Accueil > La nouvelle carte d’identité met la puce à l’oreille de la Cnil

La nouvelle carte d’identité met la puce à l’oreille de la Cnil

Publie le vendredi 22 avril 2005 par Open-Publishing

Selon la Commission nationale informatique et libertés, le projet de documents infalsifiables à données biométriques présenterait des dangers de fichage.

de Patricia TOURANCHEAU

Le programme d’identité nationale électronique sécurisée (Ines), qui envisage de ficher au niveau national des données biométriques personnelles (empreintes digitales, forme du visage, voire iris de l’oeil) des citoyens, suscite d’ores et déjà « d’extrêmes réserves » de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Le Premier ministre a approuvé, le 11 avril, ce projet de loi annoncé en fanfare dans France-Soir par Dominique de Villepin. Le ministre de l’Intérieur n’a pas encore saisi la Cnil pour obtenir son avis. Il envisage néanmoins de soumettre le projet au Conseil des ministres dès le mois de juin et au parlement à l’automne 2005. Et compte lancer le passeport biométrique en septembre 2006, la carte d’identité début 2007, puis les titres de séjour des étrangers et les permis de conduire en 2008.

Authentification. Depuis les attaques terroristes du 11 septembre 2001 à New York, les Etats-Unis et l’organisation de l’aviation civile internationale exigent des visiteurs étrangers des passeports avec un élément biométrique, une photographie numérisée. A la frontière, le voyageur soumet son visage à un lecteur électronique de reconnaissance faciale pour une authentification. Zélée, la France envisage, elle, d’aller bien plus loin. Un règlement européen du 13 décembre 2004 impose certes « d’insérer dans une puce la photographie du titulaire et ses empreintes digitales » dans les passeports et les visas. Mais l’intégration de données biométriques « ne s’applique pas aux cartes d’identité délivrées par les Etats membres à leurs ressortissants », stipule le règlement. Or, le ministère de l’Intérieur français concocte une carte nationale d’identité électronique (Cnie) qui stocke dans sa puce un cliché et deux traces de doigt numérisées. De plus, ce document serait « payant » et « obligatoire » pour tout citoyen âgé de plus de 12 ans. François Giquel, commissaire à la Cnil, se montre déjà très circonspect sur « l’utilisation de la biométrie comme preuve d’identité » : « Ce n’est plus un carton ou un code secret, mais un élément intime de votre corps qui devient un identifiant. Si on exige de la personne comme preuve définitive de montrer un oeil, un doigt ou un visage, vous êtes marqué à vie, c’est une révolution sociale. »

D’autant que le ministère de l’Intérieur compte aussi centraliser et stocker ces données dans trois grands fichiers nationaux : l’un pour les empreintes digitales, l’autre pour les photographies, le dernier pour les titulaires de documents d’identité. Sans compter un fichier d’état civil exhaustif qui comporterait aussi les domiciles. Auditionné par la Cnil sur ce projet Ines, le magistrat honoraire Louis Joinet, lui-même ancien de la Cnil ayant enquêté sur le fichier des juifs, a souligné « le danger de tels fichiers informatisés de populations avec les adresses qui, s’ils avaient existé entre 1940 et 1945, n’auraient pas permis à des juifs d’échapper aux rafles ». De plus, Me Alain Weber pour la Ligue des droits de l’homme (LDH) ne considère pas « comme une garantie la prétendue séparation de ces différents fichiers aux mains de l’Etat. Il y a des risques évidents d’interconnexion ». Alex Türk, président de la Cnil, s’est déclaré hier « préoccupé » par la « constitution de bases centrales, par la traçabilité possible par les empreintes de nos concitoyens et par les autres usages éventuels » de ces fichiers à des fins policières. Il a dénoncé « les dérives » de l’utilisation en 2004 de fichiers de police, tel le Stic (Système de traitement des infractions constatées) qui, à cause « d’informations erronées ou trop vieilles », ont bloqué l’embauche de candidats à des postes de sécurité. Ainsi, la Cnil a vérifié pour 254 requérants les renseignements inscrits dans le Stic et a constaté des « erreurs » pour 67 d’entre eux, soit « dans 26 % des cas ».

« Fiabiliser la source ». La Cnil émet des doutes quant à la « véritable finalité » de l’Ines, alors que « la carte d’identité actuelle, dite Pasqua, est déjà infalsifiable », souligne François Giquel. Officiellement, le ministère de l’Intérieur invoque « la lutte contre la fraude à l’identité et à l’immigration clandestine ». Mais, selon le commissaire de la Cnil, « la fraude se situe surtout en amont par des vols de titres vierges et la délivrance indue de certificats d’état civil » à ceux qui se font passer pour d’autres. Or, dès 1986, la Cnil a préconisé que « les mairies transmettent directement aux préfectures les actes de naissance », et non plus aux demandeurs eux-mêmes, « cela n’a jamais été appliqué. Commençons donc par fiabiliser la source ». Ce vice-président de la Cnil se méfie : « Le projet Ines consiste-t-il à authentifier les porteurs des documents ou bien à identifier des inconnus dans une finalité de police judiciaire ? »

La Ligue des droits de l’homme s’oppose à la « constitution de bases de données intimes et nominatives des Français comme dans les pays fascistes, explique Me Alain Weber. C’est un projet liberticide et scélérat mis en place par des apprentis sorciers qui veulent constituer un mégafichier de la population et considèrent tous les citoyens comme des suspects en puissance. »

http://www.libe.fr/page.php?Article=291177