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Et le dieu Silvio descendit sur terre et se fit homme
Publie le samedi 9 avril 2005 par Open-Publishingde Gennaro Carotenuto traduit de l’italien par Karl&rosa
La participation de Berlusconi à l’émission de la troisième chaîne de la RAI Ballaro’ a été une surprise pour tout le monde, sauf pour Berlusconi lui-même. C’est un pas incontournable, qui est aussi sa dernière chance.
L’acceptation du débat public n’est écrite dans aucune loi au monde. Aucune loi électorale annexe au système électoral le débat télévisé. Avant la télévision, l’unique lieu de débat entre les différentes forces politiques était le Parlement, qui était, pour cela aussi, le lieu de la démocratie par excellence.
La somme "télévision + sondages + majoritaire/présidentialisme" permet aux hommes politiques de faire des calculs et de pouvoir choisir librement de se faire entraîner ou non dans le débat avec l’adversaire. Et, en général, le candidat en tête n’y a aucun intérêt , alors que le candidat qui le poursuit voit dans le débat un pouvoir thaumaturgique que généralement il ne possède pas. Cela à moins que le résultat ne soit vraiment incertain ou que la coutume du pays ne retienne comme une chose grave le refus par le candidat favori d’offrir cette opportunité à celui qui le suit. C’est par exemple le cas des Etats-Unis. Récemment, par exemple, en Uruguay, le candidat de la gauche Tabaré Vazquez, qui avait une très forte avance, a pu éviter le débat demandé désespérément par le candidat gouvernemental Jorge Larrañaga, sans payer aucun prix politique.
Dans le cas de Berlusconi, le refus dix années durant, décidément un record mondial en démocratie, de tout débat public avec l’opposition, a eu une triple valeur. D’un côté, il y avait pour lui le manque d’avantage à le faire, se considérant fortement en avance sur ses opposants.
De l’autre côté, il y avait l’arme - qu’il considérait très importante, mais peut-être pas si importante que cela, sauf comme excuse - de la non légitimité de l’adversaire. D’abord avec Prodi, en perdant, puis avec D’Alema, ensuite avec Rutelli (adversaire de Berlusconi au dernières législatives, NdT) et enfin à nouveau avec Prodi, Berlusconi a cru utile de jouer la carte de l’illégitimité et de la non représentativité de l’adversaire. Il est même entré de force sur le terrain adversaire pour disserter sur qui devait en être le candidat. En attaquant la légitimité des adversaires, Berlusconi obtenait aussi de nuancer sa propre illégitimité, due au conflit d’intérêts et à ses déboires judiciaires.
Troisièmement, il y a d’un côté le fait de vouloir se mettre au dessus de la mêlée, en se présentant - encore (sic) - comme l’homme nouveau, l’homme de la providence et du miracle qui ne se baisse pas au niveau de l’arène politique que lui, de même que l’opinion publique saine, méprise. Voila une des caractéristiques politiques de Berlusconi:un homme tout ce qu’il y a de plus vieux et qui aime se faire passer pour nouveau. Tout cela a été possible seulement à cause de la conjonction astrale du monopôle du système télévisuel italien, mais cela a été peut-être jusqu’ici le facteur décisif de ses succès.
La défaite des 3 et 4 avril a fait redescendre Berlusconi sur terre. Désormais Silvio considère l’arme de son illégitimité épointée pour ses adversaires. Lui est là. Et il est contraint de renoncer à l’arme de la supériorité, qui lui est particulièrement chère et utile, parce que la première et fondamentale raison qui le faisait renoncer au débat est tombée.
Le score de 52 à 45 en faveur de l’Olivier, d’où part la campagne pour les législatives 2006, impose ce qui n’est même plus un risque mais une imminence de défaite. Et cela n’a pas été donc pour endiguer à court terme la défaite, mais pour une obligation stratégique précise, que Berlusconi a choisi de commencer déjà par Ballaro’. S’il s’était agi d’un choix à court terme, il aurait pu continuer à endiguer sa défaite par la mort du pape comme les passeurs de communiqués à la presse et les sanfédistes continuent à le faire. Mais pour Berlusconi, ce qui a commencé mardi soir n’est rien d’autre que sa dernière chance, désormais mûre.
Le choix d’accepter, de descendre pour le débat public respecte donc le manuel pour l’utilisation politique des médias. Le débat public ne convient et ne sert pas à ceux qui ont l’avantage, il est désespérément recherché par ceux qui sont moins bien placés. En sachant qu’il a désormais 7 points de retard, il n’a pas d’autre choix. Il s’agira d’une année de surexposition, dans laquelle, forcément, son image va se modifier et il n’est pas dit que cela sera en sa faveur. Mais comme en ne la modifiant pas il sait qu’il a déjà perdu, il est naturel qu’il soit contraint à la modifier. Qu’il l’ait fait si tôt signifie seulement, comme c’est naturel, que le plan alternatif était déjà prêt et raisonné, même si la renonciation est coûteuse.
De plus : la cible de la pantalonnade d’hier soir n’était pas de disserter avec les chefs du centre-gauche. Avant tout, Berlusconi est intervenu personnellement pour débattre, déjà hier, tout simplement parce que La Loggia, Bondi, Cicchitto etc.(porte-parole de Forza Italia, NdT) ont été déjà virés sur le champ lundi soir. Forza Italia - le dégonflement des différents Fitto (le président de la région POUILLES battu par Vendola, NdT) l’a rendu évident - n’est QUE Berlusconi. Et seulement Berlusconi sait en vendre la camelote. A partir du moment où la camelote revient invendue, la dernière chose qui reste à celui qui a fait le business plan est de virer les vendeurs et descendre faire les marchés en première personne. Il s’agira pour lui d’une année de surexposition médiatique, de beaucoup de clientélisme et de peu de gouvernement.
Mais il n’est absolument pas dit qu’il ait devant lui un an. Pour le bien du pays, même un jour de moins serait un jour de gagné, mais il n’est pas dit qu’il n’y ait pas de conséquences sur le gouvernement à très court terme. Tabacci de l’UDC (la composante démocrate-chrétienne du gouvernement, NdT) n’est pas un kamikaze et même s’il l’est, il l’est pour le compte de Follini et Casini. Fini (ministre des Affaires Etrangères, NdT) ne peut pas ne pas revoir le sien de "business plan", qui à ce point là a comme objectifs également importants la permanence au pouvoir et la lutte pour la succession avec le fait que celle-ci devient, de jour en jour, prioritaire, et encore plus face à la forte probabilité d’une défaite en 2006. Qui descend le premier du bateau qui coule ?
Berlusconi demande aux siens 12 mois de carte blanche. Il n’est pas sûr que AN (les post-fascistes, NdT) et UDC puissent se permettre de la lui donner. Ils ont à peine tenu et les dépouilles de Forza Italia sont allées vers l’abstention justement au moment où le centre-gauche - par la provocation Vendola - décongèle une partie de son abstention. Sur l’autre front, la Ligue n’est disposée à faire aucun pas en arrière sur la deuxième lecture de la reforme scélérate de la Constitution. Pae conséquent, Berlusconi doit occuper la scène aujourd’hui aussi pour la soustraire à ses alliés. Et, en effet, sur la deuxième lecture, qui est en ce moment la clé de tout, Alemanno (Ministre de l’Agriculture, NdT) à Ballaro’ a reculé.
A sa première sortie "publique" après dix ans, pour Berlusconi cela ne s’est passé ni bien ni mal. Il répète les mêmes sempiternels mensonges et sait bien les répéter, même si le débat public, le fait de descendre sur la terre, ne peut que l’affaiblir. Seul avec Vespa (commentateur politique de la première chaîne TV, NdT) et le bureau en cerisier, il comptait sur la possibilité de dire des bêtises, de promettre le pont de la Terre à la Lune, de raconter que la télévision était dans les mains de la gauche sans avoir jamais personne qui riposte. Maintenant, il doit accepter que quelqu’un riposte et peut-être va-t-il découvrir que ce n’est pas un handicap si grave. Il est vraiment bon. Rutelli - médiocre comme toujours - lui a pratiquement fait des excuses pour la liste d’injures lue par Berlusconi. Celui-ci a été génial à moucher D’Alema quand ce dernier s’est laissé aller au ton d’un orateur de basse cour. Il est clair que le son de la corde du bonimenteur est moins suranné que celui de la corde de l’homme politique ringard et ceci est une carte qui reste dans les mains de Berlusconi. Au fond, il s’agit de sa parole contre celle de son adversaire. De plus, il est le seul qui soit arrivé à insulter et en même temps à se scandaliser des insultes d’autrui. Les autres étaient assez embarrassés par sa présence. Si j’avais été Rutelli je lui aurai rappelé que ce débat public arrivait avec quatre ans de retard. Berlusconi jouait en déplacement, mais il pouvait compter sur l’arme du contre-pied. Pour Alemanno aussi, dans le rôle de celui qui doit se démarquer mais pas trop, cela ne s’est pas mal passé. Il a souvent touché dans le mille avec Rutelli et D’Alema et il s’est efficacement démarqué de Berlusconi quand celui-ci a essayé de le coincer sur le programme exclusivement nordiste sur lequel il veut continuer imperturbable la législature. C’était ce qu’on voulait entendre en Via della Scrofa (siège de AN, le parti post-fasciste, NdT). Si la deuxième lecture est un écueil très dangereux, Alleanza Nazionale ne peut pas en faire abstraction si elle veut se repositionner pour une troisième lecture aussi importante, celle, en clé clientéliste, de la prochaine loi des finances. A ce point là, il conviendrait même au centre-gauche d’accélérer le plus possible la deuxième lecture et d’aller au référendum avant la loi des finances. Ainsi, à la fin, tout se dénouerait.
Une année d’omniprésence berlusconienne nous attend et il faudrait se faire une raison, aussi parce que, s’il devait perdre ensuite les législatives, la récompense serait son retrait immédiat de la politique. Le choix d’hier soir a dû coûter personnellement très cher à Berlusconi parce qu’il a dû renoncer, après dix ans, à être au-delà du bien et du mal. C’est véritablement sa dernière chance, mais il est plus dangereux que jamais, aussi bien politiquement que médiatiquement.
En tout cas, le véritable vainqueur de la soirée a été Giovanni Floris. Les qualités de ce journaliste à peine plus que trentenaire, qui, quand il était à New York, semblait quasiment toujours s’aligner, étonnent. Il n’a pas donné de coups de tranchant à Berlusconi, comme il le fait souvent contre des animaux comme Tremonti (ex ministre des Finances du gouvernement Berlusconi, NdT), mais hier il est devenu un journaliste politique de premier ordre.