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La Résistance (même trop) organisée des mouvements anticommunistes

Publie le vendredi 13 mai 2005 par Open-Publishing

Poings blancs et drapeaux orange

de Paolo Godani traduit de l’italien par karlrosa

Parmi les premiers mouvements de protestation et de résistance dans les régimes de l’Est, OTPOR (Résistance) a joué un rôle de première importance dans la Serbie de Milosevic. Des étudiants, des intellectuels, des professions libérales, des jeunes mais aussi les millions de dollars des fondations américaines et les techniques de contre espionnage de la CIA. Le documentaire de Goran Radovanovic retrace en partie le déroulement de cette histoire, en soulignant plus les aspects symboliques et médiatiques que les liens et l’inspiration occidentale souterraine du mouvement.

Le documentaire de Goran Radovanovic sur le mouvement serbe Otpor (parmi les organisateurs les plus importants de la campagne qui conduisit à la défaite électorale de Slobodan Milosevic en octobre 2000) utilise un langage, visuel et idéologique, qui nous est familier : fait de paroles, de gestes, de slogans, de symboles et de manifestations de rue analogues à ceux des mouvements qui se sont développés ces dernières années dans tout le monde occidental et en particulier en Europe.

Il y a le symbole de Otpor, un poing blanc sur fond noir, qui est repris par tous ceux qui dans les rues s’opposent à Milosevic, qui est dessiné et reproduit à tous les coins de rue, sur les murs, sur les tracts, sur les t-shirts. C’est en même temps un symbole nouveau et ancien : le nouveau qui veut dire quelque chose de différent de l’ancien ou l’ancien que l’on retrouve et qui se renouvelle. C’est le symbole, en général, ce dont il semble qu’aucune fondation de la politique à l’époque du capitalisme médiatisé ne puisse se passer : le symbole qui unit tout le monde, que chacun connaît et dans lequel il se reconnaît peut-être justement en raison de sa signification minimale. Le poing fermé de Otpor (qui signifie "résistance") indique la lutte pour la démocratie et pour la liberté.

Comme le documente Radovanovic, Otpor est un mouvement né parmi les étudiants des universités qui s’est rapidement transformé en un mouvement de masse. Un mouvement pacifique, explicitement non violent, qui a toutefois dû souvent se confronter aux forces de la répression. Un mouvement qui conclue sa trajectoire par la candidature de l’un de ses représentants aux élections législatives, en soutien du démocrate Rougova. Un mouvement sur lequel il n’y aurait pas grand-chose de plus à dire, si ce n’était que son spectre a déambulé ces dernières années (et déambule encore) dans d’immenses régions de l’Europe de l’Est : de la Géorgie à l’Ukraine.

On aurait envie de dire : c’est trop beau pour être vrai ! Ils sont trop beaux et souriants, les visages des jeunes gens et jeunes filles qui militent à Otpor, elle est trop linéaire, l’histoire d’un mouvement libertaire et autonome qui naît spontanément et qui se dissout une fois son but atteint. Beaucoup disent que Otpor a été financé par les Etats-Unis, à hauteur notamment d’environ 40 millions de dollars. Mais dans le documentaire de Radovanovic - à partir duquel on peut cependant deviner que des instances explicitement anticommunistes (évidentes et légitimes) étaient aussi présentes dans Otpor - il n’en est pas question. Et alors, essayons, nous-mêmes, de traiter une question difficile mais incontournable - étant donné qu’elle concerne aussi, par exemple, la récente "révolution orange" en Ukraine -, celle de la relation entre la lutte pour la démocratie (là où celle-ci est "fragile" ou bien loin d’advenir) et les ingérences étrangères (non seulement états-uniennes) dans des buts de nature géostratégique.

Le parallèle avec la révolution orange n’a rien d’extrinsèque : selon l’AFP, par exemple, des membres de Otpor ont séjourné ces derniers mois en Ukraine, en vue des élections présidentielles, pour former de jeunes militants orange à l’action non violente ; et, toujours selon l’AFP, Aleksandar Maric, membre de Otpor et collaborateur en Ukraine de l’Ong américaine Freedom house, a été repoussé mardi 12 octobre à l’aéroport de Kiev, soupçonné de fomenter une révolte qui aurait dû conduire au coup d’état. Du reste, les militants de Otpor eux-mêmes confirment leurs relations avec des groupes géorgiens et biélorusses d’abord, puis ukrainiens, pour "former" de jeunes militants.

Il n’y a rien d’étrange à cela : on a toujours vu les luttes et les militants communiquer entre eux, être solidaires, s’aider réciproquement. Rien d’étrange, si ce n’est que dans ces derniers cas il existe un intérêt objectif de la part des grandes puissances étrangères (Russie et Etats-Unis en tout premier lieu) pour ce qui se passe dans les Balkans et dans les pays de l’ex-Union soviétique ; un intérêt qui semble s’être concrétisé, en ce qui concerne Otpor, par des financements de millions de dollars accordés aussi par la fondation Open society institute de Georges Soros et par des séminaires, organisés à l’Hôtel Hilton de Budapest, sur les méthodes de résistance non violentes, animés par le colonel Robert Helvy (qui travaillait pour la CIA et fut envoyé par l’Institut national républicain de Washington).

Ce qu’il faudrait traiter explicitement, au delà d’hypothèses de complots faites dans l’après-coup, ce sont précisément les mots d’ordre qui ont guidé un mouvement comme Otpor. On peut peut-être dire que, même avec les meilleures intentions, un mouvement qui lutte aujourd’hui pour la démocratie et pour la liberté est susceptible d’une récupération objective de la part des "démocraties occidentales". On peut le dire si ce mouvement ne pose pas la question de quelle est la démocratie et de quelle est la liberté pour lesquelles on se bat. Le problème n’est pas de critiquer de l’intérieur les présumées "déviations", les limites ou les carences des démocraties occidentales mais plutôt de voir avec clarté ce que sont ces systèmes politico-économiques que nous appelons démocratie. On ne peut donc pas se limiter à démasquer les liens entre Otpor, ou entre les "oranges" ukrainiens et les services secrets américains mais l’on doit comprendre ce qui a rendu possibles ces rapports.

Il y a toujours - nous le savons - la possibilité de faire appel à une logique des deux temps, fondée sur une certaine philosophie de l’histoire : il faut abattre la dictature et accéder à la démocratie libérale avant de pouvoir se permettre de critiquer celle-ci. Le fait est, hélas, qu’il n’y a pas aujourd’hui une succession de l’une à l’autre mais une cohabitation : une juxtaposition de systèmes politiques différents à l’intérieur d’un contexte homogène où le capital multinational et les grandes puissances tendent à établir une même souveraineté. Si l’on ne se place pas sur ce plan d’analyse, il est inévitable que l’on jette un mouvement de libération dans les bras du nouveau challenger le plus puissant. Sans cela, l’issue de tout mouvement ne pourra qu’être de se libérer d’un patron pour finir par être joyeusement l’esclave d’un autre. Ou peut-être précisément du même.

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