué.

    "La direction propose qu’aucun dividende ordinaire ne soit versé au titre de l’exercice 2008", poursuit-elle.

    "En ne versant pas de dividende, Swedbank va renforcer son capital de 2,9 milliards de couronnes suédoises (250 millions d’euros)", précise la banque suédoise.

    http://www.agefi.com/Quotidien_en_ligne/News/index.php?newsID=214428

  • Beaucoup de baratin, et de plus des analyses superficielles comme : les fonds de retraite, les fondations universitaires, les hôpitaux ou les musées. Alors que l’objetctif des capitalistes tourné vers les agro-carburant en est l’une des pricipales causes, entre autres. On sent qu’il n’est nullement question de vouloir se détacher du capitalisme, simplement est suggérés des aménagements et des retours à une certaine morale régulant la spéculation, liée à cela la promotion de l’ineptie du développement durable. Donc rien de nouveau, il s’agit là de la vision des socialistes qui est en parrallèle de celle de Sarkozy. Ce monde n’est pas prêt de changer sur le fond avec de telles solutions qui ne sont que du replâtrage alléatoire.