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Effacez le nom de mon grand-père à Yad Vashem, par Jean-Moïse Braitberg
Publie le samedi 31 janvier 2009 par Open-Publishing2 commentaires

Monsieur le président de l’Etat d’Israël,
Je vous écris pour que vous interveniez auprès de qui de droit afin que l’on retire du mémorial de Yad Vashem dédié à la mémoire des victimes juives du nazisme, le nom de mon grand-père, Moshe Brajtberg gazé à Tréblinka en 1943, ainsi que ceux des autres membres de ma famille morts en déportation dans différents camps nazis durant la deuxième guerre mondiale.
Je vous demande d’accéder à ma demande, Monsieur le président, parce que ce qui s’est passé à Gaza, et plus généralement, le sort fait au peuple arabe de Palestine depuis 60 ans, disqualifie à mes yeux Israël comme centre de la mémoire du mal fait aux juifs, et donc à l’humanité toute entière.
Voyez-vous, depuis mon enfance, j’ai vécu dans l’entourage de survivants des camps de la mort. J’ai vu les numéros tatoués sur les bras, j’ai entendu le récit des tortures ; j’ai su les deuils impossibles et partagé leurs cauchemars. On m’avait dit que celui qui sauvait un homme sauvait l’humanité tout entière, aussi suis-je en droit de penser que celui qui humilie un seul homme humilie toute l’humanité.
Il fallait, m’a-t-on appris, que ces crimes plus jamais ne recommencent ; que plus jamais un homme, fort de son appartenance à une ethnie ou à une religion n’en méprise un autre, ne le bafoue dans ses droits les plus élémentaires qui sont une vie digne dans la sûreté, l’absence d’entraves, et la lumière, si lointaine soit-elle, d’un avenir de sérénité et de prospérité.
Or, Monsieur le président, j’observe que, malgré plusieurs dizaines de résolutions prises par la communauté internationale, malgré l’évidence criante de l’injustice faite au peuple palestinien depuis 1948, malgré les espoirs nés à Oslo et malgré la reconnaissance du droit des juifs israéliens à vivre dans la paix et la sécurité, maintes fois réaffirmé par l’Autorité Palestinienne, les seules réponses apportées par les gouvernements successifs de votre pays ont été la violence, le sang versé, l’enfermement, les contrôles incessants, la colonisation, les spoliations.
Vous me direz, Monsieur le président, qu’il est légitime, pour votre pays, de se défendre contre ceux qui lancent des roquettes sur Israël, ou contre les kamikazes qui emportent avec eux de nombreuses vies israéliennes innocentes. Ce à quoi je vous répondrai que mon sentiment d’humanité ne varie pas selon la citoyenneté des victimes.
Par contre, Monsieur le président, vous dirigez les destinées d’un pays qui prétend non seulement représenter les juifs dans leur ensemble, mais aussi la mémoire de ceux qui furent victimes du nazisme. C’est cela qui me concerne et m’est insupportable. En conservant au mémorial de Yad Vashem, au cœur de l’état juif, le nom de mes proches, votre Etat retient prisonnière ma mémoire familiale derrière les barbelés du sionisme pour en faire l’otage d’une soi-disant autorité morale qui commet chaque jour l’abomination qu’est le déni de justice.
Je n’ai pas de prétention à vous faire la morale. Votre Etat, comme tout Etat, portera devant l’Histoire la responsabilité de ce qu’il fait, dans le bien comme dans le mal. Mais, de grâce, ne cherchez pas à légitimer des actes qui bafouent les valeurs humanistes les plus élémentaires, en conservant au sein de votre Etat, une mémoire qui n’appartient pas à Israël mais à l’humanité tout entière. Alors, s’il vous plait, retirez le nom de mon grand-père du sanctuaire dédié à la cruauté faite aux juifs afin qu’il ne justifie plus celle faite aux Palestiniens. Et puisque le sionisme, dit-on, s’inscrit dans la vision des prophètes, méditez aussi la parole d’Amos le prophète témoin des iniquités d’Israël :
« Puisque vous piétinez le faibleEt que vous prélevez sur lui un tribut de froment,Ces maisons en pierres de taille que vous avez bâties,Vous n’y habiterez pas ;Ces vignes délicieuses que vous avez plantées, vous n’en boirez pas le vin.Car je sais combien nombreux sont vos crimes, énormes vos péchés, oppresseurs du juste, extorqueurs de rançons,Vous qui, à la Porte, déboutez les pauvres. » [2]
Veuillez agréer, Monsieur le président, l’assurance de ma respectueuse considération.
Jean-Moïse Braitberg, écrivain
Notes
[1] Le mémorial Yad Vashem (יד ושם) a pour mission de préserver à Jérusalem la mémoire des victimes juives de la Shoah perpétrée par les Nazis pendant la Seconde Guerre mondiale.
[2] Amos : 5-11 et 5-12.
Le Monde a publié dans son édition du 29 janvier 2009 un texte de Jean-Moïse Braitberg intitulé Effacez le nom de mon grand-père de Yad Vashem [1], extrait d’une lettre ouverte qu’il a adressée à Shimon Pérès.
Nous reprenons, avec la permission de Jean-Moïse Braitberg, la version intégrale de cette lettre ouverte.
Messages
1. Effacez le nom de mon grand-père à Yad Vashem, par Jean-Moïse Braitberg, 1er février 2009, 18:30, par marie.lina
Cet article prouve, s’il le fallait encore ; qu’il n’y a pas de bonnes couleurs, de bonnes religions et de bonnes races ! Tout cela avec d’ ENORMES GUILLEMETS évidement . Juste des monstres qui justifient leurs exactions par la souffrances des autres .
La seule cause de ces gens la :le pouvoir et l’argent et pour cela,ils manipulent des simplets qui pensent que dieu à dit :" tue tes ennemis !", c’est pratique, cela les débarrasse des pauvres idiots de tous les bords . Stop aux illusions, dehors les assassins de tout poil, il n’y a de la place que pour les êtres humains, comme cet écrivain que je salue bien bas, car en écrivant cela il fait preuve de courage, je suis sure qu’il a depuis reçu des menaces de nos amis les monstres .marie.lina
2. Effacez le nom de mon grand-père à Yad Vashem, par Jean-Moïse Braitberg, 2 février 2009, 00:14
Merci pour cette lettre, elle vous honore et protège la mémoire des victimes d’hier des bourreaux d’aujourd’hui qui se réclament de la même communauté de foi. Faut-il rappeler que le destinataire de cette lettre est non seulement le président d’un Etat criminel même s’il s’en défend. Et il est aussi PRIX NOBEL DE LA PAIX !!! Ce qui est un comble et une énormité scandaleuse quand on voit ses images d’enfants, de femmes ou d’hommes déchiquetés par les bombes.
Il y avait hier des résistants, tel Jean Moulin et bien d’autres qui ont porté les armes pour notre liberté. Aujourd’hui que nous vivons en paix, notre combat pour la justice est porté par les paroles ou par les écrits comme vous l’avez si bien fait avec cette lettre. Puissent-ils un jour changer le cour de l’histoire, l’avenir nous le dira. Et j’espère que cet avenir soit suffisamment proche de nous pour que tous ces assasins puissent répondre un jour de leurs actes.
Nass.