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Interruption involontaire de programme

Publie le lundi 1er août 2005 par Open-Publishing
4 commentaires

Comme la plupart des chômeurs, des sans emploi ou des demandeurs d’emploi (cocher la case qui semble le plus acceptable pour vous - de toute façon le résultat est le même), je me suis d’abord révoltée. J’ai ragé, pleuré, trépigné, trouvé cette situation incroyablement injuste. Une femme qui a oublié d’être stupide, qui a des diplômes, une expérience professionnelle solide, qui a voyagé dans pas mal de pays, s’est adaptée à de nombreuses situations, parle plusieurs langues, et bien cette femme apprend un jour que le monde du travail ne lui est plus accessible. Au début, j’ai cru la situation temporaire. Le temps passant, le temporaire devient permanent.

Dépasser le cap de la quarantaine, c’est une sale étape d’un point de vue professionnel. Mais je partage ce sort avec mes nouveaux confrères : les quinquagénaires qui cherchent à décrocher de nouveau un emploi (quinquas et quadras, même combat), les jeunes qui cherchent à trouver le premier, ceux qui ont un physique, une couleur de peau et un patronyme trop typés, ceux qui souffrent d’un handicap qui n’est gênant que pour ceux qui les regardent et enfin, les « supersize » dont la générosité extérieure et l’opulence dérange aussi. L’âge, l’apparence physique, la couleur de la peau et le sexe répondent tous à des codes bien précis de notre société, et malheur à qui ne répond pas à ces normes. Les différences gênent le marketing social.

Les mois ont passé. Je me suis investie dans d’autres activités, j’ai envoyé la petite famille s’installer au vert, j’ai appris à planter des tomates et à faire des confitures, puis je me suis mise à réfléchir. Réfléchir, je croyais l’avoir appris durant les années de fac, puis au cours de ma vie professionnelle. Mais c’était une réflexion totalement influencée par les règles du marché et le sacro-saint pouvoir d’achat dont on nous rebat les oreilles et qui rime forcément avec bonheur. La mise au chômage est une grande claque qui remet un grand nombre de pendules à l’heure. Il faut apprendre que le bonheur n’est pas proportionnel aux revenus. J’ai mis pas mal de temps à le comprendre et, même s’il y a parfois quelques relents de ma vie bourgeoise d’avant, je sais que je suis sur la bonne voie. Le chômage apporte la baisse des revenus mais aussi la liberté de réflexion, le détachement, l’ouverture et un autre regard sur le reste du monde.

Lorsque j’avais une carte de visite et un statut professionnel, je n’ai jamais eu véritablement conscience du formatage auquel j’avais été soumise. Je jouais la Golden Girl et regardais avec plaisir et fierté, ma Golden Card, et les tampons collectionnés sur mon passeport comme prestige de ma réussite. Lorsque la chute se produit et que la société vous apprend sèchement qu’elle n’a plus besoin de vous, il faut alors réagir, redécouvrir sa propre personnalité et son environnement. C’est ce que j’ai fait.
Dans mon monde professionnel et par conséquent dans ma vie personnelle d’avant, tout était codifié et, bien que je m’en défende, j’avais perdu toute liberté d’expression. J’avais oublié que nous sommes tous de gentils automates bien programmés. Il a fallu que je perde mon statut social pour comprendre que je me laissais berner avec la complicité des médias. Nous devons tous rentrer dans le même moule, considérer l’image que nous envoie la publicité comme s’il s’agissait de la nôtre, mais c’est là que le bât blesse. Avec mon nouveau regard de chômeuse, je ne peux plus regarder les images publicitaires sans une réaction très critique. La schizophrénie des images me paraît tristement évidente. Allumez votre poste de télévision à une heure de grande écoute, offrez-vous une séquence de pub et observez : une anorexique vante les vertus d’un yaourt 0% ; c’est une superwoman qui gère de main de maître cuisine, boulot, ménage et enfants. Je poursuis mon observation avec un bellâtre aux pectoraux siliconés s’aspergeant de déodorant pour cacher ses odeurs de transpiration. C’est vrai que dans notre monde, toute odeur devient importune dès lors que sa disparition présente un intérêt commercial. Ensuite, le bébé forcément parfait se régale de la purée d’un petit pot dont l’emballage plastique est plus coûteux que la dite purée et qui ferait hurler tout écologiste digne de ce nom. Au tour enfin de la sylphide aux dimensions parfaitement retouchées par les infographistes qui vante les délices d’une glace dont les superbes rondeurs (je parle des boules de glace) vous mettent l’eau à la bouche. Impossible de résister, on se fera plaisir en culpabilisant une fois de plus. C’en est trop, je retourne à mes tomates.

Les mois de chômage et le temps luxueux de le réflexion passent et accentuent chaque jour un peu plus mon regard sur le monde et ses faux-semblants. Les hommes et les femmes que nous rencontrons chaque jour sont tellement différents de ce que nous renvoient les spots publicitaires, qu’il faut avoir une force singulière pour ne pas plonger dans un délire schizophrénique complet. Il faut beaucoup de résistance pour accepter d’être ce que nous sommes sans plonger dans la conquête d’un idéal de beauté physique et sociale généralement inaccessible. Il faut une grande force pour accepter ce que nous sommes et surtout apprendre à s’aimer. Avec le chômage, certaines portes se ferment mais d’autres vont s’ouvrir. La vision du monde se modifie. Une fois le sentiment d’injustice passé, le regard sur soi change. Et c’est là qu’il faut lutter pour comprendre que les mêmes qualités et les mêmes capacités sont toujours présentes. Il y a même quelque chose en plus : le détachement et l’ouverture.
Au temps de Jospin, il me semblait que les 35 heures allaient dans le sens de l’histoire. Le but de l’homme serait-il uniquement de travailler ? Même la Bible a l’air de plaider pour les RTT (Cf. A&E, paradis perdu). Et c’est une mécréante qui le dit. Je croyais qu’il fallait favoriser les arts, la création sous toutes ses formes, le développement personnel, et d’autres formes de solidarité. Non, j’ai dû me tromper de film. Avec ce gouvernement qui est le nôtre, on veut augmenter de nouveau la durée hebdomadaire de travail. A-t-on vraiment besoin de gens créatifs qui prennent le temps de penser et de construire autre chose, autrement ? Bien sûr que non. Il est quand même plus aisé de gérer des moutons de panurge que des êtres qui vont penser et poser des questions auxquelles il va peut-être falloir répondre. Comme ces enfants trop curieux qui posent des questions incessantes. Le mouton de panurge suit gentiment les rails de son métro ou de son autoroute, plonge dans les aléas d’une vie professionnelle en général peu excitante, se rue le soir sur son congélateur pour donner à son micro-onde la difficile tâche de préparer son dîner, puis laisse à la télé le soin de lui concocter un programme du soir le plus léger possible pour permettre à ses neurones de se déconnecter de toute pensée constructive. Le prêtre et son église ont disparu au profit du grand maître ès catastrophes du 20h. Toutes les angoisses du monde vous sont livrées à domicile au cours de ces 40 minutes quotidiennes, comme le repas congelé du soir.

J’exagère. Oui, peut-être, un peu. Mais pourtant, combien d’entre nous ont vécu ou vivent encore ces séances de la vie sociale ordinaire ? Et qui prend le temps de réfléchir maintenant, d’aller pêcher les informations et obtenir un son de cloche du monde différent de celui qui lui a toujours été proposé ? Une nouvelle mouvance parmi ces chômeurs commence à poindre. C’est la mouvance de ceux qui commencent à écrire, à diffuser leurs propos sur le Web via les blogs et d’autres sites plus élaborés. Deux millions et demi de chômeurs pour l’instant se laissent aller à leur dépression alimentée par les propos de la propagande officielle. Mais le vent tourne. Légèrement peut-être, mais chaque jour avec un peu plus de force. De là à ce qu’on veuille un jour supprimer blogs et autres outils de communication, création et réflexion personnelle, il n’y a qu’un pas que certains politiques aimeraient bien franchir. On invoquera par exemple la cause des enfants contre les pédophiles, histoire de faire taire ces empêcheurs de tourner en rond que sont Web et bloggers. A quand le futur Big Brother prêt à lutter contre la toile d’araignée mondiale, Internet ? Je serais prête à parier que notre gouvernement aimerait bien nous faire un remake à la Hitchcozy avec sueurs froides.

Les jours s’écoulent paisiblement au bord de la Garonne. Je ne trouve pas ici l’agressivité que j’ai jadis pu rencontrer dans les grandes villes de France et certaines autres capitales étrangères. Les contacts se font simplement et naturellement. Les néo-ruraux que nous sommes s’intègrent sans anicroche et sont en train de démarrer un SEL (Système d’Echange Local), avec l’appui du maire, un homme du pays qui encourage notre démarche. Mes ambitions professionnelles se sont totalement estompées au profit de mes ambitions personnelles. Il y a tout juste 2 ans, je n’ai pas choisi de devenir chômeuse. A présent, j’atteints un nouvel équilibre, matériellement instable mais moralement infiniment plus riche. Qu’il s’agisse de pieds de tomates ou d’instruction, c’est toujours le même mot qui réunit paysans et érudits : la culture.

Chacun peut trouver son équilibre dans cette situation imposée, mais que de richesses perdues, qu’elles soient intellectuelles, manuelles ou spirituelles ! Que de richesses perdues au nom de la sacro-sainte économie et ses apôtres les actionnaires ! La vie se résume à présent aux convulsions du CAC40. Il est temps de repenser la société et son organisation, la vie économique et la citoyenneté. L’allocation universelle... Tiens, tiens, voici un autre beau sujet de réflexion que me permettront d’aborder Internet et ma liberté de chômeuse.

http://spaces.msn.com/members/sophr...

Messages

  • C’est pas parce que tu es quadra, quinqua, basané, mal foutu, trop gros, pas assez expérimenté etc qu’ils te refusent du boulot : ils te font croire ça pour que tu penses que c’est DE TA FAUTE si tu es au chômage.
    Ils sont dans la logique du maquignon qui déprécie la vache pour la payer moins cher.
    MC

  • En fait elle critique "le monde" dont elle vient parce qu’elle n’y est plus,
    il lui correspondait tellement qu’elle n’avait rien à y redire du temps
    ou elle y etait immergée. Maintenant elle a du temps ... pour reflechir au
    formatage qu’elle a subi passivement. Comme si on ne pouvait pas reflechir
    avant d’etre chomeur pour avoir voir les choses telles qu’elles sont.

    Ca a quelque chose de pathétique cette ancienne nomenklatura déchue qui
    decouvre qu’il n’y a pas que le 4*4 et le taille fine mais c’est un système
    de défense qui en vaut bien un autre pour garder la tete hors de l’eau.

    • Je ne pense pas qu’il y ait quelque chose de pathétique dans sa démarche tardive. Comme dit le proverbe : "mieux vaut tard que jamais". Et combien de personnes franchiront le cap en lisant ses propos ? Peut-être que ce seront des chomeurs, peut-être pas.

      De toutes les façons, je pense que si ses propos montrent la lumière à d’autres, et même si c’est un peu tard, tant mieux.

    • Si quand même, elle s’etend sur sa vision actuelle mais j’aimerai bien savoir quel regard elle portait sur ceux qui etait ce qu’elle est devenue. Et franchement faut pas me faire croire qu’en ayant un boulot qui permet de voyager à travers le monde on ne trouve pas quelques minutes pour réflechir à "tout ça". Elle devait bien le savoir avant simplement elle en tirait bénéfice ce n’est plus le cas à présent, alors on crache un peu dans la soupe, c’est l’impression que ça me fait. Combien de cadres de 30 ans on dégommé des 45 ans et plus et qui se retouvent dehors à 45 ans ? Le sale travail est bien fait par quelqu’un et c’est une fois que ça leur arrive qu’ils se reveillent, ils ne savent pas ce qu’ils font et ignorent ce qu’ils se préparent ? C’est un peu simple comme repentance cette "lumière".
      Enfin le principal est quelle puisse être heureuse et qu’elle ne pense pas avoir perdu grand chose.