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Israël, Etat colonial ?

Publie le samedi 23 juillet 2005 par Open-Publishing

Israël, Etat colonial ?

Conférence de Mme Elisabeth Shemla

http://video.topj.net/elisabeth-chemla.asx

Retranscription : Marcel Charbonnier

Alors, Israël : Etat colonial ?

Je crois d’abord, qu’il faut partir (vous le disiez, M. Serfaty), du fait que pour beaucoup, beaucoup, beaucoup de gens, de milieux - on s’en tient à la France, hein... je crois qu’on va rester ici, dans nos frontières, pour aborder le sujet... - à gauche, à l’extrême gauche, chez les altermondialistes - mais pas seulement - aussi, maintenant, dans des franges de l’extrême droite, et même dans des milieux que l’on peut qualifier de centristes politiquement, il est tout à fait exact que, de façon plus ou moins affirmée, plus ou moins transparente, en effet, aujourd’hui, Israël (pas pour les hommes politiques stricto sensu, mais...)... Israël passe pour un Etat colonial....

Evidemment, pourquoi passe-t-il pour un Etat colonial, dans ces milieux très divers idéologiquement ? Parce que la première Intifada, puis la seconde Intifada - qui sont deux conflits à même fondation, mais de natures différentes - ont assis médiatiquement une certaine image.

Cette image est, je crois, très simple à résumer, et chacun d’entre nous peut la constater :

C’est un pays riche, confortable, moderne : de la high-tech, avec des autoroutes, des gratte-ciel, des plages, des femmes en bikini sur ces plages, des gens qui jouent au ballon... - une vie relativement agréable... - qui occupe, avec ses soldats et avec ses tanks, un peuple qui, en effet, depuis des décennies maintenant, essaie d’acquérir - légitimement - en tous les cas à mes yeux - un Etat.

Et ces images-là renvoient incontestablement (on peut dire pratiquement que chacun des citoyens français qui a, en gros, plus de trente ou de trente-cinq ans - les autres, je dirai que c’est par capillarité d’héritage, pour les plus jeunes...) renvoient à des images de notre propre histoire nationale, notamment évidemment : l’Indochine, l’Algérie, en particulier.

Il y a donc une sorte d’adéquation qui se fait - d’adéquation presque automatique - entre les images véhiculées [et quand je dis cela, je ne les conteste pas, ces images : je ne fais pas partie de ceux qui disent : « ça n’est pas la réalité »...] - ces images, qui sont véhiculées, reproduisent de façon... de façon quasi automatique une perception - qui est celle de la guerre coloniale, avec une occupation - militaire, mais aussi occupation de population, c’est-à-dire : de peuplement... - et il y a finalement très peu de réflexion sur des différences éventuelles.

Je crois que le problème de la perception d’Israël comme Etat colonial est un point absolument capital. Et que, quand on a affaire à ce genre de perception, on a une double difficulté :

 la première difficulté, c’est qu’il est extrêmement difficile de convaincre que cela peut être plus compliqué, puisque, dès qu’on prononce les mots « plus compliqué », on donne le sentiment d’entrer dans des alibis ;

 la deuxième complication, c’est que, pour sortir de l’apparente simplicité de l’image d’Israël comme Etat colonial, il faut entrer dans deux choses : une très grande complexité / profondeur historique, donc, à proprement parler : la culture - ce qui n’est pas toujours évident - et, au-delà de ça encore - presque obligatoirement - entrer dans une histoire singulière.

[C’est] la double difficulté de l’histoire ET de l’histoire singulière, sans laquelle, à mon avis, il n’y a aucune possibilité d’envisager cette question, telle qu’elle est posée : « Israël est-il un Etat colonial ? ».

Et c’est sur cette simplicité - ce manichéisme - de l’image que s’est assise et confortée, notamment au fil des trois dernières années (mais pas seulement) l’idée qu’en effet, il y a quelque chose qui au fond, d’abord : irrecevable - et artificiel - puisque nous sommes dans un temps de l’histoire où les colonies, c’est fini ; où les colonies, c’est l’archaïsme le plus total ; où les colonies, c’est l’expression, aujourd’hui, de ce qu’il y a de plus immoral. [Je mets tout ça à plat : il ne s’agit pas de jugements, ni pour dire « je suis d’accord », ni pour dire « je ne suis pas d’accord » : j’essaie (je le préciserai à chaque fois...) d’exposer une situation...]

Et donc, quand on est face à cet irrecevable, il est extrêmement difficile d’essayer d’aller plus loin. Pourtant, c’est ce qu’on va essayer de faire, ensemble, ce soir...

Et l’affaire est, en réalité, assez compliquée... En effet, ce terme va revenir - souvent.

Parce que nous sommes - d’abord - sur une incontestable présence juive - immémoriale - je crois que le mot est presque le bon, stricto sensu - une présence juive en terre de Palestine (ou en terre d’Israël)... Et que personne de sensé, ou de normal, ne peut contester cette chose. Et pourtant, après l’exil, après la destruction du deuxième temple, en 70 après J.C., il a fallu attendre le 19ème siècle pour qu’émerge un mouvement de libération nationale. Et ce mouvement de libération nationale - et on entre déjà dans une complexité et dans une singularité - ce mouvement de libération nationale n’est pas venu des juifs vivant sur cette terre, (il) n’est pas né là ; il est venu des juifs d’ailleurs - des juifs de la diaspora, des juifs de l’exil.

Or - généralement, quand on a affaire à un mouvement de libération nationale - si vous reprenez, de l’Afrique à l’Asie, l’ensemble des mouvements de libération nationale (mais c’est aussi, évidemment, au cœur de notre continent européen) - on a quand même très peu souvent assisté à la naissance d’un mouvement de libération nationale qui ne soit pas l’émanation du territoire, de la terre, qui doit devenir l’Etat - nation. C’est le premier point, qui introduit déjà, évidemment, un trouble : c’est clair. Puisque, dès le départ, pour un observateur, je dirai, qui n’a pas... qui n’est pas juif, qui n’a pas la sensibilité juive, qui n’a pas la connaissance du judaïsme, qui ne porte pas toute cette histoire, et donc qui ne la comprend pas forcément de l’intérieur : il y a là un premier point - c’est que - certes - ce mouvement de libération nationale, ou ce mouvement de création d’un Etat - nation, vient bien du peuple qui revendique cet Etat - nation pour lui-même, mais en même temps, d’éléments de ce peuple qui sont des étrangers à cette terre, qui sont des étrangers par leur nationalités déjà constituées dans des Etats - nations, pour la plupart de très vieux Etats - nations...

Et on va voir que ce point de l’étrangeté à la terre elle-même, au sens de la citoyenneté, on va le retrouver plus tard, après la création de l’Etat d’Israël, et qu’il va être extrêmement important dans la perception d’Israël comme Etat colonial.

L’autre difficulté, avec ce mouvement de libération nationale, c’est que [je ne vais pas rentrer dans l’histoire de Herzl, etc..., parce que ce n’est pas le lieu de faire ça, et ce n’est pas du tout ce que je souhaitais donner comme orientation à cet échange, et en plus de ça, il faudrait entrer dans tellement de détails qu’on finirait par s’y perdre... mais...], grosso modo, ce mouvement de libération nationale a, au moment où il se développe (au 19ème siècle) à la fois une justification extrêmement séculière et, en même temps, il rencontre ce qui est l’essence même de la tradition juive, et de la perception juive de l’héritage d’Israël, à la fois comme nation ET comme territoire.

Et ceci est extrêmement difficile, là encore, à comprendre - j’allais presque dire : à admettre - pour ceux qui ne sont pas complètement « dedans ».

Rendons-nous compte que ce genre, à la fois, de perception, d’objectif, de vision, de vécu, n’est pas partagé par l’immense majorité des gens, et qu’il n’est pas du tout évident de réussir à le faire comprendre - et on est, là encore, une deuxième fois, sur cette singularité, dont je parlais.

Là où ça se complique encore, c’est quand les juifs qui vivent sous l’Empire ottoman, sur la terre qui va, un jour, devenir Israël, sont rejoints par les différentes vagues de ces juifs d’Europe centrale et orientale, qui fuient les pogromes et qui sont, à la fois - à mes yeux (je peux choquer en disant ça, et j’en ai conscience) - qui sont, à la fois « du dehors » et « du dedans » ; qui ne sont pas totalement « dedans », au sens où le sont ceux qui sont toujours restés là.

J’ai, dans ma famille propre, un exemple d’une famille, qui s’appelle Elishaa, une des deux grandes familles depuis le plus longtemps installées en terre d’Israël, qui le sont depuis 1492 [ !], c’est-à-dire depuis l’expulsion (des juifs) d’Espagne. Ils sont venus directement à Jérusalem et ils n’en ont plus bougé.

Mais ceux qui arrivent au 19ème siècle, alors que nous sommes, en Europe, en particulier autour de la Méditerranée, notamment avec les conquêtes coloniales, notamment dans le Maghreb, en Afrique, ceux qui arrivent sont « du dehors et du dedans », et c’est également un élément qui va venir conforter, progressivement, ce sentiment qu’il y a quelque chose qui n’est pas tout à fait ce que l’on a l’habitude de voir, et qui va donner le sentiment, à certains, qu’il y a une forme d’importation d’une population, avant même que nous ne parlions - ce que nous allons faire maintenant - de la création du foyer national juif, de la déclaration Balfour.

Alors : qu’est-ce qui se passe, à ce moment-là ?

Il se passe que l’Empire ottoman s’effondre, sous les coups de boutoir, en particulier, de l’Angleterre et de la France - et c’est l’Angleterre qui va prendre le relais - et j’ai ressorti, à partir de là, sur Proche-Orient.info - j’en profite pour le dire... - dans notre base de données Histoire - l’ensemble des documents officiels qui vont baliser les cinquante premières années - première moitié - du 20ème siècle. Parce qu’il y a, dans ces documents officiels, une grande partie des réponses à la question posée, à partir du décor que j’ai essayé de planter.

La Grande-Bretagne... le mandat britannique, est donc exercé sur l’ensemble de la Palestine et l’arrivée, bien entendu, sous la poussée des juifs et bien entendu, aussi, de Rothschild, à Londres, de tous les sionistes établis en Grande-Bretagne, en Europe et en Palestine, sous cette pression, les Anglais en arrivant à accepter cette idée d’un foyer national juif.

Je reviens à cette déclaration Balfour, qui est donc du 24 avril 1920, pardon, 1917 !, (pardon, 1920, c’est la conférence de San Remo...) et cette déclaration Balfour, de 1917, dit ceci... Elle reconnaît le droit au peuple juif sur la Palestine, et qu’il doit être permis - sur cette terre - une libre immigration des juifs. Vous voyez comme les mots sont extrêmement intéressants - et j’ai vu des sourcils se lever... - vous avez bien évidemment tout de suite entendu le mot « immigration »... Et, en effet, il va peser, il va venir renforcer - notamment sur les populations autochtones, c’est-à-dire sur les P... - ceux que nous appelons aujourd’hui les Palestiniens - ce sentiment qu’il s’agit bien - car tout commence par ceux qui habitent cette terre elle-même - qu’il s’agit bien d’immigrés. Donc : d’étrangers. Donc, d’étrangers...

En même temps que la déclaration Balfour, il se passe - en France - quelque chose d’extrêmement intéressant : certains d’entre vous le savent peut-être : Jules Cambon, qui était à l’époque le Secrétaire général du Quai d’Orsay, écrit, le 4 juin 1917, à Naum Sokolof, qui était un des éminents dirigeants (comme vous ne l’ignorez pas) du mouvement sioniste. Il lui écrit une lettre, dont vous allez voir (je vais en lire quelques passages) qu’elle indique également une position française, puisque le Secrétaire général du Quai d’Orsay, aujourd’hui encore, vous l’entendez, vous le savez, sur les chaînes de télévision, c’est la position officielle de la France. Et Jules Cambon écrit ceci, à Sokolof :

« Vous pensez que, si les conditions le permettent et que l’indépendance des Lieux saints est assurée, il sera juste que les grandes puissances aident à la résurrection de la Nation juive dans le pays d’où elle a été expulsée des centaines d’années auparavant. Le gouvernement français, qui est entré en guerre pour défendre un peuple attaqué et a continué à combattre pour assurer la victoire de la Justice sur la force, ne peut pas ne pas éprouver une sympathie pour votre cause... »

« Résurrection de la Nation juive » : tout juif peut comprendre ; mais qui n’est pas juif a peut-être un petit peu de mal, parce que, qu’est-ce qu’un peuple qui réclame une terre - et semble d’ailleurs obtenir un soutien - mais non pas parce qu’il y est, mais parce qu’il s’agirait de la faire « ressurgir » ? Ce n’est pas une question anodine : j’espère que vous m’aiderez à le faire comprendre... hi-hi-hi... !

Ce qui est intéressant, également, là-dedans, c’est que la Grande-Bretagne, comme la France, avec la déclaration Balfour, pour la Grande-Bretagne, et avec cette lettre de Cambon - très peu connue - pour la France, certes, donnent, apportent une très sérieuse aide au mouvement nationaliste juif. Mais la Grande-Bretagne et la France sont, elles-mêmes, deux très grandes puissances coloniales... Et, donc, la question se pose, aussi - tout à fait à plat - de constater que, si les deux plus grandes puissances coloniales de l’époque semblent trouver tout à fait juste que le nationalisme juif, dans cette singularité, trouve son foyer, sa terre, pour une création éventuelle d’un Etat (ce n’est pas encore de cela dont il s’agit...) - cela provient tout de même de deux puissances coloniales qui se partagent, à l’époque - entre autres, et en particulier - cette région du Moyen-Orient... Il est donc très difficile - notamment pour tous les peuples de ce Moyen-Orient, mais pas seulement... mais, là encore, parlons d’eux d’abord - de ne pas voir dans ceci (c’est-à-dire dans la création du foyer national juif, ou le soutien au mouvement national juif), de ne pas voir là-dedans la volonté de puissance coloniale.

Comme, en plus, il s’agit d’une immigration... Comme ont dit : l’affaire commence à être un petit peu « attachée », dans la perception que l’on peut en avoir. Car il ne faut pas croire que tout repose - seulement - sur des images télévisées, d’aujourd’hui... : je crois que ça, c’est le hic et nunc, mais que (croire cela), ce serait une erreur...

Alors, après cette déclaration Balfour, dont je viens de parler, je vais enjamber très vite, pour arriver à deux choses :

La Commission Spéciale de l’ONU sur la Palestine, de 1947, qui est mise en place pour essayer de trouver une solution d’une répartition entre juif et Arabes de la terre de Palestine, mais qui préconise également le départ, le plus tôt possible, des Britanniques (Pardonnez-moi d’enjamber l’histoire ainsi, aussi rapidement, mais je voudrais essayer de rester centrée sur le sujet qui nous occupe...)

Ce qui est très intéressant, dans ce que recommande le rapport publié le 31 août 1947 (retenez bien la date...) de la Commission Spéciale de l’ONU sur la Palestine, c’est qu’elle préconise un partage entre un Etat juif et un Etat arabe - elle est composée de 11 membres - avec 7 voix / 11 qui proposent le partage en deux Etats, accompagné d’un régime spécial - international - pour Jérusalem et ses environs (et ses environs...). Les 7 Etats qui proposent le partage sont : le Canada ; la Tchécoslovaquie ; le Guatemala ; les Pays-Bas ; le Pérou ; la Suède et l’Uruguay. Les 3 Etats / 11 qui rejettent le partage, et proposent la création - écoutez bien... en 1947... - d’un Etat binational ( !), sont : l’Inde, l’Iran et la Yougoslavie.

L’intérêt de cette commission sur la Palestine est évidemment la Résolution 181, qui va s’ensuivre, c’est-à-dire la création de ces deux Etats, c’est que la création de l’Etat d’Israël va être placée sous la responsabilité, à partir de ce moment-là, non plus directement, comme cela avait été le cas jusqu’à cette date, de l’Empire colonial britannique, avec le soutien (entre guillemets, car les choses étaient beaucoup plus compliquées, entre les deux empire rivaux...), avec le soutien, donc, de l’Empire français, mais va, désormais, se placer sous l’égide de l’ONU - situation qui perdure jusqu’à aujourd’hui...

Et donc, à partir de là, incontestablement, il y a un changement de perspective, et on peut dire, avec la création de l’Etat d’Israël, la perception que cet Etat d’Israël relève maintenant de la volonté du concert des nations ; nous sommes au sortir de la Deuxième guerre mondiale, nous sommes juste après le partage de Yalta, entre les Etats-Unis et l’Union soviétique, nous entrons dans ce fameux « monde bipolaire » (qui s’est effondré devant nous) et, à partir de là, je crois qu’il est également intéressant de se pencher sur cette résolution, parce que s’y pencher encore pourra apporter quelques éléments nouveaux à notre réflexion sur « Israël : Etat colonial (ou pas) ? »

On voit que, déjà, on est passé à autre chose...puisque, là, nous sommes (même si l’ONU, le Conseil de sécurité, ne comportait pas, à l’époque, autant d’Etats qu’il en comporte aujourd’hui)... mais nous sommes, là, sur le terrain du droit international. C’est donc un tournant. Et, à partir de 1947, il y a une incontestable légitimité qui s’installe, qui n’est plus le droit stricto sensu d’un Empire colonial et d’une métropole décidant de l’état des lieux sur ses lointaines marches, mais réellement du concert des nations de l’époque.

Alors, cette résolution 181 de l’ONU, elle est adoptée, le 24 novembre 1947, par 33 voix pour, 13 voix contre et 10 abstentions.

Si vous permettez - j’ai l’air de parler beaucoup de ces pays et des votes, mais je crois que là encore, c’est extrêmement important, parce que beaucoup de la perception du sujet se retrouve là. Les 33 voix pour ont évidemment été celles (vous le savez) des Etats-Unis, de l’URSS et de la France, entre autres. La Grande-Bretagne, qui avait promulgué la déclaration Balfour, s’est abstenue, cette fois-ci et, dans les pays qui ont voté contre, (on trouve) l’Afghanistan, Cuba, l’Egypte, la Grèce, l’Inde, l’Iran, l’Irak, le Liban, le Pakistan, l’Arabie saoudite, la Syrie, la Turquie, le Yémen...

Or, ce qui est intéressant, dans ces votes contre, c’est que c’est évidemment, au fil du temps, avec tous les événements qui vont se dérouler dans ces pays-là, avec l’immigration, très forte, le reflux des empires coloniaux qui se trouvaient encore dans tout un certain nombre de pays, de l’Inde à l’Arabie et au Yémen, à la Syrie, etc. C’est donc dans cette période-là, jusqu’à une date très récente : le reflux des Empires coloniaux, immigration de nombre de citoyens de ces pays, notamment dans les pays européens, en même temps que se passait le reflux des puissances coloniales et l’avènement (et la réussite) des mouvements de libération nationale dans ces pays qui ont voté contre, que s’est diffusée, a continué à diffuser, cette perception - voire cette certitude, pour certains - qu’Israël EST un Etat colonial, c’est-à-dire qu’il y a eu une sorte d’adéquation - le mot revient... - entre la perception qui était faite des mouvements de libération nationale, notamment dans tous ces pays du Moyen-Orient, d’Asie et du Caucase, que je viens de citer - une adéquation entre les puissances coloniales occupantes que ces mouvements de libération de ces pays allaient combattre, puis rejeter, avec l’Etat d’Israël, pour tout un certain nombre de raisons, sur lesquelles je reviendrai éventuellement, bien qu’il faille faire attention à ne pas mélanger les sujets. Mais je crois que cette résolution 181 de l’Onu, dans son vote, est extrêmement intéressante, puisqu’en somme, elle comporte d’une part une légitimation de l’Etat d’Israël comme un Etat nation créé par la volonté des autres nations, à la fois parce qu’il y avait ce mouvement national sioniste, mais également, bien entendu, parce qu’il y a eu la Shoah, la responsabilité, la culpabilité que s’en sont senti les nations, et je crois qu’il est bien difficile de ne pas vouloir voir que la Shoah a été un accélérateur - indépendamment du contexte géostratégique nouveau - un accélérateur de la création d’Israël. Ben Gourion, d’ailleurs, lui-même, le disait, en affirmant que cette alliance entre les Etats-Unis et l’URSS, à ce moment-là, était une alliance de circonstance - pour très peu de temps - dont les juifs devaient absolument profiter. Et c’est pour ça, d’ailleurs - et il a fini par l’emporter - qu’il a réussi à convaincre sur la nécessité d’accepter ce qui était proposé...

Donc, d’un côté, on a une légitimité internationale incontestable, qui fait donc qu’Israël, bien entendu, N’EST PAS un Etat colonial, dans cette perspective-là, et, déjà, en germe, dans ce vote, avec tout ce qui va suivre historiquement, des Etats qui vont vivre, ressentir (quoi qu’on en pense ; le problème n’est pas là... mais qui vont vivre, ressentir), combattre, à la fois, pour certain d’entre eux militairement, puis concomitamment, idéologiquement, puis médiatiquement (notamment dans les deux dernières décennies) Israël comme un Etat colonial. Et il est évident que, quand en 19678, la guerre des Six jours va amener Israël à conquérir les territoires qu’on appelle aujourd’hui les territoires palestiniens (par rapport à ce décor que je viens de planter, dans cette contradiction, ce paradoxe, installé dès le début de la légitimité internationale...), il est évident, donc, que la conquête de ces territoires va venir apporter l’argument décisif, définitif, déterminant...

Parce que, même si les Arabes, ou des pays musulmans non-arabes, car (arabes), certains ne l’étaient pas...disons, donc, le monde arabo-musulman, qui a voté contre (grosso modo... l’Inde n’est pas un pays arabo-musulman, c’est évident...), l’ensemble de ces pays a trouvé, à ce moment-là la justification qu’ils n’avaient pas en 1947, au moment de la (résolution) 181. Et c’est pour ça que 1967 est réellement le troisième tournant de cette affaire, et de notre progression dans la compréhension de cette question : « Israël est-il un Etat colonial ? »

A partir de 1967, il y a l’occupation des territoires palestiniens. Cette occupation, j’ai eu la chance (parce que je crois que c’en est une...), (pas en 1967, mais à partir de 1973, et jusqu’à aujourd’hui), d’en suivre toute l’évolution, puisque ça fait... donc... hmm... trente, trente-deux ans... voyez, j’ai du mal à compter [sourire radieux], ça fait trente-deux ans que je suis le conflit israélo-palestinien, en particulier, et que je suis à peu près autant en Israël que dans les territoires (Gaza et Cisjordanie) et donc, que j’ai pu en constater moi-même l’évolution, en y faisant énormément de choses, à suivre le conflit lui-même, des problèmes de société... et, ceci, vraiment, continuellement...

Alors, à ce point de cet exposé, je vais m’arrêter un instant pour poser une question, que j’aurais peut-être pu poser beaucoup plus tôt (mais - très volontairement - je ne l’ai pas fait...) : « Qu’est-ce que c’est qu’un Etat, ou une puissance, colonial(e) ? » Quelle définition en donner ?

Est-ce que c’est une métropole, avec une capitale, d’un Etat nation constitué, qui déploie au-delà, disons de ses frontières, sur d’autres territoires, et même au-delà des mers, sur d’autres territoires encore, sa puissance, pour conquérir, pour tenir des comptoirs, pour s’approprier des richesses naturelles, pour pouvoir commercer, pour dominer les échanges... dans une partie de la planète, exporter sa culture, son modèle... et qu’il le fait, d’abord, obligatoirement, par les armes, par le feu, donc par la guerre, donc : par une forme de barbarie ?

Est-ce que c’est ça ? C’est presque une question, que je vous pose : « est-ce que vous pensez que c’est la bonne définition de ce qu’est un Etat colonial ? » Je crois que c’est là quelque chose qui correspond assez (bien) à ce que furent les grandes nations coloniales...

Je dois dire - personnellement, je ne crois pas qu’il faille essayer de donner une autre définition que celle-ci. Et c’est là où, probablement, on arrive (par ce problème de la définition de la colonisation) (et j’aurais pu y arriver avant) au fait que cette définition ne correspond pas à la réalité que nous avons sous les yeux...

Parce que, ce que l’on essaie de faire passer pour conflit colonial, provenant d’un Etat colonial, me semble, réellement, plutôt relever de ce que j’appelle - stricto sensu - un « conflit territorial ».

Alors, évidemment, ce conflit territorial-là n’est pas un conflit territorial banal, entre tribus. Il est un conflit territorial entre - au premier degré (avec ce que l’on sait qu’il y a, au second et au troisième degrés..., c’est-à-dire, à la fois deux nationalismes face à face, et là, je parle du nationalisme palestinien, et non pas du nationalisme arabe, qui me paraît être une vue de l’esprit... alors que le nationalisme palestinien ne l’est pas...) et puis, au-delà de cela, il est un conflit profondément religieux, théologique...

Donc : je ne nie pas du tout les deux autres aspects du conflit, en disant qu’il est d’abord un conflit territorial, bien entendu, mais c’est, pour moi, un conflit territorial. Or, un conflit territorial - toujours, depuis la nuit des temps - s’est toujours accompagné d’occupation du territoire du voisin, qui se défend comme il le peut, qui se laisse toujours plus ou moins occuper - cela se fait forcément (autrefois, dans le temps, par les chevaux, puis les arbalètes, puis les canons, les fusils à poudre... aujourd’hui, ce sont les tanks - je parle, là, de la réalité du terrain..., et les missiles, les lance-roquettes), mais il n’en reste pas moins que ça a toujours été avec de l’occupation. Et de l’occupation qui, par la force des choses, est militaire... De l’occupation militaire... mais, presque toujours - en tous les cas, je ne vois pas d’exemple où ça ne se serait pas passé - également par une occupation, peu ou prou, de peuplement. Parce que, toujours, le militaire est suivi par du civil (je répète (bien) : peu ou prou...).

Et là, où je crois, quelque chose a été réussi par les détracteurs d’Israël, ça a été de faire croire que ce conflit territorial, qui comporte - incontestablement - une présence et une occupation militaires et une occupation de peuplement, avec les implantations (ou les colonies, appelons-les comme on voudra ; personnellement, je n’ai pas ce problème de sémantique...), c’était de le faire passer pour un conflit colonial. Avec, justement, si l’on s’en tient à ce que le vingtième siècle, que j’ai essayé, à travers deux ou trois documents, de balayer d’une certaine façon, c’est-à-dire d’une façon très juridique et légale - mais volontairement, bien entendu - c’est-à-dire, donc, d’essayer d’introduire l’idée qu’il n’y a pas de différence avec ce que furent, notamment, sur cette région du monde, la France et la Grande-Bretagne...

Or, ce n’est pas exact.

Si l’on prend le terme, dans la définition que j’en ai donné tout à l’heure, de ce qu’est une puissance coloniale, la métropole, en l’occurrence, c’est donc Israël. Et - pardon, parce que j’ai l’air de faire, vraiment, de la..., de la propagande de mauvais aloi... mais, quand même : une métropole, avec une capitale dont on ne sait toujours pas, internationalement, laquelle elle est... (puisque, pour les Israéliens, c’est Jérusalem, (alors que) pour l’international, c’est toujours Tel Aviv...il n’y a toujours pas d’ambassade(s)...)...

Donc : une métropole qui est un mouchoir de poche... Avec une capitale qui n’est toujours pas reconnue... Qui aurait un but géostratégique d’expansion... Je cherche ? Mais, honnêtement... : je n’arrive pas à voir !... Conquête du Liban ? Conquête de la Syrie ? Conquête de l’Iran ? Conquête de l’Egypte ? Conquête de la Jordanie ? Conquête de l’Irak ?... Je ne vois pas... Qui voudrait s’approprier des richesses naturelles... Je ne vois pas très bien, non plus... [Elle est conne, ou quoi ?]

Le pétrole ne semble pas être aux mains des Israéliens, dans la région... Et la rare fois où ils en ont eu, pour la Paix : ils l’ont rendu !... C’est quand même quelque chose qui est assez rare pour être noté, de la part d’une « grande puissance coloniale » ! [Ouaf-ouaf-ouaf !]

Ce sont des choses simples ; ce sont des choses absolument basiques...

Et pourquoi est-ce qu’Israël NE PEUT PAS être un Etat colonial, même s’il est un Etat occupant ? [Et ça, ça vous cisaille à la base, non ?]

Parce que, finalement, l’Etat d’Israël est exactement comme... ben... les juifs eux-mêmes !

C’est-à-dire : pas prosélytes. Et, de la même façon que le judaïsme n’est pas prosélyte - certains pourraient même le lui reprocher, et certains, même, au sein du judaïsme, le lui reprochent, d’être trop « clos sur lui-même », d’être même, certains le disent, « renfermé » - mais, en tous les cas, il y a, quand même, une certaine conception juive qui fait que l’on ne cherche pas - c’est vrai à titre individuel, comme à titre de peuple, comme à titre d’Etat nation - à être autre chose que « pour soi ».

Bien sûr, le contexte géo-historique peut faire que ce n’est pas tout à fait le cas : cela s’est produit, avec la création de l’Etat, avec les populations arabes qui sont restées en Israël, et qui sont les Palestiniens citoyens israéliens. C’est vrai, aussi, avec les conquêtes des territoires palestiniens de 1967. Mais c’est un problème énorme, une difficulté politique, un problème éthique... et certainement pas : une affaire coloniale !...

Ou, alors, il faudrait dire que c’est cette création (je rappelle le terme de « résurrection »... qui, en effet, n’est pas un terme facile à entendre, et à comprendre, et à admettre), mais alors il faudrait dire que c’est un Etat qui n’a aucune légitimité [C’est toi qui l’as dit, Babette !] à se trouver là...

Donc, ce que j’essaie de démontrer, c’est que le « zapping » - si vous me permettez ce terme un peu trivial - le switch qui a été fait pour qu’un certain nombre de gens - (switch qui non seulement perdure, mais se développe) - ça a, précisément, été de réussir ce passage-là, dans la vision qu’on peut avoir de cet Etat.

Maintenant, il faut être clair et, en tous les cas, je souhaite être claire, ce soir : comme je le disais, cette occupation du territoire palestinien, à la fois par le militaire et le civil (je répondrai peut-être, après, à des questions là-dessus, parce que je pense qu’il sera temps de laisser la parole à la salle...), il est évident que cette occupation - précisément à cause de la singularité de cette histoire, et de la création de cet Etat (c’est une histoire absolument unique, dans l’histoire de la création des Etats nations, c’est une histoire absolument unique - au sens propre du terme). Quand je dis « unique », je n’y mets aucune appréciation qualitative. Je dis simplement : « C’est une histoire unique ».

Il y a eu des centaines de créations d’Etats nations - nous en avons vu beaucoup se créer, ou se recréer, sous nos yeux, dans les dix dernières années, mais ça n’était jamais une création - résurrection... [...]