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L’interview : Bertinotti, leader de Rifondazione

Publie le vendredi 19 mars 2004 par Open-Publishing

Descendre dans la rue avec Berlusconi crée
de la confusion et éclipse la politique



"Le meeting d’aujourd’hui ne compte pour rien, le vrai non on doit le dire à la
guerre"


De Barbara Jerkov

Nous sommes tous contre le terrorisme. Vous êtes sûrement d’accord, M.
Bertinotti.

Silence. "De la même façon que nous sommes tous contre la guerre", répond, après
quelques secondes, le secrétaire de Refondation communiste, pesant soigneusement
ses mots.

Donc nous sommes tous contre le terrorisme et nous sommes tous contre
la guerre. Est-ce juste ?

Mais ceci est une réponse prépolitique. Quand on passe du prépolitique au politique,
il s’agit de mesurer, par ses choix, sa propre aversion.

Refondation communiste a choisi de marcher contre la guerre et non contre
le terrorisme. N’y a t il pas là une contradiction ?

Vraiment pas. Sauf si l’on méconnaît le rapport entre guerre et terrorisme que
les peuples de l’Europe vivent dans leur chair, ainsi que dans cette condition
de peur si répandue qui n’est pas un pauvre sentiment mais plutôt la perception
de toute l’insécurité dans la quelle nous plonge la spirale guerre - terrorisme.
C’est pourquoi je pense que ceux qui ne s’opposent pas à la guerre ne s’opposent
pas non plus au terrorisme.

Un raisonnement complexe que le vôtre, qui va au delà des émotions. Croyez-vous
vraiment qu’il n’y aura pas d’électeurs de Refondation communiste au cortège
d’aujourd’hui ?

"Je pense qu’il n’y aura personne du peuple de la paix. Tous ceux qui durant
ces années ont marché dans les rues d’Italie et du monde, contre la guerre, ont
introjecté cette conscience lucide du rapport biunivoque entre les deux éléments :
la guerre et le terrorisme".

Ces jours-ci vous avez dit : des veto à la manifestation pacifiste du
20 sont inadmissibles, y vont ceux qui le veulent en portant avec eux leurs propres
contradictions. Si le raisonnement vaut pour samedi, pourquoi ne l’appliquez
vous pas avant tous les autres, en allant à la marche unitaire, vous mêlant aux
les contradictions des autres ?

"Parce que je préfère éviter les contradictions".

Comment jugez-vous, au contraire, cette partie de la Gauche qui, surmontant
son embarras, a décidé d’aller dans la rue avec Berlusconi ?

Je considère qu’elle cause une éclipse de la politique qui en accentue la crise.

C’est une faute, en somme.
"Une faute grave. Voyez-vous, je comprends très bien, selon la leçon biblique,
qu’il y a le jour des semailles et le jour de la récolte. En ce cas, je comprends
très bien qu’il puisse y avoir le jour du deuil et celui de la politique. On
peut être ensemble en tant que peuple d’une nation ou d’une communauté, quel
que soit le degré de contraste qui vit dans cette communauté..."

Mais le moment du deuil est désormais dépassé, n’est-ce pas juste ?
"Il n’est pas dépassé, mais il appartient, comme je viens de dire, à une dimension
prépolitique qui permet cette reconstruction de la communauté. Mais ensuite,
j’insiste, il y a le temps de la politique. Et le temps de la politique demande
d’identifier les causes d’une dévastation pour pouvoir intervenir sur elles et
les supprimer. Le temps de la politique est le temps des choix, n’est pas le
temps de leur éclipse. Avec l’éclipse, la politique meurt.

En résumant : manifestant côte à côte, droite et gauche, pour condamner
le terrorisme, ils tuent la politique. Est-ce ainsi ?

"C’ est ainsi. En fait, la manifestation d’aujourd’hui est une manifestation
morte politiquement. Une manifestation sourde par rapport aux mouvements et muette
politiquement. C’est-à-dire qu’elle n’est rien, disons la vérité".

Et alors,la manifestation de samedi, qu’est-ce que c’est ? Et surtout :
pourquoi, après les attentats de Madrid, la plateforme du cortège n’a-t-elle
pas été complétée
par la condamnation explicite, outre que de la guerre, du terrorisme ?

"Parce qu’elle est déjà là, il suffit de lire le texte : il y a le non à la guerre,
il y a le non au terrorisme. Franchement, je trouve vraiment qu’il s’agit là d’une
falsification".

Pourquoi "falsification" ?
"Au sens où l’on pollue la clarté de la politique. La vérité, c’ est qu’ici se
déploie un ballet qui n’est qu’un prétexte pour cacher l’incapacité de choisir.
La manifestation de samedi est une manifestation limpide qui a deux adversaires :
la guerre et le terrorisme. L’indignation, l’émotion après l’escalation si tragique
de Madrid augmente la conscience de cette tragédie qui plane sur l’humanité dont
seule la paix peut être la solution. C’est le mot d’ordre de ceux qui ont compris
la spirale, et qui vivent donc l’évènement avec la force de qui en a compris
le processus. C’est cela l’intuition forte qui a fait de ce mouvement un grand
mouvement dans le monde : précisément, la connexion entre guerre et terrorisme.
Le reste, peu importe si je me répète, est un ballet informe et provincial où l’on
cherche à s’envoyer des signaux entre couches politiques dirigeantes totalement à l’extérieur
des grands courants politiques".

Prévoyez-vous de la tension, samedi ? Il y en a qui ont déjà annoncé des
jets de peinture rouge contre les représentants
du non vote.

"C’est un langage qui ne m’appartient pas, je suis pour accueillir même le fautif
parce que je le distingue de la faute. J’ajoute toutefois que j’exigerais aussi
un peu de sobriété dans les réactions, je ne voudrais pas être contraint à rappeler
des épisodes du passé...

Des épisodes du passé ?
"Il m’arrive rarement d’être contesté, mais je l’ai été. Une fois, cela arriva
pendant une marche Pérouse - Assisi, au lendemain de la rupture avec le gouvernement
Prodi, quand le service d’ordre des Ds se signala dans une opération d’agression
politique contre nous".

Et quel est le rapport avec les évènements de ces jours-ci ?

"A l’époque vous n’avez certainement pas entendu s’élever de protestations de
victimes de notre part".

Vous êtes en train de dire à Fassino et à Rutelli : venez donc samedi,
mais s’il vous arrive d’être attrapés par un seau de peinture, ne faites pas
les victimes ?

"Non, je suis pour l’accueil. J’ai dit simplement : sobriété".

"La Repubblica" du 18.3.2004
Traduit de l’italien par karl et rosa

19.03.2004
Collectif Bellaciao