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Chiapas, région pilote pour développer l’écotourisme promu par la Banque mondiale

Publie le mardi 12 juillet 2005 par Open-Publishing

de Hermann Bellinghausen

Le Chiapas s’est converti en la région pilote du pays [Mexique] pour
expérimenter un modèle de développement écotouristique qui se propose de
combattre la pauvreté, générer des emplois, protéger l’environnement et
autres "mantras" de la politique sociale néolibérale qui suit les diktats
de la Banque mondiale (BM), pleine de "bonnes intentions" imperméables au
risque qu’ils représentent en tant qu’instruments de lutte contre les
mouvements rebelles ou simplement en tant qu’instruments de décomposition
sociale.

La philosophie officielle a décidé que le mieux pour que les Indiens se
développent est de remplir de touristes leurs villages, leurs cours d’eau
et leurs lagunes. Et nulle part ailleurs cette idée a aussi bien pris
qu’au sein du gouvernement de l’état du Chiapas. On développe ici
actuellement 52 projets écotouristiques, proclame à qui veut l’entendre la
propagande officielle, comme s’il s’agissait de l’investissement idéal
dans le cadre de la forte militarisation, de l’injustice régnante et de la
rébellion en cours des communautés zapatistes qui se sont déclarées
autonomes. Le tourisme serait-il ici la meilleure manière de "préserver
les cultures et les richesses culturelles" ? Ce serait novateur. En règle
générale, le tourisme dépeuple les campagnes, exproprie et détruit les
cultures, les traditions et les richesses.

Il s’agit déjà pour le moment "du secteur qui a la plus forte croissance
économique ainsi qu’un fort potentiel de développement pour les
populations marginalisées" selon ce qu’a répété ce mercredi [1er juin
2005] le gouverneur [de l’Etat du Chiapas] Pablo Salazar Mendiguchía dans
la ville de Mexico au cours d’une réunion avec l’ambassadeur français,
Richard Duqué, et la responsable de la Commission nationale pour le
développement des peuples indigènes (Conadepi), Xóchitl Gálvez. Les
fonctionnaires ont formé, avec de nombreuses entités fédérales, le comité
organisateur du deuxième Forum international du tourisme solidaire (FITS)
2006 qui aura lieu au Chiapas l’année prochaine.

Selon la presse, le gouverneur du Chiapas "a souligné que son gouvernement
développe le programme le plus ambitieux d’infrastructures jamais réalisé
au Chiapas : construction de chemins ruraux et de routes faisant partie du
réseau national d’autoroutes, d’hôpitaux et lancement d’un programme
d’électrification de la région de la forêt Lacandone. Ce qui crée un
climat idéal pour le tourisme social dans la région" ("El Heraldo de
Chiapas", 2 juin).

Il s’agit d’une politique fédérale et, dans cette région, les autorités
ont trouvé plus d’opportunités que dans n’importe quelle autre : abondants
cours d’eau, forêts, faune, ruines, cultures encore photogéniques. Ce
n’est pas par hasard si la majorité des projets éco-touristiques au
Chiapas sont développés autour et dans la forêt Lacandone, jusqu’à celle
de Montes Azules. C’est-à-dire dans la vallée de l’Usumacinta, à la
frontière avec le Guatemala, et, au nord, près des eaux limpides des
rivières Tulijá, Chacamax, Chancalá et Bascán.

Alors que la Banque mondiale est actuellement accusée par ses détracteurs
d’être "une arme d’appauvrissement massif" (boutade faisant référence à la
guerre en Irak et à l’arrivée de son artisan, Paul Wolfowitz, à la
présidence de l’organisme) on ne peut minimiser les effets de
l’enthousiasme des gouvernements (tant au Chiapas qu’au Pérou, en
Equateur, au Brésil, en République démocratique du Congo, en Afrique du
Sud, à Madagascar, etc.) à suivre le chemin tracé par la Banque mondiale,
un chemin central dans la doctrine sociale des gouvernements tel que celui
de Vicente Fox.

L’écotourisme dans les régions indigènes, selon les documents publics de
la Commission nationale pour le développement des peuples indigènes, est
considéré comme une alternative pour le "développement durable" des
communautés. La Conadepi promeut cette activité en ces termes :
"L’écotourisme est aujourd’hui un des secteurs de l’industrie touristique
qui présente la plus forte croissance, qui peut être une alternative
d’utilisation du territoire constituant une source importante de revenus
pour les communautés organisées, à partir de l’utilisation du patrimoine
naturel et culturel."

Les documents précisent que "de nombreuses destinations attractives pour
l’éco-tourisme dans le monde se trouvent dans des régions habitées par des
peuples indigènes, qui sont l’habitat de communautés dont elles dépendent
pour obtenir leurs aliments, les matériaux de construction et leurs
remèdes, activités intimement liées avec les unités productives
primaires". A partir de là, la Conadepi fait un saut conceptuel et
détermine qu’une "communauté bien organisée peut bénéficier économiquement
de l’arrivée des touristes auxquels elle peut offrir une gamme de service
en rapport avec sa propre façon de vivre".

Avec une logique moins impénétrable, au moins en termes de possible
bénéfice économique de cette reconversion touristique, la Conadepi ajoute
 : "L’écotourisme peut signifier la création de postes de travail,
l’augmentation des revenus et un nouvel essor de l’artisanat pour les
habitants de ces régions." Cependant, et s’il reste toujours à déterminer
ce qu’on entend par une "gestion idoine" (sic), l’écotourisme offre une
alternative économique durable et une possibilité de générer des revenus
sans détruire l’environnement.

"Pour que l’écotourisme soit effectivement viable, les communautés doivent
participer à la gestion de cette activité et obtenir d’elle un bénéfice
collectif", ajoute la Conadepi.

En accord avec le "modèle conceptuel" promu par le gouvernement fédéral,
"les activités des petites entreprises touristiques des villages et des
communautés prétendent inverser la tendance du tourisme massif, peu
respectueux de la nature" (qui ne va pas, et encore moins "massivement",
dans ces régions indigènes sauf quand l’Etat et les entrepreneurs
aménagent l’une d’elles pour la "développer"). La Conadepi considère que
ces objectifs seront atteints "grâce à la promotion des activités
culturelles quotidiennes des peuples et de leurs coutumes, motif d’intérêt
pour le visiteur et de récupération et de revalorisation de sa propre
tradition par la communauté".

Il reste à prouver que le nouvel écotourisme (routes, hôtels et stations
thermales comprises) aide véritablement à préserver la diversité
culturelle et naturelle. Mais face aux provocations que signifient pour
les communautés les projets écotouristiques dans des lieux comme la lagune
de Miramar, Roberto Barrios, Jerusalén, la région Nord ou certaines
parties des Montes Azules, ainsi que face aux problèmes écologiques et
communautaires provoqués par de nombreux projets déjà en place aux
alentours de la forêt Lacandona, il convient de se demander s’il ne
faudrait pas revoir le "modèle" des néolibéraux. Ou s’agirait-il plutôt de
cela : faire éclater les liens communautaires, désactiver l’agriculture,
expulser de la main d’œuvre et ouvrir la voie pour les transnationales
dans la forêt convoitée du Chiapas ? S’il en est ainsi, ils sont en bonne
voie.

Source : La Jornada (www.jornada.unam.mx/), 4 juin 2005.

Traduction : Anne Vereecken, pour RISAL

http://www.risal.collectifs.net/article.php3?id_article=1414