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Enseignants-chercheurs : des révolutionnaires qui s’ignorent ?
Publie le lundi 27 avril 2009 par Open-Publishing1 commentaire
L’université, dernier bastion dont l’organisation et le rapport aux savoirs échappaient encore aux sacro-saintes règles de gestion entreprenariale et managériale, c’est – enfin ? – fini. Tout du moins, c’est visiblement le sentiments de ce que l’on appelle, assez pompeusement mais dans l’espoir de souligner l’union supposée autour de certaines valeurs et pratiques, la « communauté universitaire ». Il faut dire qu’elle ne se trompe pas vraiment en diagnostiquant la situation comme catastrophique, mais plutôt qu’elle se réveille un peu (trop ?) tard. Les réformes en cours ne sont d’ailleurs pas les seules contestées, puisque le rejet de la loi LRU (“autonomie” de universités) apparaît comme l’un des point central de la mobilisation, et que – l’on ne s’en souviens peut être pas – il s’agissait là du motif principal de la mobilisation étudiante l’année passé, qui à l’époque ne semble pas avoir eu un quelconque écho du coté de leurs enseignants (les exceptions ne font pas la règle...). Les réformes actuelles, de par leur brutalité d’application certainement plus que par leur fond, paraissent avoir fait l’effet d’un électrochoc à une “communauté” réputée pour son adaptation tout au plus ronchonne à la “modernité” qui s’impose à tous, intensifiant et étendant sa logique concurrentielle visant l’établissement d’un marché du savoir européen et compétitif à l’échelle internationale. En effet, la douche froide ne vient pas tant, à mon avis, des dernières réformes concernant cette évolution, mais du dévoilement de ce qui était patent et dénoncé comme tel par une petite minorité “d’extremistes”, autrement dit : la compréhension de cette évolution comme telle, la prise de conscience du processus décidé de longue date à un niveau international.
Pendant que certains, à la réflexion étroite si ce n’est égocentrique, déplorent l’annualité des contestations étudiantes et l’absence de résultat auxquelles elles aboutissent (estimant ainsi suffisamment démontrer l’inutilité de tout mouvement sociaux tout en faisant triomphe de leur résignation et passivité au titre d’un pragmatisme mal compris), d’autres en viennent progressivement à penser que ce n’est pas tant la “grogne” qui est redondante que le rythme et la cohérence des réformes depuis 15 ans, en France et en Europe, visant à faire de l’éducation et de la transmission des savoirs en général une entreprise “rationalisée” en faveur de la croissance économique – et par conséquent soumise non seulement aux lignes stratégiques de la rentabilisation de la recherche, mais aussi à la “formation” de “diplômés” répondant aux exigences du marché du travail. Ce qu’en viennent donc à contester de plus en plus d’universitaires mobilisés, emboîtant ainsi le pas à certain de leurs étudiants, ne se focalise plus sur des aspects concernant les réformes actuellement mises en œuvres, mais concerne le mouvement général de “l’adaptation” de l’université à une économie de marché qui ne serait faire impasse sur un secteur aussi porteur.
D’où la question : les enseignants chercheurs se découvriraient-ils en luttes non pas simplement contre un gouvernement et les modalités d’applications des réformes qu’il impose, mais contre un projet de société ? En d’autres termes, les universitaires sont-ils devenus anti-capitaliste ?
Cette question découle directement d’une autre, que donc certaines éminences grise commencent enfin à se poser, et qui d’ailleurs ne cesse pas d’être avancée par les décideurs et approbateurs de la rationalisation/libéralisation de l’ensemble de ce qui n’est plus qu’économie : Est-ce que l’Université peut ne pas “s’adapter” à une (pseudo-)logique qui est devenue celle de l’ensemble de l’organisation sociale ? – Est-ce qu’il y a un sens à refuser la mise en place du processus de Bologne ou de l’AGCS en ce qui touche à l’enseignement public (supérieur ou non…) sans refuser du même élan le fameux “démantèlement” des services publics dans leur globalité, sans s’affirmer en opposition et/ou en lutte contre une politique, contre une vision du monde, du travail, et non pas simplement du savoir ?
Bien entendu, s’il est possible que certain (re)découvrent aujourd’hui (et progressivement) leur fibre révolutionnaire, nous sommes bien loin d’une confrontation réelle des enseignants mobilisés aux problèmes socio-politiques et aux enjeux sous-jacent à leurs revendications concernant la préservation de leurs statut si particulier. Pourtant, l’idée que ce mouvement, même essoufflé et finalement reporté, laissera des traces importantes et s’inscrira dans une sorte de continuité pour les années a venir, n’est-ce pas aussi l’idée qu’un désaccord fondamental s’est enfin mis à jours, est enfin parvenue à une affirmation lucide ?
Car de deux choses l’une : soit l’étude de « la princesse de clève », de la littérature, du théâtre, de la philosophie ou de l’histoire représentent des formations inutiles car produisant des compétences non réclamées par le marché du travail – non exploitables –, et en ce cas nous sommes voués à démassifier les fac de lettres, à sélectionner d’une manière ou d’une autre ceux qui pourront accéder à ces savoirs devenues futiles, aujourd’hui que nous ne vivons plus que par intérêt économique ; soit toutes ces “disciplines” peuvent être enseignées autrement, compatible avec l’impératif de croissance économique et la demande de la part du marché du travail… C’est du moins l’alternative qui se pose lorsque l’on restreint le débats sur l’université à l’université en elle-même, sans remettre en cause ni le monde du travail auquel le savoir est de facto toujours plus ou moins liés, ni l’organisation sociale dans son ensemble, organisation hierarchique-bureaucratique à laquelle l’université joue évidement son rôle. Et c’est peut-être cette alternative, le cadre fermé de ce débat qui inéluctablement conduit à une problématique d’adaptation, qui est peut-être aujourd’hui en train de tomber…
En d’autres termes, une mobilisation des facs qui veuillent faire sens ne peut se contenter de vouloir maintenir ce qui déjà a perdu son sens, mais implique au contraire une remise à plat de ce que devrait être réellement l’enseignement supérieur dans le cadre d’une société dont on désire qu’elle tende à devenir une organisation démocratique, et non pas un marché ou savoir et hommes ne sont considéré qu’en fonction de leur valeur marchande.
Finalement il s’agit bien de savoir si l’université va disparaître ou non : si elle préservera son rôle, devenu spectrale, de production d’un savoir réflexif qui par définition interroge la société et les hommes dans leurs manières d’agir et de penser, ou si elle aussi entérinera son intégration à la logique strictement marchande, en acceptant de produire des individus et des savoirs conformes et adaptées au grand foutoir de notre suicide collectif.
Messages
1. Enseignants-chercheurs : des révolutionnaires qui s’ignorent ?, 27 avril 2009, 17:26
voilà pourquoi on tourne !!!!!!!!!!pl de l’hotel de ville.....