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Contrôler Internet

Publie le jeudi 27 octobre 2005 par Open-Publishing
3 commentaires

de Ignacio Ramonet

Après le premier Sommet mondial sur la société de l’information, qui s’était tenu à Genève en décembre 2003 , Tunis accueille, du 16 au 18 novembre, à la demande de l’ONU, et organisé par l’Union internationale des télécommunications (UIT), le second Sommet mondial avec une préoccupation principale : comment instaurer un contrôle plus démocratique d’Internet ?

Internet est une invention américaine du temps de la guerre froide. Le Pentagone cherchait alors à élaborer un système de communication pouvant résister à une attaque atomique, et permettant aux responsables politiques et militaires ayant survécu de reprendre contact entre eux pour lancer la contre-attaque.

Encore étudiant à Los Angeles, Vinton Cerf imagina, avec une équipe de chercheurs financés sur fonds publics, les outils d’un nouveau mode révolutionnaire de communication. Mais il n’était encore réservé qu’à une petite minorité d’universitaires, de militaires et d’autres initiés.

Plus tard, en 1989, les physiciens Tim Berners-Lee et Robert Cailliau, chercheurs au Centre européen pour la recherche nucléaire (CERN) de Genève, mirent au point un système hypertexte et inventèrent le World Wide Web, qui allait favoriser la diffusion des informations et l’accès du grand public à Internet, ainsi que sa formidable et fulgurante expansion.

A l’heure actuelle, et depuis 1998, le réseau mondial est géré par l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (Icann), un organisme de droit privé à but non lucratif basé à Los Angeles, soumis à la loi californienne et placé sous le contrôle du département du commerce des Etats-Unis. L’Icann est le grand aiguilleur du réseau. Il s’appuie sur un dispositif technique constitué de treize puissants ordinateurs, dits « serveurs racines », installés aux Etats-Unis (quatre en Californie et six près de Washington), en Europe (Stockholm et Londres) et au Japon (Tokyo).

La principale fonction de l’Icann est la coordination des noms de domaine (Domain Name System, DNS), qui aide les usagers à naviguer sur Internet. Chaque ordinateur relié à Internet possède une adresse unique appelée « adresse IP » (pour protocole Internet). Au départ, ces adresses IP sont des séries de chiffres difficiles à mémoriser, mais le DNS permet d’utiliser, à la place de chiffres, des lettres et des mots plus familiers (le « nom de domaine »). Par exemple, au lieu de taper une suite de chiffres, on tapera www.monde-diplomatique.fr

Le DNS convertit le nom de domaine en la série de chiffres correspondant à l’adresse IP, ce qui connecte l’ordinateur au site recherché. Le DNS permet également le bon fonctionnement du courrier électronique. Tout cela à l’échelle de la planète et à une vitesse ultrarapide.

Selon ses propres termes, l’Icann « a pour mission de préserver la stabilité opérationnelle d’Internet, de promouvoir la concurrence, d’assurer une représentation globale des communications Internet et d’élaborer une politique correspondant à sa mission suivant une démarche consensuelle (1) ».

Mais, depuis quelque temps, il n’y a plus consensus. La mainmise américaine sur le réseau est contestée. En septembre, à Genève, lors d’une négociation préalable entre les Etats-Unis et l’Union européenne, avant le sommet de Tunis, les Etats de l’Union ont été unanimes à réclamer une réforme de la gouvernance d’Internet à l’occasion de l’arrivée à échéance, en septembre 2006, du contrat qui lie l’Icann au ministère du commerce américain. La rencontre s’est soldée par un échec, Washington se refusant à tout changement.

Le Brésil, la Chine, l’Inde et l’Iran, par exemple, se retrouvent, mais pas toujours pour les mêmes raisons, sur d’identiques positions que l’Europe. Certains menacent même de créer leur propre organisme national de gestion de la Toile, ce qui conduirait à une désastreuse fragmentation d’Internet.
Ce différend possède une dimension géopolitique.

Dans un monde de plus en plus globalisé, où la communication est devenue une matière première stratégique et où explose l’économie de l’immatériel, les réseaux de communication jouent un rôle fondamental. Le contrôle d’Internet confère à la puissance qui l’exerce un avantage stratégique décisif. Comme, au XIXe siècle, le contrôle des voies de navigation planétaires avait amené l’Angleterre à dominer le monde.

L’hégémonie sur Internet donne aux Etats-Unis, en théorie, le pouvoir de limiter l’accès à tous les sites du réseau dans quelque pays que ce soit. Ils peuvent aussi bloquer tous les envois de messages électroniques de la planète. Jusqu’à présent, ils ne l’ont jamais fait. Mais ils ont la possibilité de le faire. Et cette simple éventualité inquiète au plus haut point de nombreux pays (2).
Le temps est donc venu de réclamer que l’Icann cesse d’être sous contrôle de Washington. Et devienne enfin un organisme indépendant relevant des Nations unies.

Notes

(1) Cf. http://www.icann.org et www.icannwatch.org

(2) Cf. Time to change control, The Guardian, Londres, 11 octobre 2005.

http://www.monde-diplomatique.fr/20...

Messages

  • De z3383z

    Encore un article qui apprends plein de choses..Comme par exemple, en ce qui me concerne, que les Etats-Unis détiennent une nouvelle arme déterminante. Une de plus. Et sans vouloir être pessimiste, si l’ONU n’a pas réussi a empêcher les Etats-Unis d’envahir un pays, ça m’étonnerais qu’elle arrive a lui faire lâcher internet..

    Reste a savoir si les coupures de sites et bloquages de mails sont les seules choses que leur permet un tel monopole.

  • Bon bien, parfait...

    Démocratiser Internet ce n’est pas forcement controler Inernet mais permettre justement de le mettre hors controle de tout accaparement liberticide.

    Les autres états se sont mis en très mauvais cas de ne pas préparer les conditions de protection de l’acces libre, de l’échange libre et de l’expression libre sur ce média.

    Sécurité contre les tentatives d’accaparement , donc necessité d’avoir de quoi, materiellement, de prendre le relais dans la seconde en cas de black-out de controle par des interets privés ou autoritaires étazuniens...

    C’est une question de sécurité inernationale comme dirait l’autre.

    Démocratiser et en même temps proteger le réseau, augmenter sa puissance et en rendre gratuit l’acces à la population mondiale sont des enjeux d’une immense importance pour l’humanité.

    Le prochain gouvernement social français devra s’occupper rapidement de ce probleme ...

    Copas

  • La première partie de ce qui est ici Ignacio Ramonet l’a déjà écrit dans un numéro spécial du monde diplomatique, il y a exactement 9 ans (octobre 1996)

    Dans la suite il faisait part de son inquiétude à propos d’Internet.

    Ici celle-ci est ciblée sur les USA, mais dans l’article elle était bien plus large.

    Or il semble qu’IR ait omis dans son intervention ce qu’il évoquait alors concernant les désirs hégémoniques des professionnels de la communication (et les politiques en sont).

    Il disait alors

    "Internet parviendra-t-il à demeurer longtemps un espace de communication libre, peu cher, ouvert aux citoyens, et à l’abri des grands prédateurs du multimédia ?"

    et un peu plus loin

    "Par ailleurs, ce qui menace en effet Internet, c’est la tentation, de plus en plus manifeste (I.R. parle en 1996) des grands mastodontes de la communication de s’emparer commercialement (il aurait pu ajouter politiquement) du réseau des réseaux"

    De plus en plus de grandes entreprises et d’hommes politiques tentent actuellement de mettre la mains sur la toile et notamment sur le monde des blogs, créant de véritables studios employants de petites mains et même des comédiens ou comédiennes pour "jouer" le consommateur enthousiaste spontané.

    Oui ce qui semblait un moyen d’émancipation des Nombreux est en passe d’être totalement repris en main par ceux qui maîtrisaient les autres moyens d’information et de communication.

    Pourtant l’expérience de la désormais fameuse fête des mères 2005 et le triomphe du non au TCE a montré qu’il était possible de réagir
    c’est un combat qu’il faut mener tous les jours, sans énorme dépense d’énergie, mais avec une grande régularité et vigilance.


    Un projet qui va dans ce sens :
    Création de VigieBlog

    un article qui évoque un de ces (pseudo)blog avec petites mains et publicités aux commentaires fermés :
    L’esprit blog ... même fin que les radio libres ?