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Cendrillon à Rafah

Publie le samedi 24 septembre 2005 par Open-Publishing

de Graham Usher - Al-Ahram weekly

Pendant sept jours, les Palestiniens ont expérimenté ce que pouvait être une vie sans frontières, ou avec des frontières qui ne font pas peur : c’est-à-dire, sans Israël... Ils ont été des milliers à passer de part et d’autre des murs perforés, terrassements et barrières qui séparent l’Egypte de Gaza, « Rafah Sinaï » de « Rafah sumud », la ligne de front la plus mortelle durant l’Intifada.

Pendant sept jours, les Palestiniens ont expérimenté ce que pouvait être une vie sans frontières, ou avec des frontières qui ne font pas peur : c’est-à-dire, sans Israël... Ils ont été des milliers à passer de part et d’autre des murs perforés, terrassements et barrières qui séparent l’Egypte de Gaza, « Rafah Sinaï » de « Rafah sumud », la ligne de front la plus mortelle durant l’Intifada.

Savoir comment les fortifications ont été brisées dépend de qui vous interrogez. Selon le Capitaine Général Gamal - un officier égyptien conforme au modèle, avec un étincelle dans le regard et un sourire permanent aux lèvres - il s’agissait « d’une décision du gouvernement, d’un geste humanitaire pour permettre aux familles des deux côtés de se rejoindre et de savourer un instant de liberté », a t-il dit avec une grimace.

Selon un officiel des Nations Unies, c’était une sorte de pique de la part des Egyptiens, contrariés par la décision israélienne du 7 septembre de fermer le poste frontière de Rafah sans accord sur quand, où et comment les Palestiniens pourraient quitter Gaza. Il a supposé que les Egyptiens « avaient obtenu un feu vert des Américains ». « Pouvez-vous imaginer l’Egypte ouvrant la frontière de façon unilatérale ? »

Le leader du Hamas Mahmoud Zahar (au centre) visite la zone frontalière entre Gaza et l’Egypte dans la ville divisée de Rafah.

Selon les habitants, c’était un droit des Palestiniens, suite à la mort d’un des leurs tué par la police égyptienne le 12 septembre. En mesure de rétorsion, un camion lourdement chargé et manœuvré par les combattants du Hamas a fait des brèches dans le mur israélien de huit mètres de haut. Aucun Egyptien n’a essayé de les en empêcher.

Mais quelque raison que ce soit, la brèche a permis à un flot humain de traverser, et aucune force n’aurait pu le contenir ou le repousser. Pour des milliers de familles palestiniennes, lors de chaque réunion, une partie d’elle-même manquait.

Il y avait un vieil homme, traversant le mur par une fente, le 12 septembre. Une fois passé, il tomba à genoux, embrassa la terre et fondit en larmes. C’était la première fois qu’il pouvait toucher le sol palestinien depuis que le traité de paix égypto-israélien de 1982 l’avait coupé de la majeure partie de Rafah. Il vivait à Rafah Sinaï, moins de 200 mètres de l’endroit où il a embrassé le sol.

Des milliers ont traversé pour commercer - les Palestiniens étaient attirés par les prix bon marché du côté égyptien, et les Egyptiens par la gamme plus élevée des produits du côté palestinien, comme Ismar Khaled. « Je suis venu pour faire des emplettes », dit-elle, sortant de Gaza avec un sac de literies sur sa tête. Fatiguée, elle posa sa charge. « Je ne peux pas encore y croire. Je suis en Palestine », dit-elle en riant. Le trafic était plus important de l’autre côté.

La rue principale de Rafah du côté égyptien était remplie de personnes achetant des cigarettes, des fromages, des pommes, des pots en aluminium, des herbes médicinales, parfois en cachette du hashish et encore plus occasionnellement un pistolet. « Les affaires explosent. J’espère que la frontière ne fermera jamais », disait Mohamad Ghouman, un vendeur du côté égyptien. Il a lui aussi de la famille du côté palestinien de Rafah.

Tout a été mis dans des récipients, sacs et chariots, puis transportés par un canal humain au-delà de la barrière, à travers le mur, de l’autre côté de « Philidelphi road », au-delà d’une terre roussie avec des arbres devenus stériles et des maisons détruites aux façades en lambeaux - bâtiments aux fondations percées par les tirs permanents d’obus israéliens - en d’autres mots, à travers Rafah. Ils sont arrivés parmi une myriade de voitures et au son de la musique d’un mariage.

Mais beaucoup - peut-être la majorité - sont simplement venus pour prendre l’air, « pour respirer », comme le disait Badar Safadi.

Un homme d’affaire se tenait sur la route côtière, là où se rejoignent l’Egypte et le quartier Tel Sultan de Rafah. « Je suis de Gaza. Je viens car cela m’était interdit depuis cinq ans. Non, je n’ai pas de crainte de rester coincé en Egypte. Après les quatre dernières années passées à Gaza, je n’ai peur de rien ».

Il était rejoint par Samia Gashlan et trois autres lycéennes du camp de réfugiés de Nuseirat à Gaza. Elles cherchaient un taxi pour « une journée de voyage » à Al-Arish. « C’est la première fois que je quitte Gaza », disait Samia. « En fait, c’est la première fois que je quitte Nuseirat. J’ai entendu dire que des bannières nous souhaitaient la bienvenue à Al-Arish et disaient aussi que les gens prieront à Jérusalem ».

Et voici Hani Salim, aka Abu Mujahid, un homme mince avec un barbe bien taillée. C’est le responsable des Brigades des martyrs Al-Aqsa du Fatah. Lui aussi va en Egypte. « Je veux juste me déplacer un peu. Je ne peux pas bouger à Gaza. Je suis recherché. »

Que pense-t-il de la décision des Egyptiens et de l’Autorité Palestinienne de fermer la frontière ?

« C’est une moche décision. Avant 1967, ceci était une seule terre. Avant 1981, Rafah était une seule ville. C’est Israël qui a divisé Rafah afin de casser les liens entre les deux peuples. Nous avons besoin d’une frontière ouverte. Nous sommes un seul peuple et une seule nation. Une frontière ouverte heurterait les intérêts économiques israéliens et affaiblirait sa sécurité. C’est une sorte de victoire pour nous. Alors pourquoi à nouveau diviser Rafah ? »

Le souhait d’Abu Mujahid a peu de chance d’être exaucé. Au fur et à mesure que la semaine s’écoulait, les trous dans la frontière devenaient plus étroits. Le 19 septembre, 750 officiers de police égyptiens ont pris position du côté égyptien de la frontière, soutenus côté palestinien par 2000 policiers de l’Autorité Palestinienne. « Les Egyptiens et les Palestiniens doivent retourner chez eux ou rester sur place. Nous devons faire cesser la contrebande, et spécialement celle des armes », a déclaré Jamal Kayyad, responsable du commandement sud de l’Autorité Palestinienne.

Quant à Abu Mazen, tout en insistant sur le fait que le point de passage de Rafah resterait le seul point d’accès vers l’extérieur pour Gaza, il a fait savoir que son utilisation demanderait un « accord international » - autrement dit la permission d’Israël. A Rafah, et partout ailleurs dans la Bande de Gaza, le sentiment dominait que le carrosse se transformerait à nouveau en simple citrouille.

En attendant, les Palestiniens ont profité jusqu’à la fin de de ce moment magique. Le 14 septembre, un homme a passé son fils de 6 mois par-dessus la barrière à sa sœur qui est en Egypte. C’était la première fois qu’elle voyait son neveu. « Est-ce Yusuf ? », « Oui, c’est Yusuf ». « Bonjour Yusuf ».

Un drone israélien clignotait au soleil dans le ciel. Le frère et la soeur ont scruté l’horizon, baissant les épaules puis se sont mis à rire. « Et que vont faire les Juifs ? » a dit le frère en gesticulant. « Envahir ? »

Traduction : Claude Zurbach

http://www.protection-palestine.org/article.php3?id_article=1508