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Evreux : Peur sur la ville !

Publie le lundi 14 novembre 2005 par Open-Publishing
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de Bernard Lallement

Evreux est une charmante bourgade normande où il fait bon vivre, les berges de l’Iton, rivière qui la traverse, sont aménagées avec goût et sa maison d’arrêt, avec un taux d’occupation de 205 % au 1er juillet, figure parmi les 9 prisons les plus surpeuplées de notre pays.

Il y a dix ans une petite bourgeoisie compassée, pour laquelle les Evangiles s’arrêtent à la sortie de la Cathédrale, avait obtenu du Vatican le départ du très médiatique Mgr Gaillot, trop progressiste à leurs yeux. Aujourd’hui, grâce à son maire Jean-Louis Debré, la capitale ébroïcienne, qui souffre d’un déficit certain de notoriété, peut s’enorgueillir d’être devenue l’exemple d’une ville ségrégationniste.

En effet, depuis le 9 novembre 05 environ 20.000 personnes font l’objet d’une mesure de couvre-feu radicale s’appliquant tant aux mineurs qu’aux majeurs. De 22 heures à 5 heures le quartier de La Madeleine est bouclé par une compagnie de CRS et personne ne peut franchir les barrières qui le ceinturent. Un hélicoptère, veillant jalousement sur ce pan de territoire à 3 km du paisible centre ville, est là pour rappeler combien l’ordre moral veille.

Près de 40 % d’une population se trouve confinée la nuit, comme au bon vieux temps de l’Algérie française, et stigmatisée. Même à Clichy sous Bois, et dans tous les départements de la région parisienne, où les exactions ont été d’une bien autre ampleur à la suite de la mort de deux adolescents, les préfets se sont refusés à pareille mesure.

Fait unique en France des milliers de gens, pour la grande majorité, issus de l’immigration, subissent, de ce fait, une contrainte qui fleure bon un relent colonialiste sous l’œil d’une opposition indicible. Jean-Marie Le Pen en avait rêvé, Philippe de Villiers n’osait l’envisager mais Jean-Louis Debré l’a adoptée. Jacques Chirac peut être fier de son vaillant grognard.

Discrimination et désespoir

Au-delà de la nécessaire lutte contre la délinquance, qui ne ressortit pas d’un état d’urgence, nous voulons oublier que le drame des banlieues n’est que le reflet de celui traversé par notre société morcelée. La discrimination dont souffrent ces jeunes, parce qu’ils ont la mauvaise couleur de peau et sont relégués dans des ghettos, ne sera pas résolue par les seuls vecteurs répressifs et budgétaires. Le mal est trop profond et provient, avant tout, du regard porté par ceux qui ont la « bonne couleur » et bien sûr, à ce titre, détiennent la vérité.

Nous vivons l’ère des antagonismes : politiques/citoyens, adultes/enfants, villes/banlieues, hommes/femmes, riches/pauvres, patrons/salariés, jeunes/vieux, etc. Raymond Aron nous avait mis en garde contre une civilisation qui engendre communautarisme et racisme en faisant « de chaque individu le membre d’un groupe et (qui) incite chaque groupe à comparer son sort à celui des autres groupes. »

Les jeunes des banlieues se sont fondus, par le jeu de l’Histoire, en une « fraternité-terreur » à la manière ou Sartre nous la donne à lire dans La Critique : « chacun réagit d’une manière nouvelle, ni en tant qu’individu ni en tant qu’Autre mais comme incarnation singulière de la personne commune. » Aussi, ce mouvement est-il condamné à se perdre dans une logique nihiliste qu’aucun acte normatif n’est susceptible d’enrayer. Il serait absurde d’imaginer que ces révoltés n’ont aucune conscience du pacte républicain, bien au contraire. Mais ils perçoivent également que la politique libérale, actuellement menée, a pour conséquence certaine de les en exclure.

Seule une médiation par la parole peut redonner du sens à un devenir sans autre illusion que le désespoir. C’est là, toute la responsabilité de nos dirigeants qui leur impose de ne pas sombrer dans la démagogie des amalgames et des invectives.

Au lieu de cela, par l’onction d’un décret présidentiel, toute une catégorie d’habitants est élevée à la sinistre dignité de racaille, pour reprendre la distinction favorite de Nicolas Sarkozy.

Ainsi la ville, dont le maire est ancien ministre de l’Intérieur et magistrat, serait-elle devenue un gigantesque repaire de voyous dont l’idylle préféré de la chiraquie n’aurait pu venir à bout depuis qu’il a ravi la municipalité, en 2001, au communiste Roland Plaisance !

Aussi, pour les prochaines échéances électorales, citoyens je n’ai qu’un conseil à vous donner : sortez vos Kärchers.

Bernard Lallement

 http://sartre.blogspirit.com

Messages

  • C’est effrayant !

    Combiens de personnes vont fuir la Madeleine à la première occasion pour aller s’installer ailleurs, transformant ce malheureux quartier en un ghetto encore plus dur ?

    Et si la la violence continue, que sera la prochaine étape : les barbelés ? le mur de Sharon ?

    Que l’on ne s’y trompe pas, voilà une bien sale affaire qui ternit l’image d’Evreux toute entière.

    Alain AFFAGARD
    Hérouville St-Clair