Accueil > Face au « déficit de travail », plus de libéralisme

Face au « déficit de travail », plus de libéralisme

Publie le mercredi 20 octobre 2004 par Open-Publishing

de Yves Housson

Pointant la faiblesse des taux d’emploi, principal talon d’Achille de la croissance française, le rapport Camdessus propose, pour l’essentiel, d’accentuer les réformes basées sur la baisse du coût du travail.

Décrivant la situation sur un ton dramatique, le rapport Camdessus estime que l’économie française « est subrepticement engagée dans un processus de décrochage ». Depuis dix ans, le produit intérieur brut progresse moins vite que celui des USA. Si notre pays ne manque pas d’atouts (performances des entreprises, qualité des infrastructures et services publics, qualification de la main-d’oeuvre...), il accumule aussi des « échecs inacceptables », chômage de masse, pauvreté, inégalités. Il souffre d’un déficit d’investissement, en particulier dans les nouvelles technologies, et d’un endettement trop lourd. Les « raisons de nos maux » ? D’abord, « un déficit de travail », se traduisant à la fois dans la durée hebdomadaire, mais aussi le faible taux d’emploi des jeunes et des salariés seniors, ainsi que le chômage. « La France est avant-dernière au sein de l’OCDE pour le nombre d’heures travaillées par an et par personne en âge de travailler ». Camdessus l’affirme : il faut « en finir avec l’idée que le travail se partage », il vaut mieux « le multiplier ».

Deuxième raison : le poids trop lourd et l’inefficacité de la dépense publique. Le rapport stigmatise ici, en phase avec le discours libéral classique, la croissance de la fonction publique , les prélèvements obligatoires, la dette. Fort de ce diagnostic, Camdessus prône donc une « nouvelle croissance » visant à « sortir par le haut ». Et il avance une série de propositions de réformes, touchant à de nombreux domaines, certaines reprenant et prolongeant la politique déjà mise en oeuvre par le gouvernement Raffarin, d’autres innovant parfois radicalement, mais, le plus souvent, dans le sens d’un libéralisme débridé. Plusieurs mesures semblent d’ailleurs fortement inspirées du « modèle » américain. C’est le cas du chapitre consacré à l’éducation et à la recherche. Le rapport préconise de créer un ministère de l’Enseignement, de la Recherche, de la Technologie et de l’Innovation, « distinct de l’Éducation nationale », d’« instituer une véritable autonomie financière et managériale des universités ». Il prescrit bien une montée en charge des moyens financiers alloués à l’enseignement supérieur, mais les moyens nouveaux devraient être attribués sélectivement, « sur appels à projets », « non systématiquement reconductibles » : il faut « privilégier le financement contractuel avec évaluation périodique des résultats », et « les meilleurs établissements doivent être les mieux dotés ».

Autre volet marquant des propositions, celui portant sur le travail. Pour « travailler plus », le rapport demande de faciliter l’emploi des seniors, en démantelant les dispositifs de retraite anticipée, en renforçant la formation des 40-45 ans, mais aussi en autorisant « sans restriction » le cumul emploi-retraite, déjà prévu par la réforme Fillon des retraites. Pour l’intégration des jeunes, il faudrait « mettre en place rapidement » le plan Borloo de « cohésion sociale ».

S’agissant de la protection des salariés, le rapport admet que la flexibilité de l’emploi « n’a pas permis une réduction significative du chômage ». Il fait à ce sujet des propositions qui, à tout le moins, mériteraient d’être précisées, telle « la suppression du CDD et la création d’un contrat unique à durée indéterminée », dans lequel les droits relatifs à la protection d’emploi et à l’indemnisation se renforceraient progressivement. Ou encore la mise en place d’« un statut du travailleur », sans autre précision. Les droits sociaux - comme la formation - devraient être attachés à la personne et non à l’emploi, afin de faciliter les transitions entre emplois. Camdessus demande « un meilleur contrôle de l’implication des chômeurs dans la recherche d’emploi ».

Et il réclame l’application des dangereuses propositions du rapport de Virville démantelant le Code du travail, jugeant qu’il faut « supprimer la spécificité relative au licenciement pour motif économique ». La teneur « medefienne » du rapport s’affirme plus franchement encore dans le chapitre « coût du travail ». Au nom de la nécessaire « conciliation » entre niveaux de vie et coûts salariaux, Camdessus demande la suppression des « coups de pouce » sur le SMIC (voeu exaucé par avance par Raffarin depuis deux ans) et propose de monter en puissance, parallèlement, la prime pour l’emploi (PPE), pour compenser le blocage du SMIC. L’État se substituerait ainsi au patronat pour « réduire le nombre de travailleurs pauvres ». Concernant enfin la RTT, le rapport veut permettre aux entreprises de « déroger aux accords de branche en cas d’accords d’entreprises majoritaires » et instituer « une nouvelle notion d’heures supplémentaires individuelles » que le salarié aurait « toute latitude pour refuser »...

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-10-20/2004-10-20-447483