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Un tract qui a tourné lors d’une AG tenue en fac de sciences jeudi 12 février.
Et chacun défend son steak avarié
Les mouvements sociaux se contentent en général de revendications parcellaires immédiatement liées au domaine d’activité des groupes sociaux qui les portent. Les marins demandent de l’essence moins chère, les retraités une meilleure retraite, les professeurs plus de postes, les étudiants plus de bourses… Jamais, ou très rarement, n’est posée la question du sens de ces activités, de leur rôle dans la société marchande. Les mouvements sociaux se complaisent à demander le statu quo, parviennent même à lui découvrir des attraits, et le défendent bec et ongles au motif que les modalités d’exploitation s’aggravent.
Le mouvement qui s’initie ici ne fait pas exception. Au sein même du monde universitaire on distingue clairement des séparations : la chapelle des enseignants-chercheurs contre la réforme du statut, celle des personnels contre la précarisation, celle des étudiants contre la LRU, celle des IUFM contre la mastérisation… Chacun a son petit bout de steak avarié à défendre et aucun n’a l’air de vouloir dépasser ces séparations. Ce qu’ils remettent en question ce n’est pas leur non-vie, ni leur profond ennui, ni leurs activités aliénées. Non, ce qu’ils contestent ce sont les modalités selon lesquelles leur créativité, leur imagination, leur volonté de vivre pleinement, leurs désirs les plus spontanés… sont vampirisés, détournés, exploités, refoulés. A vrai dire peu importent les situations matérielles et administratives des facultés, qu’elles soient gérées par l’État ou par des entreprises privées, elles resteront les lieus morbides du calibrage intellectuel et comportemental des individus, la cerise sur le gâteau empoisonné qu’est le système scolaire. Ceux qui réclament un enseignement de qualité ne demandent rien d’autre que l’asservissement le plus complet*. En l’occurrence, les besoins du capitalisme moderne nécessitent de produire les petits et moyens cadres qui manageront l’exploitation.
Et pourtant ! Des perspectives de transformations réelles de la vie s’esquissent toujours dans ces périodes d’agitation. Lorsqu’on découvre accidentellement, par l’intermédiaire d’une pratique qui n’a initialement rien de subversive, l’étendue de sa propre puissance, sa capacité à transformer le monde. Lorsque le rythme effréné de la vie quotidienne se trouve perturbé, que les habitudes se défont, s’ouvrent alors des potentialités jusque là inimaginables. Ce sont peut-être les seuls moments qui méritent d’être vécus dans un « mouvement social », et c’est sans doute uniquement pour cela que nous y participons. Mais s’en contenter nous parait également bien insuffisant. Le plaisir de la subversion n’est qu’une étape qui donne seulement un aperçu de ce à quoi pourrait ressembler la vie débarrassée du pouvoir hiérarchisé, de la domination marchande et des multiples aliénations qui y sont liées.
Nous avons peu d’illusions sur la portée d’un tel tract, et pouvons déjà prédire l’impuissance qui caractérisera les Assemblées Générales des prochaines semaines. Celles-ci ne produiront probablement qu’une liste de doléances destinées à ceux qui organisent nos vies à notre place. Elles nieront la portée de leur propre pouvoir dès le moment où elles en reconnaîtront un autre que le leur. La route est longue, mais on avance malgré tout, l’existence même de ce tract le prouve et cela viendra, CELA VIENDRA !
Collectif enragé pour la propagation d’une contestation globale
* on a beau cracher dessus, c’est bien grâce à l’enseignement du système scolaire que l’on peut écrire de si beaux tracts. Comme quoi les conditions historiques d’une époque possèdent toujours les germes de leur dépassement.