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Chassons les mauvaises pensées

Publie le dimanche 31 août 2008 par Open-Publishing
3 commentaires

de Pierre Marcelle

Le chat de Siné

D’abord, dire cette évidence que, malgré le black-out décrété à Charlie Hebdo, où les grands ciseaux d’une censure furieuse font depuis six semaines taire les langues et s’écraser les plumes, elle n’est pas terminée, « l’affaire Siné »… Aussi bien ferait-on mieux de parler d’une « affaire Val », tant le procès - si dérisoire en ses attendus, si tragi-comique en ses conséquences - destiné à assassiner un homme en l’expulsant « à jamais » des bibliothèques (ainsi qu’y appelle la ministre de la Culture (!) Albanel), s’est retourné contre ses instigateurs.

Entendez le silence soudain de procureurs qu’on avait connus plus prompts à bramer leur passion pour le débat d’idées et la liberté de la presse, lesquels, sur l’air fameux du « Je-ne-suis-pas-d’accord-avec-ce-que-vous-dites-mais-je-serais-prêt-à mourir-pour-que-vous-le-disiez » (paroles de Voltaire, musique de Tocqueville), font très bien dans des colonnes éditoriales, pourvu qu’ils restent à l’état de bandeau publicitaire…

Donc, le mal est fait. Siné est viré, le « nouveau » Charlie a achevé de se renier et sa rédaction de se coucher ; ainsi la « liberté grande » de Julien Gracq, si volontiers brandie en viatique, se découvre-t-elle réduite en charpie. Se méfier de ceux qui l’invoquent en y mettant des barbelés ; ceux qui, plaidant si mollement pour la licence de dire, et d’écrire, et de dessiner, se sentent si peu sûrs d’elle - et d’eux-mêmes - qu’ils se croient tenus de faire précéder leurs plaidoyers d’un prudent « je n’aime pas trop Siné, mais… » Normal, à propos d’un dessinateur qui toujours pensa mal.

Que, dans la chasse aux mauvaises pensées, l’infamante accusation d’antisémitisme ait encore une fois fait son office, ne surprend pas. Tout juste avons-nous été (un peu) étonnés de découvrir que son premier procureur, Philippe Val, se soit laissé aller à identifier et compter, parmi ses partisans et ses opposants, qui était juif et qui ne l’était pas (voir le portrait de Siné, in Libération du 30 juillet). Et à peine amusé en apprenant que Patrick Gaubert (député UMP qui évoqua le premier - dans Libération du 23 juin - la rumeur de la conversion au judaïsme de Jean Sarkozy) traînera Siné en justice, le 9 septembre, pour « incitation à la haine raciale »… Patrick Gaubert est président de la Licra, ce qui, si l’on ose dire, l’oblige.

C’est que, depuis certain 11 Septembre et certaine croisade irakienne, le procès en antisémitisme se dégaine à tout propos et tout prétexte, au seul profit des antisémites véritables. Arme mécanique et absolue des maîtres censeurs, il n’est plus désormais que l’étendard trop prévisible sous lequel se concoctent d’étranges alliances et incongrus jumelages… Y présidèrent, entre autres et après la loi contre le voile islamique, une pétition contre le fumeux concept de « fascislamisme » (1), la mise en scène de la trop consensuelle affaire des « caricatures de Mahomet », ou un pince-fesses sans lendemain - mais rythmé par la guitare de Carla Bruni peu avant qu’elle devienne Sarkozy - contre le test ADN de Brice Hortefeux…

Le chien de Pavlov

Où l’on constate qu’à l’heure où Bernard-Henri Lévy (2), entre deux exotiques promenades à Gori, se demande fielleusement « de quoi Siné est[-il] le nom ? » (dans le Monde du 22 juillet) (sans parler de Laurent Joffrin assimilant (Liberation du 25 juillet) les juifs à une race ! NDCC), le dessinateur honni fait un idéal bouc émissaire . Porteur de valises durant la guerre d’Algérie, fondateur de l’Enragé en 1968, « noniste » au référendum européen et défenseur des droits des Palestiniens, Siné incarne bien cet « antisarkozysme pavlovien » dénoncé par quatre députés socialistes emmenés par Manuel Valls (Libération du 22 juillet). Sous couvert de contester le non à la réformette constitutionnelle, leur tribune désignait l’ennemi à abattre avant le congrès de Reims : en gros, tout ce qui refuse le crédo fataliste du libéralisme économique.

Outre gloser sur les travaux d’Ivan Pavlov, physiologiste qui mit en évidence, vers la fin du XIXe siècle, le réflexe conditionnel de salivation chez le chien, on pourrait déplorer la métaphore animalière (toujours « totalitaire », selon Bernard-Henri) censée délégitimer toute opposition un peu systématique aux vicieuses « réformes » du sarkozysme. Plus gravement, on avancera l’hypothèse que, derrière Siné, c’est ladite « gauche de la gauche » (et, en premier lieu, le NPA de Besancenot) que visent de conserve Val et Valls, et leurs communs partisans. On ne s’étonnera donc pas qu’en cette affaire, le chien de Pavlov soutienne résolument le chat de Siné. A l’un et à l’autre, la chasse est ouverte, mais il n’est pas acquis que l’un ni l’autre s’y laissent tirer comme des lapins.

(1) Notez que lundi dernier, comparant les talibans afghans aux nazis qui, le 25 août 1944, massacrèrent cent vingt-quatre habitants du village de Maillé, Nicolas Sarkozy inventa, comme pour y faire écho, le « nazislamisme ».

(2) Actionnaire de Libération et membre de son conseil de surveillance.

Messages

  • Le "coup" de Maillé après la piteuse tentative de récupération du maquis du plateau des Glières montre bien à quels expédients en est réduit Nicolas le petit pour surnager. En ce qui concerne Siné, soyons nombreuses et nombreux à acheter ou voler son nouveau journal et que les lecteurs de Charlie se déterminent. lul

  • Pour ce qui est de Charlie-Hebdo... la dernière vomissure de Val que j’eu à lire lorsque venait juste d’éclater "l’affaire Siné" me décida enfin à ne plus acheter ce journal dont la veulerie de toutou de bien des rédacteurs et les étalages d’hypocrise et d’impostures intellectuels du conducator Val me donnaient la nausée depuis bien longtemps.

    A ma grande surprise, un de mes amis, pourtant "fan" du sieur Val fit de même et m’avoua avoir eu le sentiment d’enfin s’éveiller d’une longue -trop longue- gueule de bois.
    Il venait de réaliser tout ce sur quoi il avait fermé les yeux au nom de la nostalgie du titre.

    La question que je me pose est : combien de lecteurs Charlie-gerbo perdit il dans cette affaire ?

    Val a fait sa première vrai erreur tactique. Il faut en profiter pour mordre avant qu’il ne se replie dans sa tour ivoirine d’oubli et de suffisance !
    Qu’enfin Charlie soit libéré de ce chancre mou de la pensée tiédo-gauchiste !

    Aux mollets les amis ! Aux mollets ! Ne le laissez pas fuir !