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La naissance de l’Université de Vincennes

Publie le mercredi 22 avril 2009 par Open-Publishing
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J’ai récemment trouvé sur l’Internet ce texte de Rémi Fauchère sur la naissance de l’Université de Vincennes, future Université de Saint-Denis. Il se trouve qu’à partir de fin 1969 j’ai passé à Vincennes trois des années les plus exaltantes de ma vie.
À une quarantaine, nous nous sommes réunis il y a quelques jours dans un restaurant parisien, pour nous retrouver, nous remémorer (http://copainsdavant.linternaute.co...).
Bien sûr, nous n’avions pas changé...

À la lecture de ce qui suit, ceux qui, aujourd’hui, luttent contre les menées de Sarkozy contre l’Université, les universitaires et la Fonction publique, pourront penser à bon droit qu’on a reculé de cent ans.

Rémi Faucherre

Préhistoire de l’université de Saint Denis : la naissance de Vincennes
(mai 1968‑janvier 1969)

Ce texte reprend des éléments du mémoire de maîtrise d’Histoire que j’ai réalisé en 1991‑1992 à l’Université Paris 7 (Jussieu) sous la direction de Michelle Perrot et avec l’aide de Bernard Weber. Il s’intitule "Atypie‑Utopie, Vincennes, naissance d’une université. Mal 1968 janvier 1969[1]

La naissance de Vincennes : mai 1968‑janvler 1969.

Pourquoi ces limites chronologiques ? La limite amont me semble être le véritable démarrage du projet ; Vincennes était certainement en germe avant 1968, mais la crise de mai a permis à ce germe d’éclore. La limite aval est représentée par la rentrée universitaire à Vincennes et cette rentrée marque une rupture en ce que la préparation qui précède diffère radicalement de ce qui, avec la présence des étudiants, va suivre. Il aurait pu être intéressant aussi de clore à la date de juin 1969 qui marque la fin de la première année universitaire : fondation et première année auraient formé un tout. J’ai choisi de ne m’intéresser qu’à la fondation et, du môme coup, j’ai un peu mis de côté le rôle considérable que vont jouer les étudiants à partir de janvier. Ce travail reste à faire.

Deux faits surprenants ont jailli des entretiens qui ont servi de base à ce mémoire : d’une part, il reste très peu de documents écrits sur cette période ; d’autre part, les étudiants en sont incroyablement absents. J’y vois deux raisons.
Tout d’abord, "1968" met en avant la parole, la communication orale et la spontanéité, un certain "désordre" ; l’esprit de l’époque n’était pas à figer un événement, à conserver une parole ou le souvenir d’un acte par écrit. Beaucoup de décisions concernant Vincennes ont été prises lors de réunions, assemblées ou concertations impromptues ou improvisées où le compte‑rendu était le dernier des soucis.

Ensuite, le projet Vincennes a été gardé secret (ou presque) par ses concepteurs jusqu’à la mi‑septembre. Ils avaient, semble‑t‑il, peur qu’en le divulguant il ne devienne la cible des acteurs de Mai et soit mis à mal sous prétexte qu’il était récupéré par le pouvoir. Ils auraient donc, volontairement selon moi, laissé le moins possible de traces écrites.

Les récits que j’ai recueillis se sont révélés assez différents de la tradition orale dont j’avais connaissance avant de commencer ce travail. Vincennes, restée dans certains esprits comme une sorte de mythe, aurait été bâtie dans l’euphorie de mai 1968 et notamment par le mouvement des étudiants et des travailleurs. Or, j’ai découvert une histoire différente. Le rôle des étudiants et des étudiants‑travailleurs ri’ a été effectif qu’à partir de la rentrée de janvier mais il devient alors essentiel comme il l’a été pour les tout débuts de la naissance de Vincennes (mai / juin 1968). Ce qui est resté dans l’inconscient collectif, quelque opinion qu’on ait encore aujourd’hui de ce qu’a représenté Vincennes, correspond mieux à la période qui va suivre, au delà de janvier 1969.

L’écrit défaillant, nous reste la mémoire des individus. L’essentiel de mes informations vient donc quasi uniquement des témoignages oraux des ’ tout premiers Vincennois !’ : 28 entretiens dont 24 directement et quatre au téléphone. Ils ont été recueillis entre février et juillet 1992.

Qui sont ces personnes ? Je les ai reparties en 6 catégories dont le tableau suivant indique la ventilation. Il est important, en effet, de ne pas oublier en lisant ce travail le poids relatif de ses sources. Il est à noter que les enseignants sont sur-représentés.

Nombre %

1) enseignants 16 57,1
2) Ministère (ou apparenté) 5 17,8
3) étudiants 4 14,3
4) personnel administratif 1 3.6
5) constructeur 1 3,6
6) journaliste 1 3,6

Totaux : 28 100

Ce panorama de la fondation de Vincennes est donc essentiellement la vision qu’en ont gardée 24 ans après ces 28 témoins à travers leurs filtres, leurs oublis, leurs exagérations. Il arrive que les témoignages ne se recoupent pas ou bien laissent dans l’ombre un élément de ce puzzle compliqué aux interactions multiples. Ces conditions ne permettent une reconstitution que bien imparfaite émaillée d’approximations et d’incertitudes.

LA CRISE DE L’UNIVERSITE JUSQU’EN MAI 1968

Vincennes apparaît dans la ligne d’un processus de réflexion qui a démarré après la seconde guerre mondiale. La réforme Fouchet en 1966, les colloques de Caen en 1966 et d’Amiens en 1968 et les réflexions des syndicats, UNEF et SNEsup, ont préparé le terrain. Depuis les années 60, l’enseignement supérieur se porte mal. Mai 1968 met en branle toutes ces idées à travers plusieurs lieux de réflexion. En particulier, durant les mois de mai et juin 1968, se sont réunies à la Sorbonne des commissions par discipline qui analysaient et contestaient le système éducatif et proposaient des solutions pour le réformer. L’objectif était le même à la faculté d’Assas où se réunissait la CNID, Commission nationale interdisciplinaire, qu’on appelait plus familièrement "le groupe d’Assas". A Nanterre, pareillement, on a beaucoup réfléchi à la restructuration de l’Université. L’essentiel des grandes idées de Vincennes flotte dans "l’air du temps" au printemps 1968 cogestion enseignants‑étudiants, autonomie des universités, interdisciplinarité, suppression du cours magistral et de l’examen terminal, transformation du rapport enseignant / étudiant. On espère et on réclame une Université plus ouverte au monde extérieur, ouverte aux salariés, ouverte au reste de la planète, ouverte au temps présent.

LA RÉPONSE POLITICO‑TECHNICO‑ADMINISTRATIVE
(été‑automne 1968)

L’État

"Les élections de fin juin 1968 donnent une écrasante majorité au général de Gaulle. Le 10 juillet 1968, Pompidou est remercié et il est remplacé par Couve de Murville. Le 12 juillet au soir, le nouveau gouvernement est formé. Seule exception dans ce gouvernement très conservateur, le libéral Edgar Faure est nommé au portefeuille de l’Education nationale. Cette nomination apparaît significative d’une volonté de réformes" dit Assia Melamed.

Il apparaît difficile de réaliser à quel point le montage de Vincennes a été exceptionnel si on ne comprend pas de quelle confiance jouissait Edgar Faure auprès du général de Gaulle.

Le général était à double facette. D’un côté, c’était un homme d’ordre : il ne supportait pas que l’ordre ne règne pas ; de l’autre. il avait du flair et il était ouvert au changement. Il était partisan d’une plus grande participation des étudiants à la marche de l’Université. C’est ce deuxième aspect de sa personnalité, qu’un homme, et le seul probablement du monde politique de l’époque, était en mesure de traduire dans les faits : Edgar Faure.

D’après les témoins, d’une grande intelligence, d’une grande ouverture d’esprit, il avait le désir d’innover. En témoigne sa réponse à une Assemblée qui réclame le retour à l’ordre : "c’est toute la société qu’il faut changer. Il faut une nouvelle conception de l’homme et des rapports sociaux". Il était de surcroît très habile : certains commentateurs l’ont qualifié de "magicien" pour la façon dont il est parvenu à obtenir d’une Assemblée aussi conservatrice le vote à l’unanimité de la loi d’orientation et un accord acceptable sur le projet d’une université aussi progressiste.

C’est très certainement de la rencontre à la tête de l’Etat de ces deux hommes exceptionnels que beaucoup de choses, Vincennes en particulier, vont pouvoir se faire.

Le cabinet d’Edgar Faure

Edgar Faure est donc nommé au Ministère de l’Éducation Nationale le 11 juillet 1968. Son Cabinet, très rapidement mis en place, sera formé pour l’essentiel par son Directeur de Cabinet Michel Alliot, le recteur Gérald Antoine, chargé de mission, Jacques de Chalendar, conseiller technique et Yann Gaillard, Directeur adjoint du Cabinet (chargé des finances). Se joint à cette équipe un de ses amis de toujours, Robert Blot, dont le rôle, officieux, est mal connu mais sans doute important.

Pour faire passer les idées de son Ministre, notamment face à une majorité de droite, ce cabinet fait preuve d’une incontestable habileté politique. Il fonctionne au culot, emploie des procédures inhabituelles et parfois irrégulières, bouscule les habitudes, se comporte comme si les obstacles n’étaient là que pour être levés, faisant tout ce qui est nécessaire pour qu’ils le soient.

Surplus d’étudiants : besoin de locaux

Dans l’analyse que fait le Gouvernement de la crise estudiantine du printemps 68, la surpopulation des Universités apparaît comme l’une des raisons essentielles : les étudiants manquent de place, essentiellement en région parisienne. Ce constat, les gouvernements antérieurs à mai 68, comme le précédent Ministère d’Alain Peyrefitte l’ont déjà fait. En particulier, un nombre considérable de bacheliers avaient été reçus en mai 68 et il fallait donc prévoir pour la rentrée universitaire d’automne 68 un nombre de places bien supérieur à celui programmé initialement, 35.000 sans doute. Les chiffres diffèrent beaucoup suivant les sources, mais il fallait de toutes façons bâtir et offrir de nouveaux locaux à l’Enseignement supérieur.

Le ministère Edgar Faure reprend évidemment ce besoin à son compte
Bernard Gauthier se souvient que le Rectorat le Rectorat de Paris, partiellement chargé de résoudre ce problème, a été obsédé pendant tout l’été 1968 par la recherche de terrains disponibles.

Le terrain de Vincennes

Le terrain prévu pour la future université appartenait à la Ville de Paris qui l’avait loué depuis quelques années à l’Armée ; celle‑ci y avait installé des baraquements militaires. Lorsque, fin juillet, début août, le Ministère, qui recherchait donc désespérément des terrains, finit par trouver celui‑là, il obtint de l’Armée, après tractations, qu’elle le cède à l’Éducation Nationale. Mais il fallait l’accord de la Mairie de Paris. Bernard Gauthier raconte le moment fort de cette négociation : un cocktail organisé par Edgar Faure au Ministère, fin juillet début août, auquel il invite en grande pompe Frédéric Dupont, Député, Conseiller Municipal du Vllème arrondissement et M. Vallon, Conseiller RPR de la Ville de Paris. Le Ministre embrasse Vallon dés son arrivée lui disant d’entrée de jeu : "Je vous remercie pour les terrains que la Ville nous prête" ce à quoi le Conseiller de Paris, pris au piège, ne sait que répondre et n’ose pas refuser.

Selon Michel Alliot (mais il y a une autre version des faits), il était nécessaire que la Ville de Paris formalise cette décision de céder le terrain sans attendre la rentrée puisque les constructions devaient commencer tout de suite. Cet été là, beaucoup de Conseillers de Paris étant en vacances et ne pouvant donc pas être réunis, seul, le Bureau du Conseil pouvait l’entériner. Il n’avait pas la compétence juridique de vendre ou de louer ce terrain et, faute de mieux, adopta une solution bâtarde, louer ce terrain au Ministère, pour 10 ans.

La Loi d’Orientation

Dès le mois de juillet, Edgar Faure avait annoncé son intention de construire en France quatre établissements universitaires expérimentaux, Vincennes, Dauphine, Antony, et Marseille‑Lumigny. Vincennes était plus spécialement orientée vers une pédagogie novatrice ; son enseignement serait pluridisciplinaire, Sciences humaines et Lettres ; au départ, les sciences pures devaient être associées au projet.

Les grandes lignes de la loi d’Orientation sont présentées à l’Assemblée Nationale le 24 juillet. La version définitive du texte, élaborée pendant l’été, mise en discussion à l’Assemblée Nationale le 24 septembre, est votée à l’unanimité le 11 octobre. La loi est promulguée le 12 novembre 1968.

Elle est fondée sur trois grands principes, la cogestion, la participation et l’autonomie.

Désormais l’Université sera cogérée à la fois par les étudiants et les enseignants et une représentation importante des personnels ATOS, c’est‑à-dire du personnel qui n’est ni enseignant ni étudiant.

La participation s’exercera à plusieurs niveaux ; des conseils permettront à ces personnels différents de s’exprimer et d’influer sur la destinée de l’Université. Au niveau national, le Conseil national de l’enseignement et de la recherche, lui‑même paritaire, composé d’enseignants et d’étudiants, sera consultatif. A un échelon local, les Conseils régionaux de l’enseignement supérieur et de la recherche, équivalents de ce Conseil national, auront à peu près les mêmes fonctions d’appréciation et de conseil. Ils seront composés à deux tiers d’enseignants et d’étudiants et, pour un tiers, de personnalités extérieures représentatives des collectivités locales et des activités régionales.

L’Université, autonome, sera désormais une institution à part entière : elle aura son propre statut, rie sera plus dépendante de l’État ni des différentes institutions : l’autonomie financière et l’autonomie administrative lui seront reconnues. Les décrets d’application de l’autonomie financière ont été bloqués jusqu’au-delà de 1969 au Ministère des finances. Cette obstruction administrative a déformé à long terme le sens de la réforme : les UER se sont organisées en bastions autonomes et l’Université y a perdu le jeu démocratique de la répartition des budgets qu’elle n’a jamais vraiment reconquis.

Ce monde universitaire que met en place le Cabinet d’Edgar Faure n’est plus en rien comparable à celui qui prévalait avant "les événements" Les étudiants et les enseignants participent au Conseil d’Université qui élit en son sein le Président d’Université ; par rapport à celui des anciennes Facultés, cette nouvelle instance, le Conseil et son Président, acquièrent un pouvoir considérable.

Mais il ne s’agit pas seulement de pouvoir. La nature même de l’enseignement devenu pluridisciplinaire a changé : les anciennes Facultés, remplacées par des UER, Unités d’Enseignement et de Recherche, ont maintenant vocation d’associer autant que possible les disciplines autrefois séparées : Lettres, Sciences, Sciences Sociales, Sciences Humaines que l’Université a désormais pour mission de mixer en poussant les étudiants à établir le programme d’études qui convient à leurs aspirations.

Ce renouvellement implique une ouverture vers le monde extérieur. Participent à l’enseignement des enseignants associés qui viennent du monde socio‑économique, ou des intellectuels, des écrivains, des étrangers ; peuvent participer aux différents Conseils des membres élus, des personnalités extérieures à la vie universitaire, des représentants des activités locales et régionales ; l’Université, désormais libre de prendre contact avec ses homologues à l’étranger (elle n’a plus à en référer à une autorité supérieure) favorisera la mobilité au‑delà des frontières de ses étudiants et de ses enseignants.

Cet ensemble concrétise les propositions du Colloque de Caen. Le Ministère les a formalisées et rendues légales.

Bilan de l’action gouvernementale

Le bilan est à double facette et ce sont deux facettes contradictoires. Le Cabinet a tout fait pour que l’Université expérimentale soit créée avec toutes ses novations, première facette. Il a travaillé dans l’enthousiasme ; il a soutenu le projet à fond ; Vincennes est, d’une manière ou d’une autre, le "bébé" d’Edgar Faure. Mais on assiste, à partir de l’automne, de la part du Gouvernement et du Ministère à un revirement manifeste que l’on peut montrer en constatant certains points, et c’est la deuxième facette.

1) Le budget de Vincennes, à en croire un témoin crédible, n’est pas arrivé dans les délais prévus (hormis celui de la construction).

2) Le nombre de postes d’enseignants (240) a été divisé par 2 (120) même s’il existe à cette restriction des justifications ‑ et n’est revenu à son niveau initial que grâce à la mobilisation de Vincennes.

3) Les enseignants ont été nommés en retard (jusqu’en octobre 1969).

4) Les postes de personnel administratif ont été créés en retard : janvier 1969 au lieu de septembre 1968, comme il était prévu.

5) Le principe de l’année continue (l’université en service toute l’année) a été supprimé ; faute de moyens financiers, d’après certains.

6) Le décret de fondation de Vincennes a été bloqué pendant plusieurs semaines et n’a été signé que le 7 décembre par le Général de Gaulle.

7) La rentrée universitaire a été repoussée à plusieurs reprises, d’octobre au 13 janvier, alors que la faculté était construite dès la mi‑novembre.

8) R Las Vergnas se souvient (toutefois d’une manière imprécise) qu’un émissaire du cabinet de Couve de Murville est venu à Vincennes à partir de décembre 1968 et s’est employé de façon évidente à retarder le projet.

9) Le Gouvernement a tenté de transformer le projet d’université en un projet de centre supérieur de recherches (voir le chapitre sur les fondateurs). C’est probablement une des tentatives de changement de cap les plus importantes.

10) Le Gouvernement n’a pas fait de publicité pour le centre de Vincennes.

Ce revirement apparent peut, me semble‑t‑il, être expliqué par les très fortes pressions "anti‑Vincennes" auxquelles le Cabinet a été soumis dès la fin de l’été : de la part de la presse de droite, de l’Assemblée majoritairement gaulliste, de l’opinion publique, des étudiants gauchistes qui ont décrié cette Fac‑vitrine récupérée par le pouvoir, d’une importante frange du corps professoral de la Sorbonne, des milieux socio‑économiques et financiers, de certains conseillers du Premier Ministre Couve de Murville.

Il paraît clair que le Cabinet a hésité sur le projet. Mais je suis convaincu que s’il a hésité, c’est en raison des pressions extérieures qu’il a subies et non d’un changement d’attitude de son propre fait.

Les fondateurs : une bande d’universitaires

Hélène Cixous et Nanterre
Il est vraisemblable, mais pas du tout certain, que la toute première pierre de Vincennes ait été posée à Nanterre en mai / juin 1968 par Hélène Cixous et son entourage. Elle était à cette époque maître‑assistant d’anglais, enseignait à Nanterre, annexe de la Sorbonne, et dépendait de l’Institut d’Anglais de cette même Sorbonne.
Elle y observe "les événements"% surprise par la tournure qu’ils prennent, par leur importance et surtout par le désir de destruction de l’Université qu’ils manifestent. Elle entend dire que le Ministère a l’intention de construire pour la rentrée 1968 des bâtiments à la périphérie de Paris, vraisemblablement en préfabriqué" ou en construction légère. Elle se dit qu’il faut ne pas laisser passer l’occasion, ne pas attendre que tout ce bouillonnement retombe et profiter de tout cela pour créer une université nouvelle et expérimentale. A‑t‑elle cette idée toute seule ; l’a‑t‑elle eue au contact des étudiants de Nanterre, au contact de ses collègues de l’institut d’Anglais ; ou au contact des différents "intellectuels !" qu’elle fréquente à l’époque ? L’a‑t‑elle eue par sa connaissance du système universitaire anglo‑saxon ? Toujours est‑il qu’elle en discute passionnément avec ses amis de l’Institut d’anglais, et essentiellement Pierre Dommergues, ainsi qu’avec Raymond Las Vergnas.

L’Institut d’anglais et Raymond Las Vergnas

Un des pôles majeurs de la fondation de Vincennes est en effet ce fameux Institut d’Anglais. Ses membres en seront les acteurs essentiels. Il était dirigé jusqu’en mai 1968 par Raymond Las Vergnas. Parmi les enseignants on trouve Hélène Cixous, Pierre Dommergues et Sylvère Monod ; et en liaison avec cet Institut d’anglais, deux anglicistes, Bernard Cassen, à Amiens à l’époque, ami de Pierre Dommergues depuis le début des années 1960, et Jean Gattégno qui enseigne à Tunis cette année là. La plupart de ces enseignants avaient une excellente connaissance du système universitaire américain et même, pour le plus grand nombre, avaient séjourné voire enseigné aux États‑Unis. Le système américain servira de modèle pour Vincennes.

L’Institut d’anglais est, d’autre part, géographiquement situé à quelques mètres de la Sorbonne, rue de l’École de Médecine et ce point se révèle important en ce qui concerne l’originalité du rôle qu’il a joué. La Commission d’anglais, qui faisait partie des fameuses Commissions de la Sorbonne et qui siégeait à l’institut, fut particulièrement productive. Des liens d’amitié s’étaient de la sorte tissés entre tous ses enseignants mais aussi avec les étudiants. On peut penser que cet ensemble de particularités a fait que ce noyau d’anglicistes constitue, à lui seul ou à peu près, les fondateurs de Vincennes.

Raymond Las Vergnas

Directeur de l’Institut d’Anglais jusqu’en mai 1968, il est élu dans des conditions inhabituelles, durant ’les évènements’, doyen de la Sorbonne alors que Jean‑Baptiste Duroselle devient son premier assesseur (c’est‑à‑dire le vice doyen). Sans lui et sa personnalité, Vincennes n’aurait pas pu se faire. Il a la réputation d’être un homme très ouvert d’esprit et très diplomate. Il saura être à l’écoute des idées novatrices de son entourage et les faire passer auprès du Ministre. Il fut à la fois très critiqué et très approuvé. Les enseignants "de droite" l’ont appelé le "Doyen rouge" ; ceux "de gauche" ont trouvé, pour certains qu’il n’allait pas assez loin, pour d’autres ont su très bien utiliser son pouvoir pour faire aboutir leurs demandes.

Les tractations du mois de juillet

Avant même qu’Edgar Faure ne soit nommé à l’éducation Nationale, Hélène Cixous, Pierre Dommergues et leur entourage avaient parlé à Las Vergnas de ce projet d’université expérimentale. C’est vraisemblablement en juillet que la conception pédagogique de Vincennes va s’ébaucher entre Dommergues, Cixous, Las Vergnas, leurs étudiants, leur entourage et (dans quelle mesure ?) les membres du cabinet. Je ne suis pas arrivé à reconstituer ce qui s’est exactement passé (Il serait encore temps d’approfondir les conditions de cette genèse mais les mémoires faiblissent et les opinions se figent). Jusqu’en janvier, Las Vergnas est suroccupé ; il fait trop de choses, en charge à la fois de la Sorbonne et du projet Vincennes ; c’est sa plus grosse difficulté et il n’en manque pas. Le cabinet d’Edgar Faure organise durant ce mois de juillet des réunions de Doyens des Universités de la région parisienne, au Ministère, pour discuter de l’avenir de l’enseignement supérieur et des locaux à construire. Très vite, Las Vergnas, débordé, s’y fait remplacer par P. Dommergues. En même temps, le cabinet (en particulier ceux qui ont joué un rôle important pour la rénovation du système et la création de Vincennes, M Alliot, J. de Chalendar, le Recteur Antoine) prépare activement le discours d’Edgar Faure à l’Assemblée Nationale (24 juillet) sur la rénovation du système universitaire. Aux alentours de la fin juillet, Las Vergnas se fait aussi remplacer, par Duroselle cette fois, aux réunions du cabinet sur la rénovation du centre de l’OTAN situé porte Dauphine.

Le dernier élément majeur du noyau initial entre en scène fin juillet où il reçoit, en Ecosse, un coup de téléphone de Dommergues, son grand ami , lui disant qu’une université hors du commun est en train de se monter et qu’on a besoin de lui tout de suite. Il rentre d’urgence. Cet homme, c’est Bernard Cassen. C’est essentiellement sur les épaules de ces trois personnages que va se mettre en place la future université de Vincennes : Hélène Cixous, Pierre Dommergues, Bernard Cassen. Il faut certainement adjoindre à cette équipe d’enseignants une équipe d’étudiants. Il est difficile de reconstituer aujourd’hui leur apport mais ils semblent avoir été assez actifs dans la mise en place du projet durant ces mois de juillet et août, et même au‑delà. Aux alentours de la fin juin, Dommergues et Cixous ont réuni Michel Royer, Noëlle Batt, François Poirier et Francine Palant, qui étaient leurs étudiants et avec qui ils avaient établi des liens d’amitié ; ils leur ont demandé de découper tous les articles portant sur l’enseignement supérieur parus entre début mai et fin septembre dans plusieurs journaux ; ils leur ont dit que "cela allait être utile" sans qu’ils aient jamais vraiment su à quoi ni même si leur travail aura servi. Il me semble évident qu’il leur avait été demandé pour argumenter la réflexion sur la rénovation du système et la mise en place du futur Vincennes. Ces étudiants et ces enseignants n’étaient probablement pas seuls ; les autres me sont pour l’instant inconnus.

L’équipe d’enseignants sera étoffée en septembre : Sylvère Monod s’occupera du recrutement des enseignants et Jean Gattégno des inscriptions des étudiants et de l’administration ; y jouera encore un rôle essentiel, le constructeur de Vincennes, Paul Chaslin ; il entre dans la course aux alentours du 20 juillet, nous verrons comment.

"J’ai fait un rêve"

"J’ai fait un rêve" : 24 ans après, Raymond Las Vergnas se souvient avoir démarré ainsi son entretien avec Edgar Faure, le lundi 5 août 1968. « j’ai fait un rêve j’ai rêvé d’une université complètement différente, où rien ne serait comme avant, d’une université où l’on pourrait faire des expériences, d’une université où…" C’est en commençant par ces mots en effet que, ce jour-là, Las Vergnas présente à Edgar Faure la première ébauche de Vincennes. Dommergues, Cixous, Cassen et consorts, après divers réflexions et débats, avaient déjà présenté ce projet à Las Vergnas. Il s’agit d’établir à Paris ou sur sa périphérie une université :

‑ ouverte aux travailleurs et notamment aux non bacheliers

‑ cogérée par les étudiants et les enseignants

‑ prodiguant un enseignement interdisciplinaire et beaucoup plus souple ; les certificats, supprimés, seraient remplacés par un système d’"unités de valeur".

‑ recrutant des enseignants compétents dans leur domaine, qu’ils soient ou non pourvus des diplômes actuellement exigés.

Edgar Faure est enchanté par le projet et, quelques jours plus tard, nommera Las Vergnas "Chargé de mission" pour le centre expérimental de Vincennes (nomination officialisée par le B.O. du 9 septembre 1968). Cette date du 5 août, un des seuls repères sûrs parce que vérifié par plusieurs sources, est à la fois symbolique et semble être le vrai coup d’envoi du projet Vincennes.

Au boulot !

Durant cet été 68, l’équipe initiale a beaucoup travaillé.
Raymond Las Vergnas, du fait de son statut, a été le garant de la légitimité de l’opération. C’est à lui que devront parvenir les candidatures des enseignants pour Vincennes ; c’est lui seul qui pourra proposer les nominations des enseignants au Ministre. Mais, "patron" en titre, il a, en réalité et très vite, du fait de ses occupations, délégué le "pouvoir de terrain" à Pierre Dommergues, Hélène Cixous et Bernard Cassen.

Jean Baptiste Duroselle a joué un rôle important dans les choix pédagogiques ; c’est lui qui (avec Hélène Cixous, Pierre Dommergues, et probablement d’autres) eut l’idée de s’inspirer du système américain pour mettre en place le système des Unités de Valeur. Il sera, par la suite, Président du noyau cooptant.

Hélène Cixous avait, depuis longtemps, tissé de nombreux liens avec des "intellectuels". Durant l’été 68, elle contacta ses amis pour l’aider à concevoir la trame pédagogique de Vincennes, et aussi à choisir les enseignants qui formeront le noyau cooptant. Elle ne s’est apparemment pas beaucoup occupée de tout ce qui concerne la construction de Vincennes, ni de l’intendance ou du matériel et a été très peu en contact avec le Ministère, probablement par choix idéologique. Pour beaucoup, à l’époque, le Ministère était perçu comme la source de toute compromission, la Bête de l’apocalypse, le Diable.

Pierre Dommergues et Bernard Cassen se sont essentiellement occupés durant août et septembre de la construction de l’université. C’était l’urgence absolue : il fallait que les bâtiments de cette université soient finis pour la rentrée universitaire. En contact permanent avec Paul Chaslin, le directeur de la société qui construisait Vincennes, ils assuraient la liaison avec le cabinet du Ministre, donc avec l’équipe que constituait Michel Alliot, Jacques de Chalendar, Gérald Antoine et Robert Blot. Durant tout l’été 68, ils sont passés au Ministère, souvent tous les jours et au moins chaque semaine apportant une idée, un projet nouveau, les discutant accueillant toutes les propositions. Ils restent encore très surpris de voir à quel point leurs idées ont été bien accueillies.

Et c’est ensemble, Cixous, Dommergues et Cassen, qu’ils ont commencé à bâtir le programme pédagogique de Vincennes.

L’équipe se renforcera en septembre de Sylvère Monod. Raymond Las Vergnas, à qui il avait succédé comme directeur de l’institut d’anglais depuis que celui‑ci était devenu doyen de la Sorbonne, le contacte pour qu’il apporte sa contribution à la fondation de Vincennes. Il est intéressant de noter que, dans la deuxième quinzaine de septembre, Sylvère Monod a été convoqué par Pierre Dommergues et Bernard Cassen qui le connaissaient ; ils lui ont posé beaucoup de questions sur son parcours, ce qu’il faisait... Il en a gardé le sentiment d’avoir subi une sorte d’examen de passage pour savoir s’il était un "bon Vincennois" c’est‑à‑dire, selon ce qu’il pense avoir été les critères de ses examinateurs, être visiblement de gauche, être d’esprit ouvert, réceptif à des idées nouvelles et surtout n’être ni opposé au mouvement de Mai ni anticommuniste.

Coopté de fait, Sylvère Monod se trouve, sans préparation particulière, responsable du recrutement des enseignants et de la mise en place du fameux noyau cooptant.

Jean Gattégno, enfin, dans l’impossibilité de continuer à travailler en Tunisie où il enseignait avec Michel Foucault, sera le dernier élément de l’équipe de départ. Un poste se libère à la Sorbonne ; Raymond Las Vergnes le lui propose et il l’accepte ‑ il aura évidemment, par la suite, un poste à Vincennes. Entre autres parce qu’elle sait qu’il est enseignant en anglais, l’équipe "l’engage". Et c’est lui qui va s’occuper de tout ce qui concerne l’inscription des étudiants. Il prend en charge une importante responsabilité ; importante car, à cet automne 1968, les inscriptions conditionnent d’une certaine manière l’ouverture de Vincennes (voir ci‑dessous le chapitre consacré au noyau cooptant).

Le centre névralgique de cette intense gestation est installé dans l’appartement d’un des fondateurs, rue Claude Bernard ; tout le monde s’y retrouve pour discuter, pour réfléchir, pour écrire, pour être en contact avec le cabinet, pour mettre en place toute cette machine, qui devenait Vincennes. On a hésité un peu, dans l’été, à installer la future université expérimentale Porte Dauphine, dans l’ancien bâtiment de l’OTAN ou dans le bois de Vincennes ; finalement, on choisit le bois de Vincennes, entre autres raisons (sérieuses ?) parce que cet appartement était beaucoup plus proche du bois de Vincennes que de la porte Dauphine.

L’équipe

Cette équipe restera en place relativement longtemps, quasiment jusqu’en décembre et conservera un pouvoir relativement important même une fois le noyau cooptant en place. Mais les choix à faire et l’évolution du projet rapprochent d’un coté Jean Gattégno, Hélène Cixous, Jean‑Baptiste Duroselle et de l’autre, Bernard Cassen, Pierre Dommergues et d’autres dont Michel Royer et certains enseignants communistes. Les désaccords portent d’abord sur l’importance des innovations pédagogiques ; certains ne souhaitent pas, en particulier, que l’université soit ouverte aux non‑bacheliers.

Ils portent ensuite sur la création d’un Centre supérieur de recherches. Ce projet apparaît à une date difficile à évaluer : l’hypothèse la plus vraisemblable est fin août. Bernard Cassen et Pierre Dommergues sont convoqués au cabinet par Gérald Antoine ; il leur est signifié 1) qu’ils ne sont plus responsables du projet de Vincennes et que 2) le projet change de vocation. Il ne s’agirait plus de créer une université mais, dans les mêmes bâtiments, un centre supérieur de recherches ouvert aux étudiants à partir de la maîtrise. Cette idée avait été proposée par Jean Baptiste Duroselle. Surpris mais bien décidés à ne pas se laisser faire, Dommergues et Cassen se tournent vers le parti communiste, (à travers Guy Bois, responsable de la section du SNEsup de la Sorbonne) qui, après réflexions, décide de mettre tout son poids pour soutenir le projet Vincennes et leur action. Avec ce soutien et grâce à d’autres influences, Dommergues et Cassen retrouvent leur place. Il n’est plus question de Centre supérieur de recherches, mais bien d’une université. Pourquoi cet épisode ? Le Ministère a probablement subi des pressions, de la part des enseignants conservateurs de la Sorbonne sans doute et notamment de leur vice‑doyen, Jean‑Baptiste Duroselle ; s’ajoutant à d’autres (voir le paragraphe sur le cabinet) elles ont déstabilisé temporairement le Cabinet.

Les désaccords ont aussi porté, selon Jean Gattégno, sur la façon dont devait être gérée cette université. Certains qui ont qualifié Pierre Dommergues et Bernard Cassen de "gestionnaires", leur reprochaient de privilégier l’université pour elle‑même ; il fallait qu’elle se fasse, qu’elle ouvre, qu’elle marche. Pour ceux que Jean Gattégno a qualifié d’anti‑gestionnaires, il était au moins aussi important que les décisions soient prises de façon relativement démocratique et qu’une gestion moins organisée laisse plus de place à de l’informel.

Jean‑Baptiste Duroselle, qui considérait que cette université avait pris une tournure un peu trop politisée, un peu trop gauchiste, a préféré abandonner le projet, alors qu’il était juste pressenti pour être le premier doyen de Vincennes ; au retour des vacances de Noël, après un jour d’enseignement, il a démissionné de son poste à Vincennes et a obtenu un poste d’enseignant à la Sorbonne.

Jean Gattégno, lui, a démissionné de son poste de responsable des inscriptions lorsqu’il a appris que, sans qu’il ait été consulté, les inscriptions seraient closes aux alentours du 20 janvier et qu’aucune autre réinscription ne serait admise ; mais il est resté partie prenante du projet et enseignant à Vincennes.

Finalement, juste avant la rentrée du 13 janvier, il a été décidé de mettre en place ce que l’on a appelé la délégation des dix, soit 10 représentants des départements. Cette instance, plus démocratique, devait gérer la rentrée universitaire et l’université au mieux en attendant que les étudiants et les enseignants au complet élisent le Conseil et le Président d’université ; elle devait aussi préparer ces élections.

D’après mes sources, elle était constituée de Pierre Dommergues, Bernard Cassen, Hervouet, enseignant de chinois, Jean Cabot, enseignant en géographie, Michel Beaud, enseignant d’économie, Jacques Droz, enseignant d’histoire, Claude Frioux, enseignant de russe, Galissot, Gilbert Badia et Ghisselbrecht, ces deux derniers conférant, pour certains, du sérieux à l’image de Vincennes.

La commission d’orientation et le noyau cooptant

Je ne sais pas très bien d’où et de qui est venue l’idée. Le problème posé était de concevoir les enseignements et de mettre en place le corps enseignant qui adhère à cet enseignement, et les deux ex nihilo. Cela faisait longtemps que l’on n’avait pas créé une université de toutes pièces, et surtout créé un corps enseignant en l’espace de quelques mois. Il fallait donc inventer un mode de désignation des enseignants qui soit nouveau. Jusque‑là dans les autres universités, les enseignants en place dans l’université, "les anciens", cooptaient leurs futurs collègues. A Vincennes, il n’y avait pas d’anciens. Certains, qui firent pression, voulaient que les enseignants de la Sorbonne (qu’ils pouvaient considérer comme la "matrice") cooptent les futurs enseignants de Vincennes. L’équipe de départ refusa. Il fut donc décidé de mettre en place un noyau cooptant, c’est‑à‑dire un premier groupe d’enseignants chargés de recruter l’ensemble des enseignants de Vincennes.

Qui a choisi les membres du noyau cooptant ? Il est difficile de le déterminer avec précision mais, grosso modo, ce fut l’équipe initiale. Hélène Cixous y a occupé une place prépondérante. Elle a pris notamment conseil auprès de Jacques Lacan ; elle a refusé sa candidature à Vincennes de peur que le statut de "non‑institutionnel" que, selon elle, il revendiquait et son poids intellectuel ne "démolissent" l’édifice. Elle a , par contre, sollicité et rendu possible la nomination de plusieurs lacaniens. Dans un premier temps, Jean‑Luc Godard avait été pressenti pour être le responsable du département de cinéma ; c’est Marie‑Claire Ropars qui fut retenue.

Pour éviter l’arbitraire, il fut décidé qu’une Commission strictement consultative serait mise en place. Elle serait garante du bon fonctionnement du recrutement des enseignants, garante de la mise en place du noyau cooptant et de sa crédibilité. Sa tâche principale était d’examiner la liste du noyau cooptant. On l’appela Commission d’Orientation. Pour garantir un minimum d’objectivité, les membres de la Commission d’Orientation n’avaient pas le droit d’être candidats à Vincennes.

Cette commission n’a pas fonctionné longtemps après sa mise en place en septembre. Ses membres furent choisis, d’après Hélène Cixous, en fonction de deux critères : que le Ministère leur fasse confiance et qu’ils soient prêts à accepter la nomination d’enseignants "de gauche". Composée de 25 membres elle était présidée par Raymond Las Vergnas.

Tous les cooptants furent reçus individuellement par Hélène Cixous (et probablement par Pierre Dommergues et Bemard Cassen). Par contre, une fois le noyau cooptant en place, en règle générale, chaque département a désigné ses enseignants validés ensuite par le noyau cooptant. Le noyau cooptant aurait commencé à fonctionner vraisemblablement dès septembre. Il est clair que toute cette période a été vécue par ces premiers acteurs dans une très grande improvisation.

Sur quels critères ont donc été choisis les enseignants de ce noyau cooptant ?
Très arbitrairement et très schématiquement sur des critères :

‑d’affinité : amis ou connaissances en communion d’idées

‑politiques : être gauchiste, ou communiste, ou ayant participé aux ’évènements’ ou partisan de Mai 68.

‑de compétence

‑de cohérence : préférence pour les équipes constituées.

‑d’appartenance à un courant de pensée : structuralisme, lacanisme, existentialisme...

‑d’ouverture : aux enseignants étrangers, aux non enseignants ou aux enseignants associés.

Le noyau cooptant a comporté 39 membres, selon la liste la plus vraisemblable.

La course aux inscrits ‑ Les enseignants

A Vincennes, il avait été prévu 240 postes d’enseignants et 7.500 places d’étudiants. Or, fin octobre, début novembre, 3.500 étudiants seulement étaient inscrits. C’est pourquoi le Ministère décida, en invoquant cette raison et probablement en fonction des pressions extérieures dont j’ai déjà fait état, de diviser par deux le nombre d’enseignants (120). L’équipe enseignante se mobilisa très fortement. Tonka, étudiant, fit publier avec son aval, dans le journal Action un contre‑article sur Vincennes qui présentait l’université nouvelle comme une vitrine récupérée par le pouvoir, dans l’espoir de provoquer l’effet inverse : des inscriptions. Puis, pendant les vacances de Noël, elle organisa un battage publicitaire improvisé sur France‑Inter et d’autres médias, tout en maintenant le centre Censier exceptionnellement ouvert pour accueillir les inscriptions. Elle obtint gain de cause à la mi‑janvier où le chiffre recherché, 7.500 étudiants, fut atteint. ; le Ministère rétablit les 240 postes d’enseignants.

Les enseignants des deux départements d’anglais et d’américain (anglo -américain et études anglaises) se sont taillés, à l’évidence, la part du lion dans la répartition des postes ; ils ont obtenu presque le cinquième de l’ensemble, ce qui s’explique très vraisemblablement par la composition de l’équipe initiale formée quasi exclusivement d’anglicistes.

LES MOYENS

L’intendance : finances et commerce
La construction de Vincennes a coûté à peu près trente millions de francs 1968. C’est ce que révèle Le Monde du 10‑11 novembre 1968. Je n’ai pu avoir de confirmation auprès d’aucune des personnes concernées. En tous cas, très vraisemblablement, Vincennes a coûté très peu cher et cela essentiellement grâce au travail des fondateurs qui ont tout fait pour baisser les prix dans toutes les négociations et sur tous les marchés.

L’administration

Le personnel
Jean Gattégno, sur le témoignage duquel je me base pour l’essentiel, fut désigné comme le responsable de l’inscription des étudiants et des problèmes administratifs.
De façon générale, on peut dire que les moyens en personnel ont été insuffisants et que le recrutement du personnel administratif a été assez improvisé dans un premier temps ; on a souvent recruté des non professionnels. Dans un deuxième temps, à partir de la rentrée de janvier 1969, quatre professionnels de l’administration ont été détachés à Vincennes ; deux venaient de la Sorbonne, les deux autres du Ministère.

Les inscriptions

Les inscriptions ont démarré le 2 octobre 1968 à Censier. Elles auront lieu à Vincennes à partir du 10 décembre jour ou l’Université ouvre ses portes aux étudiants. Elles ont été ouvertes aux non bacheliers de plus de 21 ans ; la condition " salarié", qui apparaîtra au printemps 1969, reste pour la période antérieure parfaitement mystérieuse ; je n’ai retrouvé aucune trace officielle ou officieuse qui la réclame pour l’inscription. Il en va de même pour l’examen probatoire (ESEU : examen spécial d’entrée à l’Université) que réclamaient les autres universités et dont la Commission était présidée par Las Vergnas : il ne sera jamais exigé dans la suite de l’histoire de Vincennes.

La construction de Vincennes

Le témoignage de Paul Chaslin est irremplaçable : j’ai transcrit presqu’à l’état brut, en le réorganisant pour en faciliter la compréhension, ce qu’il m’a confié au cours de longs entretiens dont cette rédaction traduit bien mal la chaleureuse confiance.

L’entrefilet du "Monde" et les premiers contacts
C’est, d’après quelques recoupements, le 17 juillet 1968 que Paul Chaslin lit, dans le journal « Le Monde", un petit entrefilet en italique qui dit en substance : "Le Ministère de l’Éducation Nationale s’attend à (12.000) étudiants supplémentaires pour la rentrée. Le Ministère se demande où il va les accueillir. Il cherche des solutions de baraquements provisoires."

Le lendemain, donc le 18 juillet, il téléphone d’un café en face, à Gérald Antoine au Ministère et obtient de le rencontrer immédiatement. Il le connaissait pour avoir construit, deux ans auparavant ; un lycée à Gien qui fait partie de l’académie d’Orléans dont Gérald Antoine était alors recteur. Ils avaient sympathisé et avaient préparé tous les deux le colloque d’Amiens de 1967‑68.

Au cours du rendez vous, le recteur Antoine va consulter dans le bureau voisin le principal conseiller d’Edgar Faure, le directeur du Crédit Foncier, Robert Blot. Ils reviennent ensemble. Paul Chaslin s’engage à construire sans problème 5000 M2.
Le lendemain, il est convoqué à nouveau au Ministère, à la DESSU[2] , par son directeur M. Reynaud. Paul Chaslin le connaissait déjà très bien ; depuis une dizaine d’années, il avait construit pour lui différents lycées et collèges. M. Reynaud commence par piquer une colère ; il est absolument impossible de construire une telle surface pour la rentrée et dans des prix raisonnables. Paul Chaslin continue à affirmer que c’est possible. Argumentant , Reynaud lui demande s’il a pensé aux amphithéâtres. Paul Chaslin réfléchit que pour les construire, il lui faut des structures d’atelier très larges ; or, il ne sait pas si certaines sont disponibles à ce moment‑là. Il demande donc s’il peut téléphoner pour se renseigner. Reynaud l’invite pour cela à passer dans le bureau d’à‑côté, celui de sa secrétaire. C’est là que Paul Chaslin découvre, sur la table, des grandes feuilles sur lesquelles sont notés les noms de tous les constructeurs français, sauf le sien, avec les propositions de prix au M2 et les délais possibles. Personne ne remettait rien avant janvier. Tous les prix sont le double de ceux pratiqués habituellement. On a donc contacté tout le monde sauf lui ; et personne n’est capable de rendre dans les délais et à prix raisonnable. On lui annonce qu’une large structure d’atelier est disponible. Il en informe Reynaud et lui confirme qu’il peut construire ces 5000 m2 pour la rentrée universitaire ; ceci parce que son entreprise GEEP pratique une technique qui lui est particulière, la construction industrialisée.

La construction industrialisée

La construction industrialisée se différencie de la construction traditionnelle d’abord par les matériaux utilisés : non pas le béton, mais le métal, surtout l’acier, et le verre ; ensuite par le fait que la plupart des éléments sont construits en usine, essentiellement la charpente métallique qu’il ne reste qu’à boulonner sur le chantier. Il est alors possible de réaliser précocement la couverture ce qui permet de continuer à bâtir à l’abri. La construction en béton part du sol et il faut, à chaque étage attendre que le béton soit sec pour continuer. GEEP, ce qui le rend particulièrement performant, améliore ce mode de construction en intégrant trois activités en général séparées : les études préparatoires, la fabrication de certains éléments en usine et la mise en oeuvre sur le chantier.

Messages

  • ne pas oublier que Edgar Faure avait choisi ce lieu décentré pour faire "un abcès de fixation gauchiste" loin de la Sorbonne.
    Mais qu’et-ce que c’était sympa et vivant ....
    J’y étais....
    Au fait !!!
    La ronde des Obstinés c’est Vincennes/St denis qui l’a mis en place, pl de l’hotel de ville ....
    Comme apr hasard....
    Allez y tourner !