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La Colombie, paradis de la croissance... de la pauvreté

Publie le lundi 31 mai 2010 par Open-Publishing
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La Colombie, paradis de la croissance... de la pauvreté
Paru le Samedi 29 Mai 2010
PROPOS RECUEILLIS PAR BENITO PEREZ

Solidarité ÉLECTION - Favori de la présidentielle, Juan Manuel Santos s’appuie sur le bilan social et économique d’Uribe. Mais celui-ci a moins lutté contre la pauvreté que contre ses indicateurs.
La politique sociale menée depuis 2002 par le gouvernement d’Alvaro Uribe peut se résumer par ce seul fait : il aura fallu attendre mai 2010 pour que Bogota présente enfin aux Nations Unies son « rapport périodique » (2002-2006) sur les droits économiques, sociaux et culturels. Pour Andreiev Pinzón, représentant à l’ONU de la plate-forme des ONG colombiennes, ce silence en dit long sur la crainte de voir divulgués les véritables contours du « miracle colombien », une combinaison de clientélisme et de loi de la jungle qui laisse une population appauvrie malgré des taux de croissance enviables. Revenu à Genève présenter le « rapport alternatif » des ONG (lire ci-contre), cet ancien élève de Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) exerce aujourd’hui en tant que lobbyiste des associations de droits humains auprès du Congrès des Etats-Unis à Washington.

Alvaro Uribe fait état de progrès sociaux durant ses mandats. Que constatez-vous ?

Andreiev Pinzón : Nous voyons malheureusement l’inverse, une tendance à la dégradation de tous les droits humains. On sait ce qu’il en est des droits civils et politiques : les quatre millions de déplacés, les deux mille cas d’exécutions par l’armée investigués en ce moment, on pense que le chiffre réel se monte à plus de cinq mille. La Colombie a vécu une campagne de persécution systématique de ses leaders sociaux, accompagnée du principal dispositif d’impunité qu’ait connu le pays – la loi de « Justice et Paix » –, qui a permis de réinsérer les paramilitaires. La question des droits sociaux, elle, est moins connue. Pourtant, la Colombie est le second pays le plus inégalitaire de la région, son indice de Gini flirte avec 61. Malgré une croissance annuelle de 5%, le pays a vu augmenter la pauvreté et l’indigence...

Le rapport officiel indique pourtant une baisse du taux de pauvreté de 56% à 49%.

Ce chiffre répond à un simple changement dans la mesure de la pauvreté. Durant trois ans, l’Etat n’a d’ailleurs plus présenté de données statistiques sous prétexte de changer ses indicateurs. Or, des études indépendantes situent le niveau de pauvreté au-dessus de 65% ! Même certains indicateurs officiels le laissent entendre. Ainsi le nombre de personnes à l’assistance, selon la comptabilité de la sécurité sociale, est beaucoup plus élevé que dans la statistique présentée à l’ONU... Ces maquillages sont extrêmement graves : non seulement le gouvernement ne lutte pas contre ce phénomène, mais il refuse même de le voir !

Est-ce à dire que la Colombie n’a pas de politique sociale ?

Non, cela signifie que celle-ci a échoué, car elle est uniquement basée sur le soutien à la demande par des allocations souvent clientélistes, qui répondent avant tout à des intérêts partisans. Bien sûr, c’est mieux que rien ! Mais cela ne permet pas à la Colombie d’affronter ses graves problèmes. Plus de 40% des Colombiens, dont une majorité de femmes, d’enfants et de membres des minorités ethniques, vivent dans l’insécurité alimentaire. Les taux de désertion scolaire sont alarmants : la Colombie est le seul Etat de la région qui n’offre pas la gratuité de l’enseignement primaire. Ce pays a besoin, de politiques publiques apportant des réformes structurelles, des politiques de développement créatrices d’emploi.

La croissance n’en génère-t-elle pas ?

Une étude universitaire très sérieuse a montré comment la dérégulation du marché du travail que ce gouvernement a favorisé a échoué à créer de l’emploi. En revanche, elle a permis au patronat d’engranger de plus grands revenus... Une réalité que l’Etat maquille en qualifiant d’« employé » une personne ayant travaillé trois mois sur douze...

La pauvreté monétaire est une chose. Qu’en est-il de la richesse sociale ?

Si on prend cette dimension, le tableau est encore plus noir. L’Etat est sans le sou. Dans l’espoir d’attirer des investisseurs, il a passé des accords fiscaux très désavantageux. Le pétrole colombien, par exemple, est pratiquement offert en cadeau. Du coup, tout est laissé au privé. Malgré des dépenses nationales de santé qui explosent, le système public traverse une grave crise. Même le président l’a reconnu. Rien n’est fait non plus pour le logement. Ses maigres moyens, l’Etat les met dans la guerre, le principal poste au budget public... I
Note : 1 Le coefficient de Gini varie de 0 à 10, où 0 signifie l’égalité parfaite et 10 l’inégalité absolue. Selon l’ONU, la Colombie est à 5,85. A titre de comparaison, le Venezuela voisin est à 4,3, la Suisse à 3,4 et le Danemark à 2,5.

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