Accueil > Différence entre droite et gauche

de Piero Sansonetti traduit de l’italien par karl&rosa
Les mouvements sont retournés dans la rue dans de très nombreuses villes de l’Occident. Il y a eu de grandes manifestations à Rome, Bruxelles, Londres, Tokyo, il y en a eu des dizaines aux Etats-Unis. Avec quelles revendications, avec quelles idées ? Avec deux idées qui sont en train de devenir - combinées entre elles - l’élément qui unit, donne de la force, rend la gauche reconnaissable. La première idée est la conviction que la guerre est le résumé de tout ce qu’il y a de pire dans la civilisation humaine de ces
5 000 ans ; et que la guerre moderne est même la dégradation absolue des relations entre les personnes, les peuples, les états.
La deuxième idée concerne le travail et sa dignité. C’est une idée qui refuse la prépotence du marché et sa dictature sur la politique et sur la culture moderne. C’est-à-dire qu’elle rejette la condition normale de vie et de fonctionnement des grands pays européens, asiatiques et américains. Et qu’elle demande une réforme de la politique - une véritable restructuration - qui mène au bouleversement du rapport entre travail et profit.
Y a-t-il un lien entre ces deux batailles ? Ou ne s’agit-il que de terrains d’une alliance tactique entre des morceaux différents d’opposition (syndicats, jeunes, partis de la gauche radicale, différents groupes catholiques et marxistes) ?
Je crois qu’il y a un lien très fort : dans ce premier aperçu du nouveau millénaire, la lutte pour la paix et la lutte pour la dignité et pour la liberté du travail sont presque en train de s’identifier l’une à l’autre. Pour une simple raison : le capitalisme moderne, dirigé par les Américains, a militarisé la globalisation. Et il a fusionné l’aspect militaire et l’aspect économique de sa pénétration dans le monde, de sa recherche de domination.
Ce que nous appelons libéralisme - et qui est un ensemble d’idées politiques, de pratiques économiques, de mécanismes d’organisation de la société, du travail, de l’état - a trouvé ses certitudes dans l’usage de la force. Il a renoncé à la voie pacifique et négociée : à la politique. Aussi bien sur le plan militaire que sur le terrain social. Savez-vous ce qu’est la Bolkenstein (contre laquelle 100 000 ont défilé hier à Bruxelles) ? C’est un règlement européen qui démantèle les législations du travail, les rend inapplicables et permet une réduction drastique des salaires et des droits.
Elle fait de façon très simple : elle établit que les travailleurs peuvent circuler librement en Europe mais qu’ils garderont les contrats de travail, les salaires et les droits de leur pays d’origine. Que cela veut-il dire ? Qu’un Polonais peut travailler en Italie et que le coût de son travail sera plus ou moins la moitié du coût de celui de son collègue italien qui travaille à côté de lui. Résultat : les profits grimpent, les salaires baissent, le chômage augmente, la forme contractuelle qui, le siècle dernier, a garanti un minimum d’équilibre entre travail et capital disparaît. C’est une sorte de révolution réactionnaire. Il n’est pas exagéré de dire que la Bolkenstein évolue dans une perspective de "capitalisme de guerre". Le capitalisme de guerre n’est pas un choix de classe dirigeante féroce et insensible : il est le débouché naturel d’une crise du libéralisme qui n’est plus capable de gouverner les déséquilibres qu’il a créés et alors - pour ne pas lâcher l’os de cette globalisation - n’a que le chemin d’un revirement furieux et armé.
Vous voyez bien que nous sommes à un point de l’histoire où deux perspectives sont face à face : celle du capitalisme libéral de guerre et une hypothèse opposée qui se base sur le désarmement et sur l’idée de mettre le travail et les droits au centre de l’organisation sociale. Les voies intermédiaires ont disparu, on n’en voit aucune. On disait il y a quelques années que les limites entre droite et gauche étaient en train de se dissoudre. Elles sont au contraire plus marquées que jamais. Il s’agit des deux alternatives très nettes : une société où le marché dirige un régime qui n’admet aucune médiation ou une société basée sur le travail, les droits, la pacification.