Accueil > Juliette dans la peau de David Pujadas
Une intermittente raconte comment son « commando » est parvenu jusqu’au JT de
France 2.
Par Bruno MASI
mercredi 12 novembre 2003
Les intermittents tirent les leçons de leurs erreurs. Qui aurait pensé
qu’ils se faufileraient dans deux maisons des mieux gardées, TF1 et le
plateau de la Star Ac puis, lundi, France 2 et celui du JT ? (Lire aussi
page 36).
L’émission phare du service public et son présentateur icône ont dû
s’effacer. Juliette, 34 ans, s’est sentie « vraiment bien » quand elle s’est
assise dans le fauteuil du présentateur, même si ce fut en tremblant.
Régisseuse de plateau dans le théâtre public, elle se présente comme une
« intermittente typique », présente à Avignon cet été comme manifestante et
gréviste au sein de l’équipe technique du festival in.
Objectif.
Lundi soir, quand la petite troupe quitte la rue Perrée (Paris
IIIe ) et le siège de la coordination Ile-de-France, elle ne sait pas quel
chemin prendre. L’objectif n’est que sommairement décrit : une émission en
direct sur une chaîne du service public. Les intermittents cultivent le
secret et craignent les fuites. Combien d’« actions » ainsi prévues se
sont-elles finies contre des barrières de sécurité. Diviser l’information,
ne la diffuser qu’au compte-gouttes pour que, le moment venu, l’image
naisse. Celle d’un décor maintes fois vu, mais pour un soir barré de
silhouettes et de pancartes. Le coeur de France 2 rendu moins sacré, son JT.
« On se construit, on se muscle.
Le texte que j’ai lu, nous l’avons écrit
dans l’après-midi, raconte Juliette. Nous étions cinq : trois filles et deux
garçons. Au moins l’un d’entre nous parviendrait sur le plateau. On tient à
la parité. Nous avions décidé que, cette fois, ce serait une fille qui
prendrait la parole, même si, pour entrer dans le bâtiment, il fallait
sauter des murs et franchir des portes. Un peu comme un parcours du
combattant. A ce jeu, les garçons sont plus doués. » Des idées claires et
minutées : « Nous voulions revenir sur nos cinq mois de lutte, raconter les
procédures en cours au Conseil d’Etat et dire aux téléspectateurs que ce que
nous vivons aujourd’hui, ils le vivront sans doute demain. » (1)
Emotion.
Alors que David Pujadas est surpris et déconcerté, les
intermittents prennent place autour de la table : « Il a vu notre feuille et
ça l’a rassuré. Il craignait qu’on reste là pendant tout le journal. Il a
alors décidé de me laisser son siège. » Moment « jubilatoire » mais stressant :
« Je sentais que j’avais peur. L’émotion me submergeait. J’étais de plus en
plus émue. Je cherchais des regards alors qu’il faut chercher des caméras.
Le JT est fait de codes que nous ne connaissons pas. Mais, finalement,
c’était très agréable : rendre la télé plus poreuse à la réalité. »
La lecture est achevée.
Les intermittents s’éloignent. Un dernier cri de
protestation sourd des coulisses quand le journaliste présente ses excuses.
Dehors, les caméras de France 2 et France 3 sont là pour rencontrer la jeune
femme : « On a fait en sorte que ça soit quelqu’un d’autre qui réponde. »
Multiplier les visages , ne faire de personne le porte-parole en chef. Dès
hier matin, alors que le ministre souhaitait rencontrer les dirigeants de la
chaîne, les intermittents songeaient à envoyer un communiqué de
remerciements à la rédaction du 20 heures, et espéraient « qu’il n’y ait pas
de sanctions ».
(1) http://video.protocole.free.fr
Libé