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Dénonciation, delation,besson cf tribune de geneve

Publie le dimanche 15 février 2009 par Open-Publishing
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14.02.2009
Trafic d’êtres humains : délation ou dénonciation ?

« Ami entends-tu le vol noir des corbeaux sur la plaine… » Ainsi commence le Chant des Partisans qui fut celui de la Résistance. C’est dire si, en France, les « corbeaux » ont mauvaise presse. Non point, ces corvidés qui hantent les parcs, mais les autres qui ont besoin de guillemets pour se cacher. Non point ces braves corbeaux. Mais les vilains « corbeaux ». En d’autres termes, les délateurs. Ceux qui fabriquent dans la forge de leurs haines, les lettres courageusement anonymes (les ancêtres de nos « cybercorbeaux » qui aujourd’hui prennent un pseudo pour masque de leur lâcheté) livrant à la vindicte un voisin étranger ou un cousin gênant.

Entre 1940 et 1944, le régime de Vichy et les autorités nazies occupant la France avaient reçu entre 3 et 5 millions de lettres anonymes – cela dépend des historiens – dénonçant à la Gestapo ou aux forces collaborationnistes Juifs, résistants, gaullistes, communistes, francs-maçons.

La circulaire Besson

Dès lors, tout ce qui ressemble à une dénonciation suscite outre-Jura une réprobation automatique. Or, il est erroné de confondre délation et dénonciation. La polémique qui s’enfle actuellement à propos de la décision du nouveau ministre de l’immigration Eric Besson illustre bien cette confusion.

Ce gouvernant ex-socialiste et néo-sarkozyste vient de signer à l’intention des préfets une circulaire « ouvrant la possibilité à tout immigré clandestin d’obtenir un titre de séjour en France s’il dénonce à la police ses passeurs, ses exploiteurs, voire ses proxénètes. Si, après avoir réussi à « se soustraire à l’influence de ses exploiteurs », le sans-papiers porte plainte, il pourra recevoir une carte de séjour temporaire de six mois minimum et « un accompagnement social renforcé ».
La carte de r
ésident de dix ans ne serait obtenue que « si une condamnation effective est prononcée » contre les membres de la filière.

Certes, on peut douter de l’efficacité d’une telle mesure. En 2003, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, avait fait adopter une loi permettant aux prostituées de recevoir des titres de séjour et un appui social si elles dénonçaient leurs maquereaux aux poulets. Mais cette loi n’a pas porté ses fruits. Seuls quelques menus barbeaux ont été pris dans les filets policiers.

Toutefois, ce n’est pas pour cette raison que la circulaire Besson est vilipendée, mais pour des motifs moraux en ce qu’elle encouragerait la délation. Or, en l’occurrence, il ne s’agit pas de cela.

Confusion entre dénonciation et délation

Le délateur procède principalement - mais pas uniquement dans les régimes sans Etat de droit. Ses délations ne se rapportent pas à des infractions pénales fixées par des lois démocratiquement établies. Le délateur ne dit pas qu’un tel a assassiné ou a commis un crime. Il affirme qu’un tel appartient à une catégorie humaine que le régime veut éliminer. Sous le nazisme et le fascisme, le délateur révélait qu’un tel était Juif, communiste ou franc-maçon. En pays stalinien, il avertissait les camarades qu’un tel était koulak (paysan plus ou moins riche), aristocrate ou chrétien. Dès lors, la délation est à la dictature ce que le sang est au corps humain : son fluide vital.

Elle peut aussi sévir en régime démocratique, mais de façon beaucoup plus marginale. Néanmoins, dans un cas comme dans l’autre, il s’agit toujours de stigmatiser un être humain non pas en fonction de ce qu’il fait mais de ce qu’il est. Par exemple, certains blogues diffusent des listes de personnalités qui seraient homosexuelles. On appelle ce genre de pratique en sabir actuel : « coming out forcés ».

Le dénonciateur, lui, révèle un comportement frauduleux et non pas l’appartenance à une catégorie humaine. Ce faisant, il est l’une des composantes de l’Etat de droit. Certes, il peut dénoncer à tort et de façon malintentionnée pour assouvir, par exemple, une vengeance. Il devra alors s’expliquer devant les tribunaux sous l’accusation de « dénonciation calomnieuse ». Car, à la différence du délateur, le dénonciateur n’est pas anonyme, sinon son témoignage ne saurait être utilisé en justice. Parfois, son identité n’est pas livrée au public. Néanmoins, elle est connue des acteurs judiciaires. Certes, une lettre anonyme peut initier une enquête de police. Mais les enquêteurs devront engranger d’autres indices,. puis d’autres preuves pour que la justice suive son cours.

Fiscalité : la zone grise

Il reste une zone grise entre la dénonciation et la délation en régime démocratique : les enquêtes fiscales. Les dénonciations anonymes y sont d’avantage prises en compte que dans les procédures judiciaires. Et dans ce domaine, c’est au contribuable de démontrer sa bonne foi. Dès lors, il arrive souvent qu’un citoyen soit sommé de s’expliquer devant le fisc sur la base d’une lettre anonyme. Certes, le « corbeau », en l’occurrence, dénonce un individu pour ce qu’il fait et non pour ce qu’il est. On ne pourrait donc pas le ranger ipso facto dans la catégorie « délateur » sur cet unique critère. En revanche, sa démarche masquée correspond bien à de la délation.

Revenons à la circulaire Besson qui pose cet autre problème : faut-il récompenser le dénonciateur ? A première vue, l’idée d’une rémunération, sous formes diverses, révulse notre conscience. Comment payer un acte qui devrait relever du civisme et non du cynisme ? Mais dans le cas de cette circulaire, une récompense est-elle vraiment scandaleuse ? Elle s’adresse à des malheureux qui, fuyant la faim, sont contraints de se soumettre à des trafiquants d’êtres humains. Qu’on offre un titre de séjour à ceux qui dénoncent leurs exploiteurs n’a donc rien de révoltant.

Réservons nos indignations aux vrais délateurs.

 http://jncuenod.blog.tdg.ch/archive...

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