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LA CHUTE

Publie le samedi 7 mai 2005 par Open-Publishing

de Enrico Campofreda traduit de l’italien par karl&rosa

"Même en étant aussi jeunes, nous aurions quand même dû nous apercevoir de ce qui était en train de se passer". Si les paroles posthumes de l’ancienne secrétaire du Führer arrivent à faire méditer sa génération et surtout les générations suivantes, des travaux comme celui de Hirschbiegel atteignent un but. Parce que l’Allemagne - qui était pourtant en 1945 un cimetière sinistré - a mis en œuvre, des années durant, le refoulement après guerre de ses responsabilités, se trouvant par la suite confortée par le révisionnisme historique du professeur Ernst Nolte.

La folie de Hitler fut, au contraire, une folie partagée, confirmée par le fanatisme, la furie, l’orgie de violence et l’inhumation anticipée des dix derniers jours qu’il passa parmi ses inconditionnels dans le bunker, sous le Reichstag. La fin, qui se matérialisait à la porte de Brandebourg ou à Alexanderplatz par l’artillerie et les chars soviétiques qui broyaient Berlin dans un étau de feu, était un cauchemar, mais elle semblait un rêve à effacer, même par la mort, aux nazis cryptiques du bunker.

L’exemple fut donné justement par le Führer, qui s’appliqua à lui-même les théories racistes prêchées pendant des années : il avait théorisé dans Mein Kampf l’anéantissement des faibles parce que l’Histoire était faite pour les peuples forts. Et à un certain moment, les Allemands furent considérés ainsi par leur chef, qui les accusa de lâcheté et de trahison. C’était un Hitler tout à fait délirant, penché sur ses plans souterrains, dissocié de la réalité de la surface où - quand les batteries soviétiques arrêtaient de décharger des grenades - il remontait décorer de la croix de fer la poitrine d’une armée d’enfants envoyés au massacre.

Et pourtant, en grand acteur tragique, Adolf Hitler poursuivait sa représentation et séduisait une partie du peuple qui, malgré le mépris dont il fit les frais au dernier moment, décidait encore de verser son sang pour lui. Pour la dernière défense de Berlin, furent créés les Volksstürme, qui s’obstinèrent dans une résistance désespérée. Tandis que quelques généraux, de plus en plus sceptiques, allaient au rapport dans le bunker en invitant, en vain, le Führer à se rendre. Hitler ne pensait qu’à lui-même et à son rapport avec l’Histoire. "Je ne capitulerai jamais. Je ne me laisserai pas capturer et conduire, bafoué et humilié, par les rues de Moscou dans une cage à singes" dit-il avant de mettre en œuvre son plan de mort. Il était en colère contre les dirigeants nazis, contre les troupes des SS de Steiner qui ne parvinrent pas à lancer une contre-attaque pour alléger l’étau russe sur la capitale assiégée, contre Göring et Himmler qui l’abandonnaient et qu’il accusait de trahison. Contre Albert Speer qui, même s’il lui témoignait sa dévotion, n’acceptait pas la résistance à outrance. A ses côtés étaient restés Göbbels, Bormann, Krebs, qui choisiront de le suivre en se donnant, comme lui, la mort.

La mort par le cyanure et le coup de pistolet que le Führer donna à lui-même et à Eva Braun, qui était devenue sa femme dans les dernières heures après avoir conduit plusieurs jours les danses et les fêtes souterraines destinées plutôt à l’étourdissement alcoolique qu’à l’allègement de l’esprit. Les deux corps furent brûlés par deux cents litres d’essence devant l’entrée du bunker et après "l’horrible feu" les auto-exécutions se poursuivirent. La plus émouvante fut celle de la famille Göbbels, exécutée par Magda, la "mère idéale de l’Allemagne", comme l’avait définie Hitler. Elle empoisonna leurs six enfants, et offrit ensuite sa poitrine à la Luger de son criminel de mari.

Traudl Junge, la jeune et belle secrétaire du Führer, échappe à ce lugubre massacre. Elle avait commencé à travailler avec lui deux ans auparavant, venait de Munich, la ville pour laquelle Hitler nourrissait un sentiment tout particulier (sa "carrière" politique y avait commencé par les persécutions des communistes et des sociaux-démocrates et le putsch échoué de 1923). Traudl était une fille qui, comme tant d’autres concitoyens, ne se posait de problèmes ni politiques ni idéologiques, s’acquittait de ses tâches avec dévouement et avait saisi, en étant aux côtés di dictateur, les rarissimes moments sereins d’un être névrotique et déshumanisé par ses délires. Elle subissait, comme d’autres, la fascination du chef, parce que le peuple allemand avait cessé, depuis des années, d’agir de façon autonome et vivait son existence en fonction des désirs de cet homme du destin. Le climat dans le bunker était paradoxal. Parmi les généraux, personne ne croyait plus à la possibilité de renverser la situation de la guerre et pourtant personne ne bougeait le petit doigt, chacun s’attendait à que quelqu’un d’autre le fasse et l’immobilisme régna jusqu’à la solution finale, à laquelle certains ne se sont pas soustraits. D’une façon bien plus réaliste, certains généraux essayèrent à la dernière minute de ne pas faire verser plus de sang aux Allemands, souvent très jeunes. Et si les médecins militaires - à cause de leur travail ingrat et du terrible moment - étaient immergés dans le sang, d’autres, en se rendant aux troupes de l’Armée Rouge de Koniev et Zhukov mettaient fin à l’un des martyres de l’humanité.

On apprécie dans ce film la fidèle reconstruction historique, qui profite de la contribution de Joachim Fest, et l’excellent casting. Bruno Ganz brille dans le rôle ingrat de l’Homme du Mal, auquel il donne la folie, la cruauté, la paranoïa, la tristesse, la misère humaine et paradoxalement aussi l’isolement et la solitude. Le dictateur est prisonnier et victime du Mal qu’il a créé et poursuivi durant toute son existence avec ténacité et cynisme, au nom d’un peuple qu’il hait, au fond, comme l’humanité toute entière, quand il déclare : "Si la guerre est perdue, je me fiche que le peuple meure. Je ne verserai pas une seule larme pour eux, ils ne méritent rien de mieux".

Film de : Oliver Hirschbiegel
Sujet et scénario : Bernd Eichinger
Tiré de “Inside Hitler’s bunker” de Joachim Fest et de “Until the final houres“ de Traudl Junge e Melissa Muller
Directeur de la photographie : Rainer Klausmann
Montage : Hans Funch
Avec : Bruno Ganz, Alexandra Maria Lara, Corinna Harfouch, Juliane Kohler, Ulrich Matthes, Thomas Kretschmann
Musique originale : Stephan Zacharias
Production : Bernd Eichinger
Origine : Allemagne, 2004
Durée : 130’

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