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de DUCCIO ZOLA Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
Au retour d’une mission de médiation en Birmanie et au Cachemire, Johan Galtung a récemment fait escale à Rome à l’occasion de la journée de clôture de l’initiative "Pace e diritti. Un’utopia concreta" ("Paix et droits. Une utopie concrète"), organisée par la Présidence du Conseil Provincial en collaboration avec l’association Lunaria et avec le Forum Provinciale per i Diritti Umani. Au cours d’une rencontre noire de monde à la Sala dei Convegni di Piazza Montecitorio, il a parlé de comment arriver à la paix par des moyens pacifiques, en centrant son propos sur la situation au Moyen-Orient, et en donnant un point de vue opposé au paradigme de la guerre préventive et permanente, incarné par la politique étrangère de l’administration Bush. Dans un entretien en marge de la conférence, Galtung a confirmé sa profondeur d’analyse et sa capacité propositionnelle, qui l’ont fait connaître chez les activistes pacifistes de la moitié de la planète.
– Professeur Galtung, comment sortir d’une crise qui est en train d’emporter toute la région au Moyen-Orient ?
Avant tout, en ouvrant le dialogue entre Occident et monde arabe, exactement ce que ne font pas les Etats-Unis et leurs alliés, qui aiment se présenter comme défenseurs des valeurs démocratiques. Et pourtant la démocratie présuppose que personne ne puisse avoir le monopole de la vérité et que les raisons de chacun doivent être écoutées. Résoudre le conflit signifie sortir du passé et ouvrir l’avenir, mais pour ça justement, il ne faut pas oublier que les victimes, à l’inverse des bourreaux, ont une mémoire d’éléphant,. Les humiliations que les arabes ont subies de la part des occidentaux au cours du siècle dernier génèrent aujourd’hui encore des souffrances et sont à la base de vengeances violentes.
– A quelles humiliations faites-vous référence ?
Elles sont liées à trois épisodes historiques en particulier, dont personne chez nous ne semble se souvenir. Le premier est la construction artificielle de l’état irakien en 1916, par le gouvernement britannique, pour se garantir une position de domination impériale au Moyen -Orient. Le second est la signature du traité entre le président américain Roosevelt et la maison royale saoudienne en 1945, qui prévoit la protection américaine de la maison royale dans l’éventualité d’une révolte populaire, en échange de l’accès aux réserves pétrolières saoudiennes. Cet accord trahissait complètement la doctrine religieuse wahhabite, fondée sur la parole de Mohamed, qui interdit la présence d’infidèles en Arabie Saoudite, considérée comme terre promise. Le dernier épisode se réfère à la guerre du Rif, menée par l’Espagne au Maroc, et précisément au bombardement aérien de 1925 sur la ville marocaine de Chauen, conduit par un général espagnol du nom de Francisco Franco, qui a fait des milliers de victimes chez les civils. Les attentats de New York, Madrid et Londres, sont reliés par ce fil rouge de l’humiliation et se renvoient l’un à l’autre, réciproquement. Mais à la différence des Etats-Unis, l’Espagne a su réagir de façon juste, en conjurant ainsi le danger d’attaques futures.
– Vous soutenez donc la ligne de Zapatero sur le retrait immédiat des troupes d’Irak...
Bien sûr. Mais le retrait des troupes n’a été que la première manœuvre de Zapatero. Quelques jours après son élection, il a été à Rabat pour discuter avec le roi de la situation à Ceuta et Melilla, les protectorats espagnols sur la côte marocaine. Aujourd’hui se profile pour ces deux territoires un échange de souveraineté, comme ça s’est passé pour Hong Kong. Après avoir mis en place cette médiation, Zapatero ne s’est pas arrêté. Il a promulgué une loi qui régularise la situation des clandestins marocains ayant un emploi en Espagne, en leur ouvrant les portes de l’intégration. Ensuite, en octobre dernier, il a lancé un dialogue de civilisation en faisant se rencontrer des représentants de premier plan du monde politique, économique et universitaire, arabes et occidentaux à parité. De cette façon, l’Espagne a lancé ce processus de reconnaissance et de désaveu de son passé impérialiste à l’égard du monde arabe et elle a ouvert les portes à l’intégration et au dialogue. Médiation, conciliation et dialogue constituent les points cardinaux de la résolution non violente des conflits. Bush, Blair et Berlusconi n’ont rien fait de tout ça, ce n’est pas leur intérêt. Si, comme je le crois, le centre-gauche gagne les prochaines élections en Italie, j’espère qu’il prendra exemple sur Zapatero.
– Pour revenir à la situation au Moyen-Orient, les déclarations du président iranien Ahmanidejad contre Israël ne laissent rien augurer de bon...
La rhétorique est une chose, les faits en sont une autre. Et les faits témoignent de l’élargissement progressif d’Israël aux détriments de la Palestine, qui n’occupe aujourd’hui que 7,5% du territoire qui lui avait été assigné en 1947. Je ne veux absolument pas justifier avec ça les provocations d’Ahmadinejad, mais seulement ramener l’attention sur la dramatique situation palestinienne. Et Israël et la Palestine ont droit l’un et l’autre à un état, mais pour garantir paix et stabilité dans cette région il est nécessaire d’instituer, sur le modèle de la Communauté Economique Européenne de 1958, une Communauté des pays du Moyen-Orient qui comprenne Israël, Palestine, Syrie, Liban, Jordanie et Egypte. On ne pourra que de cette façon garantir la survie de l’état palestinien, menacé par le sur-pouvoir israélien. D’autre part, la sécurité d’Israël ne peut pas dépendre de sa force militaire ou de l’alliance avec les Etats-Unis, elle doit être conquise définitivement à travers sa capacité à instaurer des bonnes relations avec les pays voisins. Le modèle fédératif dont je parle répond exactement à ces exigences.
– Concluons avec les affaires de l’Union Européenne. Comment jugez-vous l’échec du référendum sur l’approbation de la Constitution, en France et en Hollande ?
Ce texte est très compliqué, écrit par des bureaucrates pour d’autres bureaucrates, le fruit d’une mauvaise œuvre de médiation, dans lequel apparaît une obligation d’armement mais pas un mot sur l’égalité entre homme et femme. Français et hollandais n’ont pas rejeté la Constitution, comme le laisserait supposer le vote au référendum, parce qu’ils sont anti-européens, mais simplement parce qu’ils ont lu ce texte impossible et qu’ils ont agi en conséquence.