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La Chine ouvre les portes : Un point de vue belge et... original

Publie le vendredi 29 janvier 2010 par Open-Publishing

Au milieu des années 1990, la Chine n’aurait pu continuer à faire croître son économie de façon explosive sans ouvrir les portes et gagner l’étranger. La République populaire enclenchait alors un processus qui, à peine quinze ans plus tard, montre qui sont les gagnants et qui sont les perdants. Les gagnants : la Chine et l’Afrique, l’Amérique latine et l’Asie. Le grand perdant : les États-Unis. En 1991, quand le mur de Berlin tombe et que l’URSS se désintègre, les USA affirme que le 21e siècle sera « le nouveau siècle américain ». Mais il s’est mué en désillusion. Aujourd’hui, sur tous les continents, leur influence régresse.

Depuis le début des années 1990, la Chine n’a pu accomplir sa croissance économique explosive sans l’aide de l’étranger. L’extension rapide de son économie requérait un afflux permanent de matières premières que la Chine ne pouvait tirer à 100 pour cent de son propre sol et de la mer.

À l’époque, le pays était déjà bien en route pour devenir le plus grand consommateur au monde de : cuivre, aluminium, plomb, nickel, étain, zinc, minerai de fer, huile de palme, coton, caoutchouc, acier… Ces vingt dernières années, la consommation de métaux en Chine a augmenté en moyenne de 17 pour cent par an. Pour pouvoir en assurer l’afflux constant, la Chine devait se tourner vers l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine.

Cette faim de matières premières ne sera pas apaisée de sitôt. Au cours des vingt prochaines années, la Chine entend maintenir une croissance économique de 8 pour cent par an en moyenne. À elle seule, la transhumance massive des habitants des campagnes vers les villes requiert déjà une économie tournant à plein régime. Aujourd’hui, près d’un Chinois sur deux est citadin. Les citadins sont actuellement 200 millions de plus qu’il y a dix ans. Au cours des quinze années à venir, 310 autres millions de campagnards migreront vers les villes. C’est plus que toute la population des États-Unis. En 2025, la Chine comptera 15 villes de plus de 25 millions d’habitants, 22 de plus de 10 millions et 23 autres encore de plus de 5 millions. Deux tiers de la population, soit au moins un milliard de personnes, vivra alors dans les villes. Pour les centaines de millions de nouveaux citadins, il va falloir construire des rues, des places publiques, des lignes de métro, des chemins de fer, des réseaux de distribution d’eau et d’électricité, des écoles, des hôpitaux, des magasins à grande surface, des centaines de milliers de blocs d’appartements et 50.000 gratte-ciel d’au moins de 30 étages. Même une nation aussi vaste que la Chine ne sera pas en mesure de fournir à elle seule tout le matériel indispensable pour accomplir cette révolution. Elle devra pour ce faire conclure des contrats de longue durée sur tous les continents.

Au début des années 1990 – et aujourd’hui encore – la Chine avait non seulement besoin de matières premières, mais aussi de capitaux, afin de créer des entreprises et aider des millions de gens à trouver du travail.

Elle avait besoin de techniques de management car, jusqu’alors, elle était encore en grande partie un pays agricole. Où fallait-il aller puiser les connaissances nécessaires pour diriger une industrie moderne ?

Le pays avait également besoin de technologies modernes parce qu’il ne voulait pas d’une productivité du travail qui, en gros, aurait eu un siècle de retard sur les pays industrialisés modernes.

Il avait en outre besoin de marchés à l’extérieur afin d’y vendre sa production de masse et, de la sorte, rentrer des capitaux afin de donner de l’oxygène à son économie.

Bref, la Chine devait sortir de chez elle et ouvrir ses portes.
Le sage conseil de Deng

À l’époque, Deng Xiaoping avait 90 ans. Apparemment, il n’était pas encore trop âgé pour présenter un code de bonne conduite dans les rapports avec l’étranger. Le code comprend 28 caractères de l’écriture chinoise et propose sept conseils : 1) lengjing guancha : analysez les développements avec calme ; 2) chenzhuo yingfu : abordez les changements avec confiance et patience ; 3) whenzu zhenjiao : assurez notre propre position ; 4) taoguang yanghui : ne vous vantez pas de ce que nous pouvons faire et ne vous placez pas sous les projecteurs ; 5) shanyu shouzhuo : gardez un profil bas ; 6) juebu dangtou : ne réclamez jamais le commandement ; 7) yosuo zuowei : cherchez les réalisations.

Ces conceptions sont surtout d’application dans les relations avec les États-Unis. La Chine était convaincue que les relations avec les États-Unis seraient les plus importantes. Ce pays a la plus grande économie, le pouvoir politique le plus étendu et l’armée la plus puissante au monde. Les Américains pèsent également comme un poids mort sur les pays en développement. Au début des années 1990, l’influence américaine était si grande que très peu de pays seulement osaient ne pas tenir compte des desiderata américains. Une fois que la Chine, où vit à peu près un cinquième de la population mondiale, est allée de l’avant, les rapports dans le monde ne pouvaient que se modifier.

Au moment où la Chine a ouvert la porte à l’étranger et qu’elle est sortie de ses frontières, le mur de Berlin était déjà tombé et l’Union soviétique, sous la direction de Gorbatchev, avait déjà éclaté. Dès lors, les États-Unis se crurent seigneurs et maîtres. Ils proclamèrent l’unipolarité et affirmèrent que la multipolarité – la démocratie dans les relations entre États – n’était pas une bonne chose. La multipolarité est exécrable, déclara la secrétaire Condoleezza Rice. Inefficace et nocive, surenchérit la marionnette britannique Tony Blair. Aux États-Unis, il y eut même des gens et des groupes pour dire que le 21e siècle ne pourrait être que le siècle de l’Amérique. C’est parmi ces gens que, dès 2000, on allait retrouver les ténors du gouvernement Bush.

La Chine devait donc se montrer extrêmement prudente et faire montre de beaucoup de tact pour ne pas provoquer l’Amérique, il lui fallait garder un profil bas et nager sans faire de vagues.
Plaidoyer pour un monde harmonieux

En 2000, Zheng Bijian, l’ancien président du China Reform Forum et l’un des confidents du futur président Hu Jintao, lançait le concept d’« éveil paisible » afin de définir la croissance de la Chine et ses liens de plus en plus multiples avec des dizaines de pays. Depuis, le terme d’« éveil paisible » a été beacoup utilisé dans le vocabulaire diplomatique chinois. Mais sa formulation a fini par faire l’objet d’une discussion interne : le mot « éveil » n’est-il pas un terme trop agressif et ne risque-t-il pas d’effrayer certains pays, dont les États-Unis ? En 2005, la direction politique modifia cette formulation. Désormais, on recourut au concept de « développement pacifique ». Tout cela pour montrer à quel point les Chinois se sont mis à l ’œuvre avec prudence et tact.

En 2005 encore, Hu Jintao sortit pour la première fois le concept de « monde harmonieux ». Ce monde doit s’appuyer sur le « multilatéralisme, une collaboration à avantage réciproque et sans exclusion de pays ». Le président formula quatre « non » et quatre « oui » : non à l’hégémonie, non au recours à la force, non à la constitution de blocs agressifs, non à la course aux armements ; oui à l’instauration de la confiance, oui à la réduction des problèmes, oui à la collaboration centrée sur le développement, oui à l’évitement de la confrontation. Pour les pays du tiers monde, c’est pain bénit. Ceux qui, depuis le colonialisme, sont confrontés aux ordres de Washington, Paris, Londres et Bruxelles, se retrouvent tout à fait dans les quatre « non » et quatre « oui » de Ho Jintao.

Il en va tout autrement avec les États-Unis. Ceux-ci ne se retrouvent pas dans ce message d’anticolonialisme ni dans les conceptions démocratiques à propos des relations entre les États. Pour établir avec eux une relation sans trop de frictions, de remous et de conflits, il fallait davantage que tact et le fait de garder un profil bas. Et on y venait, sous la forme de ce qui, depuis l’origine du capitalisme, en est le dieu : le profit.
Incitation à la modération

L’ouverture des portes chinoises attira bien des entreprises américaines vers ce qu’elles considéraient comme le marché le plus important et le plus prometteur de la planète. Jusqu’à présent, les entreprises américaines ont investi 60 milliards de dollars dans 57.000 projets en Chine. En 2007, leurs bénéfices en Chine ont augmenté en moyenne de 17 pour cent, dans le même temps qu’aux États-Unis, ils baissaient de 3 pour cent. Hewlett-Packard, Coca-Cola, Boeing, General Motors, Ford... tous disent que le marché chinois est celui à la croissance la plus rapide pour leurs produits. General Electric, Microsoft, Intel et Motorola ont créé des sections de recherche en Chine. Wal-Mart, la plus grande chaîne de magasins des États-Unis et du monde, dit que 75 pour cent de ses produits viennent de la Chine. La plupart des multinationales américaines font des affaires juteuses avec la Chine. Une attitude hostile, ou visant à créer des conflits, du gouvernement américain pourrait lui coûter des paquets de dollars.

À mesure que les relations extérieures se sont ramifiées et ont gagné en intensité, la Chine a sorti un second argument convaincant afin d’inciter les dirigeants de Washington à la modération : le financement de la dette publique américaine. En ce moment (fin 2009), la Chine détient pour plus de 800 milliards de dollars de certificats de trésorerie américains. Elle est de la sorte la plus importante créancière des États-Unis. Au cours des années à venir, le gouvernement américain va devoir continuer à faire appel à des bailleurs de fonds étrangers. Le gouvernement Obama a mis des milliards de dollars sur la table pour sauver les banques et les assurances et combattre la crise. Le Peterson Institute for International Economics à Washington a calculé que ces dépenses, plus les dépenses relatives à la dette publique existante et aux guerres en cours, allaient provoquer un déficit annuel d’au moins 1000 milliards de dollars et ce, jusqu’en 2020. La recherche de financement de ce déficit par le gouvernement américain renforce donc la position de la Chine.

Le Premier ministre chinois Wen Jiabao a dit, voici quelques années : « Nous avons besoin d’amis, de temps et de paix. » Jusqu’à présent, les Chinois sont parvenus à satisfaire à ces trois conditions pour leur développement économique interne. Plus la Chine pourra garder son cap actuel, plus elle sera forte et plus les États-Unis s’affaibliront. Car, sur tous les continents, la Chine pousse les États-Unis à la défensive et, partout, les relations existantes tournent progressivement au désavantage des Américains.

Source : infochina.be

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