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Hommage à Georges Haoui : L’enfant et la boulangère
Publie le jeudi 23 juin 2005 par Open-PublishingSoudain, l’explosion. Je me retourne et je vois un homme à côté d’une voiture détruite, en fumée. Hystérique, il saute et crie des mots incompréhensibles, incohérents.
Il s’effondre. Très vite, un rassemblement se forme sans que les gens comprennent tout de suite ce qui s’est passé. Je m’approche et je vois Abou Anis allongé dans la voiture. Sa tête penchée entre le haut du siège et la porte arrière du véhicule. le sang coule le long de sa gorge. C’est lui. C’est Georges Haoui, nous l’avons tous reconnu.
La police arrive, Suivent les ambulances, les pompiers, les journalistes, le secrétaire général du Parti communiste libanais, son adjoint, des camarades, le ministre de la justice, celui de l’information et du tourisme, des députés nouvellement élus ...
Le témoin qui raconte est son voisin. Une femme s’approche et confirme le récit du vieil homme. "C’est l’époux du Dr. Suzi. Elle soigne ma mère. Je la connais très bien" dit-elle à tous ceux qui veulent l’écouter.
Plus loin sur le trottoir, l’ancien détenu libéré Anouar Yassine, hébété, fixe la scène en silence. Des camarades se tiennent à côté.
"Pareil qu’avec Samir Kassir" crie un homme.
L’un des députés s’apprête à faire une déclaration. La presse l’entoure. Les micros se tendent. On réclame le silence.
En face, la voix d’un homme en colère retentit : "Ils assassinent tous ceux qui résistent à l’occupation israélienne !" C’est Ryad Issa, un ancien détenu. Il répète inlassablement sa phrase. Il accuse les autorités. Il profère des insultes. Il crie. Les caméras le fixent à la recherche d’une explication possible de l’assassinat du dirigeant communiste. Ryad se tait, maîtrise sa colère.
Le député va faire sa déclaration.
Une voix stridente l’interrompt. Un femme hurle et veut s’approcher. Les policiers l’en empêchent. Elle gueule de toute sa voix, de toute sa poitrine, de tous ses poumons... Les gens se ruent vers elle. On cherche à la calmer. Elle pousse des cris de terreur. Elle s’écroule au sol. Elle réclame Georges Haoui. Elle veut le ramener à la vie. Elle menace de tuer ses assassins.
La foule est abasourdie. Des communistes sont là. Ils ne croient pas qu’Abou Anis vient d’être assassiné. "Pourquoi ?" Ils veulent savoir. Ils veulent comprendre. Le corps de l’ancien secrétaire général est étendu juste en face.
Une femme, les mains encore enfarinées, sort de la boulangerie d’à côté. Le regard terrifié. Un journaliste l’interroge : "le connaissiez-vous ?"
"Très bien" dit-elle.
"Depuis longtemps ?"
De la main, elle fait un geste vers le ciel, pour signifier : "Depuis toujours !"
"J’étais déjà au Parti quand il le dirigeait"
Des larmes coulent sur ses joues. Elle baisse la tête, par pudeur. "Excusez-moi, il faut que j’aille travailler". Elle s’éloigne. Elle retourne à son fourneau. Sur son chemin, elle croise un enfant. Elle lui chuchote quelque chose à l’oreille.
Les fracas des vitres sont entachés du sang de la victime. Du sang rouge partout. En abondance.
Sur la chaussée, une chaussure noire projetée et immobilisée là, à quelques mètres, du véhicule.
La presse étrangère est arrivée. D’autres ministres et députés aussi. Chacun fait sa déclaration face aux caméras de télévision.
Plus loin, un enfant grimpe à un poteau électrique. Il monte vite. Son agilité surprend et inquiète la foule. Tous les regards se portent sur lui. Il continue son ascension vers le sommet. Il y arrive. Il est monté trop vite. Il s’arrête et reprend son souffle.
Devant les caméras des télévisions du monde entier, sous le regard des habitants du quartier, des ministres et des députés ... il plante le drapeau rouge.