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Couvre feu contre la misère ! "Discours sur la misère", à l’Assemblée Nationale, le 9 juillet 1849

Publie le dimanche 13 novembre 2005 par Open-Publishing
7 commentaires

de Victor Hugo

"Trouvez bon, messieurs, que je complète ma pensée. Je vois à l’agitation de l’assemblée que je ne suis pas pleinement compris. La question qui s’agite est grave. C’est la plus grave de toutes celles qui peuvent être traitées devant vous.

Je ne suis pas, Messieurs, de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde, la souffrance est une loi divine, mais je suis de
ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère.

Remarquez-le bien, Messieurs, je ne dis pas diminuer, amoindrir, limiter, circonscrire, je dis détruire.

La misère est une maladie du corps social comme la lèpre était une maladie du corps humain ; la misère peut disparaître comme la lèpre a disparu. Détruire la misère ! Oui, cela est possible ! Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse ; car, en pareille matière, tant que le possible n’est pas le fait, le devoir n’est pas rempli.

La misère, Messieurs, j’aborde ici le vif de la question, voulez-vous
savoir où elle en est, la misère ? Voulez-vous savoir jusqu’où elle peut
aller, jusqu’où elle va, je ne dis pas en Irlande, je ne dis pas au
moyen-âge, je dis en France, je dis à Paris, et au temps où nous vivons ?
Voulez-vous des faits ?

Mon Dieu, je n’hésite pas à les citer, ces faits. Ils sont tristes, mais
nécessaires à révéler ; et tenez, s’il faut dire toute ma pensée, je
voudrais qu’il sortît de cette assemblée, et au besoin j’en ferai la
proposition formelle, une grande et solennelle enquête sur la situation
vraie des classes laborieuses et souffrantes en France. Je voudrais que
tous les faits éclatassent au grand jour. Comment veut-on guérir le mal si
l’on ne sonde pas les plaies ?

Voici donc ces faits :

Il y a dans Paris, dans ces faubourgs de Paris que le vent de l’émeute
soulevait naguère si aisément, il y a des rues, des maisons, des cloaques,
où des familles, des familles entières, vivent pêle-mêle, hommes, femmes,
jeunes filles, enfants, n’ayant pour lits, n’ayant pour couvertures, j’ai
presque dit pour vêtements, que des monceaux infects de chiffons en
fermentation, ramassés dans la fange du coin des bornes, espèce de fumier
des villes, où des créatures humaines s’enfouissent toutes vivantes pour
échapper au froid de l’hiver.

Voilà un fait. En voici d’autres : Ces jours derniers, un homme, mon Dieu,
un malheureux homme de lettres, car la misère n’épargne pas plus les
professions libérales que les professions manuelles, un malheureux homme
est mort de faim, mort de faim à la lettre, et l’on a constaté après sa
mort qu’il n’avait pas mangé depuis six jours.

Voulez-vous quelque chose de plus douloureux encore ? Le mois passé,
pendant la recrudescence du choléra, on a trouvé une mère et ses quatre
enfants qui cherchaient leur nourriture dans les débris immondes et
pestilentiels des charniers de Montfaucon !

Eh bien, messieurs, je dis que ce sont là des choses qui ne doivent pas
être ; je dis que la société doit dépenser toute sa force, toute sa
sollicitude, toute son intelligence, toute sa volonté, pour que de telles
choses ne soient pas ! Je dis que de tels faits, dans un pays civilisé,
engagent la conscience de la société toute entière ; que je m’en sens, moi
qui parle, complice et solidaire, et que de tels faits ne sont pas
seulement des torts envers l’homme, que ce sont des crimes envers Dieu !

Voilà pourquoi je suis pénétré, voilà pourquoi je voudrais pénétrer tous
ceux qui m’écoutent de la haute importance de la proposition qui vous est
soumise. Ce n’est qu’un premier pas, mais il est décisif. Je voudrais que
cette assemblée, majorité et minorité, n’importe, je ne connais pas, moi
de majorité et de minorité en de telles questions ; je voudrais que cette
assemblée n’eût qu’une seule âme pour marcher à ce grand but, à ce but
magnifique, à ce but sublime, l’abolition de la misère !

Et, messieurs, je ne m’adresse pas seulement à votre générosité, je
m’adresse à ce qu’il y a de plus sérieux dans le sentiment politique d’une
assemblée de législateurs ! Et à ce sujet, un dernier mot : je terminerai
là.

Messieurs, comme je vous le disais tout à l’heure, vous venez avec le
concours de la garde nationale, de l’armée et de toutes les forces vives
du pays, vous venez de raffermir l’Etat ébranlé encore une fois. Vous
n’avez reculé devant aucun péril, vous n’avez hésité devant aucun devoir.

Vous avez sauvé la société régulière, le gouvernement légal, les
institutions, la paix publique, la civilisation même. Vous avez fait une
chose considérable... Eh bien ! Vous n’avez rien fait !

Vous n’avez rien fait, j’insiste sur ce point, tant que l’ordre matériel
raffermi n’a point pour base l’ordre moral consolidé ! Vous n’avez rien
fait tant que le peuple souffre ! Vous n’avez rien fait tant qu’il y a
au-dessous de vous une partie du peuple qui désespère !

Vous n’avez rien
fait, tant que ceux qui sont dans la force de l’âge et qui travaillent
peuvent être sans pain ! tantque ceux qui sont vieux et ont travaillé
peuvent être sans asile ! tant que l’usure dévore nos campagnes, tant
qu’on meurt de faim dans nos villes tant qu’il n’y a pas des lois
fraternelles, des lois évangéliques qui viennent de toutes parts en aide
aux pauvres familles honnêtes, aux bons paysans, aux bons ouvriers, aux
gens de cœur !

Vous n’avez rien fait, tant que l’esprit de révolution a
pour auxiliaire la souffrance publique ! Vous n’avez rien fait, rien fait,
tant que dans cette œuvre de destruction et de ténèbres, qui se continue
souterrainement, l’homme méchant a pour collaborateur fatal l’homme
malheureux !"

Messages

  • Oui. Ce genre de discours manque à l’Assemblée nationale en ce moment ... Et on pourrait ajouter le discours de Victor Hugo après la répression de la Commune par les Versaillais. Politiquement, Hugo avait pris position contre la Commune, mais il en avait compris les ressorts humains profonds (la misère, et aussi le mépris dans lequel était plongé le petit peuple de Paris), et il s’était soulevé à peu près seul contre la répression dont les communards furent l’objet. Hugo était un républicain au cheminement sinueux, mais ses textes sont à relire, et à rappeler à tous ceux, politiciens de pacotille, qui se gargarisent du mot "République", et surtout de l’expression "ordre républicain", tout en ayant des pratiques monarchiques ou aristocratiques dignes des plus grands tyrans du passé, car le masque du pouvoir tyrannique sait prendre bien des formes, selon les époques et les cultures ...

  • Prolongation de l’état d’urgence "pour trois mois" (Copé)
    Le projet de loi sur l’état d’urgence, qui doit être examiné lundi en Conseil des ministres, prévoit de prolonger cette disposition "pour une durée de trois mois", a annoncé lundi matin Jean-François Copé, porte-parole du gouvernement, sur Europe 1.

  • Hugo a suivi un parcours exemplaire, parti de la grande bourgeoisie pour arriver au républicanisme le plus progressiste et le plus revendicateur. L’anti-PS en quelque sorte.

    Avec lui nous pouvons affirmer que la misère PEUT être détruite, à commencer par sa manifestation la plus inacceptable, à savoir le chômage, dont on ne dira jamais assez qu’il est le produit de la VOLONTE de ceux qui l’utilisent sciemment comme "variable d’ajustement".

    La misère est aujourd’hui plus que jamais un instrument d’aliénation au service de certains intérêts privés. Tous les discours qui nous parlent de "régulation" du système libéral pour masquer les compromissions les plus viles sont à rejeter en bloc, avec ceux qui les tiennent.

    Le pire, c’est que je ne suis même pas anti-capitaliste...

    Theoven

  • IL Y A TOUJOURS EU DE GRANDES VOIX...

    Il y a toujours eu de grandes voix dans notre histoire pour dire des choses fortes. Dans ces époques, qui pouvait les entendre ? Il n’y avait pas la TV du temps d’Hugo... Il y avait des gazettes mais çà ne touchait pas des millions de femmes et d’hommes... Cà ne touchait pas le peuple. Et déjà les médias étaient traversés par des intérêts de classe...
    Il reste que les Hugo et Villermé ont laissé des traces indélébiles et heureusement.
    Il y a encore de grandes voix dans notre Assemblée Nationale et dans notre Sénat... Qui les entend ? Les médias ont choisis leurs héros et leurs hérauts...
    Et les médias appartiennent à des financiers qui mesurent tout à l’image du coco-cola...
    L’essentiel c’est que nous soyons aujourd’hui capables de voir et d’entendre, de discuter ensemble, de réfléchir ensemble et de lutter ensemble pour le bien et l’avenir de de tous...

    Quant à la misère, on ne peut que mesurer à quel point malheureusement, le discours d’Hugo est moderne et actuel... Cà en fait des lustres que les gouvernants luttent contre les pauvres et non contre la pauvreté. Cà en fait des responsables qui n’ont pas assumé leurs responsabilités !
    Raison de plus pour en tirer des conclusions : c’est à nous de ne plus nous contenter de déléguer et d’attendre ; c’est à nous de nous retrousser les manches...

    NOSE