Accueil > Ici a Damas, sur le tournage d’un film...

Ici a Damas, sur le tournage d’un film...

Publie le mardi 8 août 2006 par Open-Publishing

Un tournage connait des aleas. Surtout celui-ci. Cette fois, notre acteur principal, une jeune vedette de Damas, est tombe de cheval pendant une prise. Il a crie tres fort, beaucoup de gens ont accourru, puis il s’est releve, s’est dirige vers le cheval qui l’a fait tomber et lui a decolle deux enormes claques.

Bilan, deux cotes cassees (pour l’acteur), une egratignure au visage et une fracture au pied... Du coup, le tournage est a nouveau arrete, peut etre pour deux jours, peut etre pour quatre, peut etre pour...

On suit les evolutions de la guerre qui a eclate a cote, et evidemment on s’indigne et on pleure devant cette ignominie. Ici a Damas, il y a beaucoup de libanais et d’etrangers qui ont quitte Beirout, et il est tres difficile de trouver un hotel.

Quelques drapeaux de Hassan Nasrallah, quelques
banderoles de solidarite aux palestiniens et aux libanais, dont celle etendue en ce moment au dessus du souk principal qui rappelle que, aux yeux de toutes les legislations du monde, un peuple qui se bat contre l’occupation de son sol n’est pas terroriste. Il y aussi un drapeau israelien par terre qui barre une rue pietonne, et chaque passant marche
dessus. Tous les membres de l’equipe de tournage sont degoutes par la destruction du Liban, par la demolition de l’aeroport et des routes et des ponts.

Il y a un libanais dans l’equipe, Joseph, qui ne peut plus rentrer chez lui car la route Damas Beirut, plusieurs fois bonbardee, est difficilement praticable et les taxis qui assurent encore la liaison demandent des prix exorbitants. Il regarde a la television son pays sous les bombes et appelle ses proches de temps en temps. Le createur des
costumes est bloque a Beirut et tous ces projets tombent a l’eau. La violence de l’attaque israelienne fait peur a tous, et bien sur attise les rancunes et les haines, et il y a de quoi. La Syrie pour le moment reste a l’ecart du conflit, acceuille les refugies et les soutient moralement, mais toute la population se sent touchee directement par ces evenements, d’autant plus qu’elle sait que la Syrie a ete placee par le gouvernement americain sur "l’axe du mal".

Jusqu’a quand ? Jusqu’a quel point peut on rester assis a se lamenter et a reprimer la rage, la colere, et le ressentiment. Plusieurs Syriens, des chauffeurs de taxis, des etudiants disent qu’ils preferent encore la guerre. Ca fait peur bien sur, mais quelque part comment ne pas les
comprendre ? D’ici, j’ignore le traitement de l’information dans les medias francais, j’imagine qu’ils sont prolixes puisque chez nous ce sujet est tres sensible. Vu d’ici, l’etat d’Israel apparait une fois de plus en etat belliqueux, guerrier, destruceur, violant toutes les lois internationnales.

Je suis conscient que la region peut "s’embraser", comme on dit, et l’ambassade de France est prevenue de notre presence ici et nous avertira par telephone au cas ou elle ait des consignes a donner aux ressortissents francais. Ceci dit, Palmyre, le lieu ou nous travaillons et que nous ne
quitterons plus est un petit village loin de tout et ne represente en aucun cas une quelquonque cible strategique pour personne, donc il ne faut pas trop s’inquieter pour notre securite.

Le travail avance petit a petit, et le temps passe lentement. Presque toute la journee est consacree au boulot, entre 13 et 18h par jour. Quand je pense qu’en France je manifestais contre le CPE/CNE ! J’avais bien raison.
Mais c’est ici qu’il faudrait manifester, car les coulisses du tournage ne sentent pas tres bon : Une petite visite guidee des conditions de travail sur ce film ? Suivez le guide...Quasi esclavagisme des figurants, qui ont droit a deux sandwichs par jour, dorment par terre, entoures d’un sac plastique en plein air au milieu du desert, et qui ont pour se laver une seule citerne, pas toujours pleine alors qu’ils sont une cinquantaine, et pas de wc, le tout pour 2 ou 3, peut etre 4 dollards par jour. Ils se font
traiter comme de la merde par leur patron, un gros degeulasse qui encaisse l’argent et leur reverse des miettes. Dernierement ils ont, une nuit, cambriole la cantine et le frigo pour trouver a boire, du cafe,
du the et des cigarettes. Inutile de dire que j’applaudis ce cambriolage et les encourage a recidiver.

Les autres, techniciens et acteurs, les privilegies en quelque sorte, on mange le meme repas matin et soir depuis
deux mois, des tomates, des concombres, une sorte de fromage, du riz, et, une fois par semaine, de la viande qui sent bien fort...Autre chose, les licenciements sans motif sont monnaie courante, sans la moindre consideration pour la personne viree. D’un jour a l’autre certaines tetes
disparaissent du plateau et sont remplacees par d’autres, au bon vouloir du realisateur, Mr M[...]. Retard dans les paiements, paroles non-tenue, journees de travail interminables, un jour de repos par semaine...voila ce
qui se passe par ici ! Le plus bizarre, et j’en suis pas fier, c’est qu’on ne se revolte meme pas !

On a bien essaye au debut, en reclamant, en etant solidaire avec les premiers vires, en demandant une assurance pour le tournage, mais on s’est fait mater, et maintenant on ferme nos gueule et on accepte beaucoup trop de choses.

Heureusement que l’equipe est vraiment sympathique, sinon ce
serait le bagne !

Quand au film a proprement parler, evidement on ne verra pas tout ce que je viens de vous raconter, et qui ferait un tres bon film d’ailleurs, mais on verra de belles images lechees de desert, de roi, de chevaux galopant, des belles batailles avec des epees qui brillent, des catapultes et tout et
tout, une sorte de peplum arabe d’avant l’islam, epoque ou parait-il la poesie fut merveilleuse. Enfin ca c’est si le film se termine un jour...