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L’Allemagne tente la carte de l’union sacrée contre le chômage

Publie le jeudi 17 mars 2005 par Open-Publishing

de Georges Marion

En difficulté, le chancelier Schröder reçoit jeudi 17 mars les dirigeants de l’opposition dans un pays traumatisé par ses cinq millions de sans-emploi. Les réformes sont coûteuses pour les citoyens et les inégalités s’accroissent. Le patronat exige de nouvelles réformes du modèle allemand

Berlin de notre correspondant

Le chancelier allemand, Gerhard Schröder, rencontre, jeudi soir 17 mars à Berlin, pour un sommet inédit, les deux principaux dirigeants de la droite chrétienne démocrate, Angela Merkel, présidente de la CDU, et Edmund Stoiber, chef de la CSU bavaroise. Oscillant depuis longtemps entre affrontement droite-gauche et union sacrée, l’Allemagne tente de se mobiliser contre le chômage.

Le franchissement de la barre des 5 millions de chômeurs en janvier a provoqué avec retardement un choc que ni le gouvernement ni l’opposition ne peuvent éluder. Fin février pourtant, le climat était encore serein pour l’équipe Schröder. Mais lorsque l’agence fédérale pour l’emploi a annoncé début mars le chiffre de 5 216 000 demandeurs d’emploi pour février, tout s’est emballé.

Angela Merkel et Edmund Stoiber ont alors écrit au chancelier pour demander un rendez-vous et discuter des remèdes à adopter. Contre toute attente, Gerhard Schröder a accepté la rencontre, ouvrant la porte aux spéculations les plus diverses sur ce qui allait y être discuté. Depuis, toute la presse et la classe politique ne parlent plus que du "sommet de l’emploi"et de la déclaration préalable que fera M. Schröder devant le Bundestag.

L’APPEL DU PRÉSIDENT

Mardi, le président de la république, Horst Köhler, est à son tour entré en lice avec un discours tenu devant un parterre de chefs d’entreprise réunis à Berlin à l’appel de l’Union fédérale du patronat allemand (BDA). Sans surprise pour l’ancien secrétaire général du Fonds monétaire international qu’il est, le président Köhler a exprimé sa foi dans les vertus de l’économie libérale et a appelé à poursuivre et à approfondir les réformes engagées. Mais le ton était celui de l’appel à l’union sacrée, le président exhortant majorité et opposition à accomplir leur "devoir patriotique" face aux maux sociaux et économiques qui frappent le pays.

"Nous sommes sur le déclin", a estimé M. Köhler en critiquant des décennies de réglementations allemandes et européennes aux effets pervers. "Nous devons dire honnêtement aux nôtres que nous n’en avons pas fini -de réformer-, nous ne pouvons nous permettre des pauses tactiques à cause des élections ou d’évolutions en dents de scie", a-t-il encore ajouté. Puis, sous les applaudissements, il a appelé à "des coûts de travail plus bas, un marché du travail plus souple, un système fiscal raisonnable et beaucoup moins de bureaucratie".

La veille, le patron des patrons allemands, Dieter Hundt, avait tenu des propos similaires au cours d’une conférence de presse, visiblement destinée à peser sur le futur sommet de l’emploi. Depuis des semaines, avec persévérance, le patronat expose ses revendications, se félicitant des premières réformes de M. Schröder, mais assurant qu’elles sont insuffisantes pour relancer la machine économique. M. Hundt a développé un programme d’urgence en huit points, demandant l’allégement rapide des charges fiscales et sociales qui pèsent sur les entreprises ; la réforme des dispositions du code du travail, qui protègent les salariés contre les licenciements et organisent les négociations salariales ; et enfin une baisse drastique des dépenses sociales de l’Etat. Il a aussi appelé à "combattre la bureaucratie", notamment en retirant de l’ordre du jour la loi contre les discriminations actuellement en discussion. Bête noire des conservateurs, ce texte est accusé de pénaliser le dynamisme des entreprises.

Il est vraisemblable que ces points seront ceux-là même qu’évoqueront les chefs de l’opposition, lors de leur rencontre avec le chancelier. Par touches successives, Mme Merkel a, ces dernières semaines, esquissé ses revendications, qui recoupent d’assez près celles du patronat, surtout en matière de fiscalité des entreprises.

Mardi, devant le groupe parlementaire social-démocrate, le chancelier a livré quelques grandes lignes de son discours de jeudi. Il devrait y être question de continuer les réformes entreprises, d’approfondir la lutte contre la bureaucratie, de créer un climat économique propice à l’investissement et à l’emploi, d’investir dans la matière grise en favorisant la formation.

Selon l’un des participants à la réunion, le chancelier a également souligné qu’il s’opposerait fermement à la remise en cause de la loi contre les discriminations et aux tentatives visant à démanteler la cogestion, l’un des piliers du système social. De façon générale, les sociaux-démocrates, moroses, estiment que les réformes déjà engagées offrent au patronat une large marge de manœuvre dont il ne profite pas pour des raisons politiques. "Nous avons le sentiment que les patrons n’investissent pas car ils veulent la chute de ce gouvernement", commentait, à la sortie de la réunion du groupe parlementaire, un député, les yeux fixés sur les prochaines élections régionales en Rhénanie du Nord-Westphalie, le Land le plus peuplé du pays. Dans une large mesure, l’avenir du gouvernement en dépend.

Georges Marion

La gauche décroche dans les sondages

L’effet chômage et la discussion sur la montée des inégalités en Allemagne ont des répercussions fortes dans les sondages. Le Parti social démocrate (SPD) du chancelier Schröder, qui avait connu pour la première fois depuis longtemps, à partir de la fin 2004, un rebond attribué à une acceptation progressive de sa politique de réformes, a de nouveau brusquement chuté. Le premier signe tangible en a été le résultat des élections régionales du Schleswig-Holstein, le 20 février, qui a vu une forte baisse du SPD, même si celui-ci a pu d’extrême justesse conserver le gouvernement régional avec les Verts.

L’opposition chrétienne-démocrate, qui paraissait perdre pied au niveau national faute d’avoir de meilleures propositions à faire que les réformes gouvernementales pour redresser la situation économique, retrouve une nouvelle vigueur. Dans un sondage infratest dimap publié cette semaine par l’hebdomadaire Der Spiegel, elle est donnée très nettement en tête en Rhénanie du Nord-Westphalie, où des élections cruciales auront lieu le 14 mai, avec 43 % d’intentions de vote contre 35 % pour le SPD.

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3214,36-401751,0.html