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La théorie quantitative de la démence

Publie le mercredi 14 juin 2006 par Open-Publishing
2 commentaires

de Matthieu Brabant

Q (Q >< Q [Q]) = Q (Q >< [Q])

Bien sûr, il faudrait développer, il faudrait définir la valeur de Q par référence à une valeur extérieure, mais la formule en elle-même est si aveuglante, si élégamment simple que, pour le moment, elle me semble exprimer idéalement ce que je vois autour de moi.

Les déconstructivistes radicaux du champ psychique ; les étudiants américains en survêtement automnal bouffant ; les présidents d’une douzaine d’universités qui s’agitent avec passion sur un sujet auquel ils ne connaissent ni ne comprennent rien. Et tous autant qu’ils sont, je dis bien tous, confinés dans des groupes sociétaux définissables.

La Théorie quantitative de la démence vient d’atteindre sa première grande ligne de partage épistémologique. Comme la physique théorique, elle doit maintenant tenir compte du phénomène même qu’elle a contribué à identifier.
Elle doit reconstruire la preuve de son propre fondement sur la base de son propre accomplissement. De toute évidence, en concentrant autant de personnages aberrants ou frisant l’aberration en un lieu unique ou une série de lieux identiques, l’existence même de la Théorie quantitative a joué un rôle sur le quotient psychosanitaire en soi.

Il s’agira maintenant de faire dériver une équation permettant de vérifier si ce que je soupçonne est vrai, à savoir que, plus on concentre la démence dans les institutions éducatives, plus le niveau de maladie mentale augmente dans le reste de la société....
(Will Self-La théorie quantitative de la démence, Editions de l’Olivier 2000)
Introduction

Les forces vives (réactives ? réactionnaires ?) de l’Ecole n’en finissent plus de débattre. Les médias comptent les points, désignent un vainqueur (souvent faute de combattant, un camp est plus « actif » que l’autre dans les débats), et les forces vives de la droite en profitent pour passer dans un broyeur ce qu’il reste de l’idéal de l’Ecole de la République. Ce texte n’est pas un texte scientifique, il contient de nombreux a priori idéologiques (autant le dire clairement). Il serait d’ailleurs totalement déplacé de ma part de prétendre à l’objectivité (d’ailleurs il FAUT avoir un camp, tout le monde a un camp, les intervenants sont systématiquement identifiés à un camp, même contre leurs avis, pour moi ce serait le camp des « pédagogues »-khmers rouges) et à l’exhaustivité (ceci n’est pas un texte scientifique, avec des références savantes ou universitaires un peu partout, il s’agit d’un petit texte d’un professeur de mathématiques et de sciences physiques).

Nous sommes en Janvier 2006. Je suis plutôt du genre optimiste, néanmoins il me faut avouer certaines craintes : la mécanique libérale conduit l’Ecole vers la privatisation et la marchandisation.

A l’intérieur de l’Ecole, les petites fourmis et les grosses légumes, sont, par « tradition », les garants, de « gauche », de la défense de la République.
On parle d’égalité, de fraternité, de justice, de solidarité et de liberté. Je parle des combattants de la République et du peuple, l’avant-garde.

Bref, le libéralisme et les idées de « droite » ont toujours été, c’est peu dire, combattues par les membres du corps enseignant.

Aujourd’hui, les choses ont changé, c’est en tout cas l’impression que donnent les débats. La République des enseignants, celle pour qui 1981 a été l’année de paroxysme, semble avoir vécue.

Un premier indice : plus de 50 % des enseignants ont dit oui lors du référendum sur la constitution européenne. Cette victoire historique de la gauche anti-libérale, cette défaite cinglante pour la sociale-démocratie, est le signe d’une profonde rupture avec le peuple www.humanite.presse.fr

Deuxième indice : le manque d’intérêt pour les combats, en particulier pour le combat syndical radical, les nouveaux enseignants rejètent même les syndicats. Il y a une utilisation purement corporatiste des syndicats (pour la carrière).

Troisième indice : la popularité grandissante de Nicolas Sarkozy dans les salles de profs (Si le libéralisme est entré à l’école, aucun groupe d’importance n’ose encore s’y référer. Mieux : dans le combat entre « pédagogues » et « programmateurs », chaque camp accuse l’autre de libéralisme !).

Quatrième indice : l’absence de réaction face au retour du travail des enfants et à l’abaissement de l’âge légal de scolarité obligatoire.

Cinquième indice : la multiplication des débats stériles (et parfois violents), qui n’auraient été en temps normal que des tempêtes dans un verre d’eau mais qui sont devenues des ouragans dans un océan.

Et moi ?

Par honnêteté, il va bien falloir que je me place dans ce grand échiquier. Le lecteur y gagnera en compréhension, j’espère que ceux qui me considérèrent d’emblée comme un « adversaire » auront au moins la patience de me lire jusqu’au bout : si j’admets certaines lacunes (couplées à des dogmatismes sans doute), je reste sincère et attaché à l’Ecole égalitaire (et je sais que l’utilisation de cette expression hérisse les poils de certains).

Matthieu Brabant, né en 1977 du côté du Havre, arrivé au tout début des années 80 à La Courneuve.

Bac S au lycée Jacques Brel à La Courneuve en 1996, licence de chimie-physique à l’université Paris 7 en 2001 (non sans difficultés : très difficile le « travail » pendant les études -sur les parcours scolaires chaotiques d’enfants des milieux populaires, lire les ouvrages de Stéphane Beaud-).
Je suis reçu au CAPLP2 mathématiques-sciences physiques en 2002. Stagiaire dans l’académie de Versailles au LP Valmy à Colombes.

En mai 2003, je fonde une petite liste de discussion, mathssciences, pour les professeurs de mathématiques-sciences physiques. Cette liste compte maintenant plus de 170 membres et est l’une des listes du projet Maths’ Discut’ www.mathsdiscut.net Depuis septembre 2003, j’enseigne au LP Denis Papin à La Courneuve, retour aux sources donc. Mes parents habitent toujours à 5 minutes de mon lycée, moi j’habite à Saint-Denis, la ville voisine.
De « nature » militante, j’ai été un temps adhérent à Attac, j’adhère en 2004 à la CGT. Je suis maintenant membre du bureau départemental de la CGT-Educ’Action 93 (le site de la CGT-Educ’Action 93 : cgteduc93.free.fr), dont j’étais l’un des délégués au congrès national de l’UNSEN-CGT (Union Nationale des Syndicats de l’Education Nationale CGT, le site : www.unsen.cgt.fr ). J’ai été élu en décembre 2005 élu suppléant paritaire académique lors des élections professionnelles (le site de l’Union Académique des Syndicats de l’Education Nationale CGT Créteil : cgteduc.creteil.free.fr ).

J’ai écrit un jour un article concernant les Contrôles en Cours de Formation sur Altermonde :
altermonde-levillage.nuxit.net, il s’agissait d’alerter le plus de monde possible sur ce problème.

Le choix d’Altermonde n’était bien entendu pas le fruit du hasard, j’ai une inclinaison forte pour l’altermondialisme qui porte en son sein, à mon avis, une vraie alternative politique au libéralisme.

J’écris depuis régulièrement sur Altermonde (mes articles :
altermonde-levillage.nuxit.net ).

Je suis très actif au lycée : membre du Conseil d’Administration et de diverses commissions, volontaire pour des projets pédagogiques qui me semblent intéressants.
Je suis « branché » nouvelles technologiques, tout en ayant conscience des dangers des TICE (lire à ce propos les ouvrages de Nico Hirtt) : je m’occupe énormément des TICE au lycée (actuellement j’essaye avec les collègues de mettre en place une salle ExAO -Expériences Assistées par Ordinateur- la première dans un lycée professionnel du 93) et je propose gratuitement mes documents disciplinaires sur internet (par exemple sur le site Les Trucs du Pr Cosinus :
www.profcosinus.net ).

Depuis fin 2005, je suis co-responsable du projet Maths’ Discut’ et membre de l’association Sésamath
www.sesamath.net

Voilà pour moi.

Les programmateurs

Je suis intervenu dans le « Débat » sur l’Ecole suite à la démission forcée de Laurent Lafforgue du Haut Conseil à l’Education avec cet article :
altermonde-levillage.nuxit.net

Très rapidement, l’article a circulé et des réponses sont arrivées, certaines personnes prenant même l’article comme référence des « anti-Lafforgue »
michel.delord.free.fr

Les débats se sont ensuite poursuivis :
altermonde-levillage.nuxit.net

J’admets très honnêtement qu’avant tout cela je n’avais pas mesuré la force et l’ampleur des débats qui agitaient l’Ecole, je n’avais en tout cas pas pris conscience de la pression qui allait me tomber dessus ! Petit à petit, j’ai quand même compris ce qu’il se passait : il se trouve que la quasi-totalité des intervenants étaient des contradicteurs et appartenaient tous au même groupe (le GRIP : Groupe de Réflexion Interdisciplinaire sur les Programmes - Michel Delord, Jean-Pierre Demailly, Marc Le Bris, Blaise Buscail, Rudolph Bkouche, Jean-Pierre Ferrier, Isabelle Voltaire...-
grip.ujf-grenoble.fr) lui-même relié à un groupe très médiatique (Sauver les lettres : Marc Le Bris, Robert Wainer, Michel Buttet, Rachel Boutonnet... -
www.sauv.net ).

Un point commun m’a tout de suite sauté au yeux : Marc Le Bris, dont l’ouvrage, « Et vos enfants ne sauront ni lire....ni compter », a été un succès commercial. L’instituteur a par ailleurs eu les faveurs des hauts lieux de la République. Selon Marc Le Bris, des « experts » incompétents ont, pour des raisons idéologiques et aussi pour garder leur place, fait la promotion d’une méthode d’apprentissage de la lecture (la méthode globale) dont on verrait aujourd’hui les résultats catastrophiques. Selon ces deux groupes (en plus des sites précités, le lecteur ira visiter avec intérêt les sites des personnages suivants
Michel Delord, michel.delord.free.fr
Laurent Lafforgue, www.ihes.fr ,
Jean-Pierre Demailly, www-fourier.ujf-grenoble.fr ,
Blaise Buscail, membres.lycos.fr,
Jean-Paul Brighelli, bonnetdane.midiblogs.com),
une bande, les « pédagogues », dont Philippe Meirieu est le chef de file, a mis à sac l’Education Nationale. Cette bande, ces khmers rouges, cette Nomenklatura, s’est coupée peu à peu des réalités (car elles ne correspondaient pas à la « bonne » idéologie) et pire encore a inventé une fausse science responsable de l’état actuel de l’Ecole. Outre le problème de l’apprentissage de la lecture, se pose d’une manière générale le contenu des programmes, en particulier en mathématiques et en français.

Les sciences de l’éducation, le pédagogisme incarné, consistent alors dans cette vision à hachurer l’acte d’enseigner sans tenir compte du contenu du savoir. Ce qui « autorise la rédaction de programmes dont l’enflure verbale proliférante a de plus en plus de mal à masquer un contenu réel de plus en plus misérable ». Ces groupes se concentrent donc sur les savoirs, sur les programmes. Je les nomme donc les « programmateurs ». Selon eux, le « niveau baisse » (selon une étude de Sauver les lettres, la situation s’est même aggravée en 4 ans : 56 % des élèves ayant passé une dictée test en 2004 obtiennent 0 contre 28 % en 2000), les élèves ne savent plus lire et écrire, ils ne savent plus compter. C’est la fabrique du crétin de Brighelli. La faute aux pédagogues qui détruisent le savoir et se font les complices des libéraux. Les premiers combats médiatiques de Sauver les lettres ont été pour s’opposer à Claude Allègre et ses coupes sombres dans les programmes de français.

Concernant les mathématiques, discipline que je connais mieux que le français, il est aussi reproché aux programmes un manque de « logique » dans les progressions.
Il est à noter que la personne de Philippe Meirieu cristallise la haine (le mot n’est pas trop fort). Il apparaît en effet comme « l’idéologue actif » de la loi d’orientation de 1989 (par le ministre Jospin), celle qui a placée l’élève au cœur du système. Idée interprétée ici comme le triomphe d’une certaine marchandisation de l’école : ce n’est plus le savoir qui est au cœur du système, c’est l’enfant et ses parents (d’où les dérives concernant la carte scolaire par exemple). Avec toutes les théories phycho-machins qui vont avec. Avec aussi, lorsque la sociologie se greffe à cela, un laxisme face aux élèves. Laxisme qui se retrouve d’ailleurs dans la société entière.

On ne doit donc pas s’étonner, selon les « programmateurs », des parents qui remettent en cause les méthodes des enseignants et surtout du manque de respect pour les professeurs (discours sans doute extrémiste mais qui se revendique explicitement des « programmateurs », à lire sur les forums du Monde, forums.lemonde.fr, et sur le forum fr.education.divers, groups.google.com).

Une grande partie des médias nationaux, et parfois même les plus surprenants (tel Politis), « soutiennent » ces groupes. Les ouvrages publiés sont des succès de librairie. Ce succès va bien au-delà de l’attirance pour les discours catastrophiques (que portent Sauver les lettres et le GRIP, qui parlent d’une « spirale infernale »), il s’agit bien d’une remise en cause profonde de ce qui apparaît comme un paradigme dépassé pour l’Ecole : le pédagogisme.
Les « programmateurs » liront ces lignes en se disant que je n’ai rien compris, que je caricature. Soit, je caricature, mais il me semble qu’il s’agit d’une caricature « représentative » des principales idées de Sauver les lettres et du GRIP.

Les débats ont surtout tournés ces derniers temps autour de la lecture. Mes compétences ne me permettent pas d’avoir un avis pertinent là-dessus. Je laisserai le lecteur visiter les sites précités pour avoir une idée des positions des « programmateurs », et je vous conseille la lecture de cette page pour prendre conscience du fait que certains débats ne volent pas très hauts : michel.delord.free.fr.
N’est-ce pas finalement dire que les enseignants ne connaissent pas leur métier ? Qu’ils ne savent pas quelle est la « bonne méthode » ? Non, nous dit Marc Le Bris (et les autres) : les enseignants sont sous la coupe de la Nomenklatura qui n’hésite pas à sanctionner les récalcitrants. Et la liberté pédagogique ?

Sauver les lettres se targue d’une grande victoire : l’annonce par le ministre de l’Education Nationale de la fin de l’utilisation des méthodes globales. Le ministre faisant ouvertement l’éloge de la méthode syllabique (et la liberté pédagogique, monsieur le ministre ?) et de Rachel Boutonnet.
A noter enfin le soutien du SNALC (site du SNALC : www.snalc.fr ) et de FO-Education (site de SN-FO-LC : fnecfpfo.net ). Le premier cité étant un syndicat très marqué à droite, c’est en tout cas l’image qu’il a, je dirai plutôt que c’est un syndicat très « vieux jeu », qui préfère les « bonnes vieilles méthodes ». Quand au second, c’est un syndicat très catégoriel et qui n’arrive pas à percer chez les enseignants.
Les pédagogues

Le problème de la lecture va me permettre d’introduire l’autre groupe : les « pédagogues ».
Des réponses existent, je conseille en particulier les textes de Roland Goigoux (sur son site : www.auvergne.iufm.fr et dans le Café Pédagogique : www.cafepedagogique.net et www.cafepedagogique.net ).
Le Café Pédagogique est d’ailleurs l’un des lieux principaux de la réponse des « pédagogues » :

www.cafepedagogique.net

www.cafepedagogique.net/dossiers/baba/index.php

A noter aussi ce texte sur le site de Philippe Meirieu :
www.meirieu.com ; ainsi que cet article d’André Ouzoulias dans Libération : www.liberation.fr

Et puis c’est à peu près tout. Ce que l’on arrive à comprendre, c’est que les choses ne sont pas si simples, que les recherches permettent de proposer de nouvelles méthodes, que la méthode globale a été abandonnée depuis longtemps....
On trouve par ci par là des contributions « pédagogues », mais force est de constater que se proclamer « pédagogue » ou être associé aux « pédagogues » provoque à coup sûr des réactions de rejet. Il semble aussi que la situation professionnelle d’une grande partie des « pédagogues » n’autorisait pas leur expression : ils sont, c’est à remarquer, la plupart membres de diverses institutions de l’Education Nationale ou autres institutions de recherche associées.

Néanmoins le « devoir de réserve » est bien pratique et ne saurait être un argument pour ne rien dire et laisser faire.
Une autre raison qui peut expliquer le mutisme des « pédagogues » : plusieurs personnages incompétents ont profité de l’émergence des sciences de l’éducation et d’un certain « verbiage » pour faire carrière, et en particulier dans les IUFM (c’est d’ailleurs aussi un problème pour l’autre camp : certains charlatans profitent du silence des « pédagogues » pour raconter n’importe quoi).
Ce qui est par ailleurs particulièrement frappant, à mon avis, dans le texte (voir le lien ci-dessous) publié en Janvier et qui se veut une mise au point concernant les méthodes de lecture, c’est la caricature de défense corporatiste. Sont en effet signataires presque tous ceux qui se retrouvent accusés par les « programmateurs », la FSU, le SGEN-CFDT, Philippe Meirieu.... :
www.snuipp.fr.

Ce texte permet pourtant d’éclaircir certains points : ainsi les méthodes dont le ministre a demandé l’arrêt ne sont plus en vigueur depuis 2002 ! En même temps, il faut faire attention à certains arguments : celui selon lequel les élèves d’aujourd’hui sont, statistiquement, moins illettrés que leurs parents est à manier avec précaution (selon l’INSEE on compte 4 % d’illettrés chez les 18-24 ans, 14 % chez les 40-54 ans et 19 % chez les 55-65 ans, elles ont du plomb dans l’aile les vielles méthodes !). A noter aussi la présence de l’ICEM parmi les signataires de ce texte : l’école de Freinet, qui lui-même a quitté l’Education Nationale car ses méthodes étaient rejetées par l’institution, se retrouve sur une ligne qui peut paraître être celle de la défense de l’institution ! C’est dire si la situation est plus compliquée qu’elle n’y parait.

Les deux syndicats cités ci-dessus cogèrent clairement le ministère de l’Education Nationale (aujourd’hui principalement la FSU), parfois au détriment de l’Ecole. Quant à Philippe Meirieu, « l’inventeur des IUFM », il apparaît comme le principal représentant des « pédagogues » car le plus médiatique et le plus influent. Faut-il pour autant tout jeter à la poubelle ? Ce serait trop simple ! On ne peut par exemple pas affirmer que la sociologie, ça suffit comme ça, que Bourdieu se contentait « d’excuser les élèves » ou qu’il soutenait le déterminisme social. C’est tout simplement du simplisme et de la bêtise.

Pour revenir au « pédagogisme » et à Meirieu, on ne peut pas complètement jeter à la poubelle une « science » qui, sans prendre le pas sur le savoir, se veut un complément ou une aide pour l’acte enseignant, l’acte pédagogique. On ne peut pas jeter à la poubelle des idées généreuses, des idées qui parlent d’égalité, surtout quand ces idées n’ont pas été appliquées ou mal. On ne peut pas jeter d’un geste à la poubelle un travail de recherche scientifique qui utilise toutes les « armes » de la science au service d’idées qui se veulent progressistes (à moins de jeter la science à la poubelle et de faire du relativisme).

Les « pédagogues » ont fait preuve de mépris pour ceux qui avaient des critiques, forcément elles ont été plus radicales et l’état de l’école (et de la société) est un argument en faveur des « programmateurs ». Il semblerait qu’en 2006, les « pédagogues » aient décidé d’intervenir dans le champ médiatique et politique. A leur manière, pas forcément en confrontation directe avec les « programmateurs » mais aussi en inventant. C’est en tout cas le sens que donne Philippe Meirieu à la mise en ligne de son site ( www.meirieu.com ) avec des textes parfois offensifs ( www.meirieu.com sur ce texte à noter cette réponse de JP Brighelli : www.e-torpedo.net ).

On peut bien entendu se poser la question de la nécessité d’intervenir dans le champ médiatique pour des débats qui non rien de scientifiques, proches parfois du « on sait que », du « c’était mieux avant »..... Je crois que Pierre Bourdieu se posait les mêmes questions et avait réussi à concilier science et action militante (ce qui permet de dire que des chercheurs, qui proposent d’autres méthodes d’apprentissage de la lecture, pourraient éclaircir les choses et éliminer en partie le simplisme du champ médiatique).

Le débat y gagnera en qualité. Les interventions ont en effet souvent été des attaques personnelles, au point que le blog du journaliste spécialiste de l’Education le plus célèbre et le plus apprécié de France (pour son professionnalisme) se trouve être en danger (education.blogs.liberation.fr). Emmanuel Davidenkoff s’est retrouvé lui aussi obligé de choisir son camp. Et comme il ne voulait pas, il était donc forcément un « pédagogue ». C’est ridicule et imbécile. Les « programmateurs » ont des arguments plus intéressants que cela à proposer : une confrontation honnête avec les « pédagogues » est nécessaire. Les « pédagogues » ont parfois refusé le débat, mais petit à petit les « bastions » proposent des discussions contradictoires (dans le Café Pédagogique, www.cafepedagogique.net

les Cahiers Pédagogiques, www.cahiers-pedagogiques.com

Le Monde de l’Education, www.lemonde.fr

et même à l’INRP, www.inrp.fr ).

A visiter en particulier : le webbloge du Café Pédagogique,
www.cafe-leblog.net

Ce sont bien deux mondes qui s’affrontent, et si l’affrontement perdure, il doit être sérieux et utiliser la science.

L’exemple de confrontation la plus intéressante est, à mon avis, celle qui a lieu entre mathématiciens :
smf.emath.fr

Les « programmateurs » ont créé le GRIP (voir plus haut), certains membres du GRIP sont aussi membres d’institutions « pédagogues » (la SMF, _ smf.emath.fr
les IREM, www.univ-irem.fr et l’académie des sciences,
www.academie-sciences.fr ).

Des débats très techniques et cordiaux ont eu lieu. Mais malheureusement, les attaques personnelles se sont multipliées. C’est visible sur le site de Michel Delord, mais aussi dans ce débat :
smf.emath.fr-pdf et www.iecn.u-nancy.fr.pdf

Alors quoi ? Est-il nécessaire de tomber si bas à chaque fois, pour paraphraser Philippe Meirieu ?
Ce qui est certain c’est que ces débats suscitent la passion, qui parfois dépasse la raison.
Stratégies

Les « programmateurs » se déclarent explicitement comme les représentants de la « majorité silencieuse » contre la Nomenklatura des « pédagogues ». Cela étant dit, la FSU, syndicat pédagogue par excellence a, aux dernières élections professionnelles, conservée sa première place, et très largement. Le SNALC restant un syndicat des ..... Agrégés.
Se pose alors la question de la stratégie des deux camps, stratégie censée permettre de mettre les enseignants du « bon côté ».

Les « programmateurs » ont choisi, on l’a vu, une stratégie agressive et très médiatique (le GRIP annonce la couleur : c’est un « groupe de pression »). Ils ont aussi choisi de proposer, de construire, de débattre. Des propositions concrètes et des embryons de programmes émergent (c’est la vocation première du GRIP). Le ministre les écoute (le ministre a autorisé le GRIP à mettre en place des écoles pilotes : c’est le réseau d’écoles primaires SLECC-Savoir Lire Ecrire Compter Calculer-, et les autres écoles ne servent pas à ça ?!).

Les « pédagogues » ont choisi d’abord de ne pas répondre, de vivre sur leurs acquis et de défendre leurs postes. Il semble que les choses changent, mais quels seront les résultats concrets qui pourront émerger de « forums » ou de sites se contentant de réunir des textes anciens. Les lieux d’innovation et de recherches concrètes sont pour les « pédagogues » les institutions de l’Education Nationale dont certaines sont en pleine crise (je pense aux débats internes aux IREM). Mais là encore, il ne doit pas y avoir de nouveaux débats stériles, les armes doivent êtres scientifiques.

Les enseignants se retrouveront-ils là-dedans ? A vrai dire, il semble que ces changements importants se déroulent sans eux, encore une fois l’Ecole change par le fait d’experts « programmateurs » ou « pédagogues ». Les seules revendications catégorielles sont celles qui désormais mobilisent les enseignants : le recul de l’âge de la scolarité obligatoire n’a pas suscité de mouvement de masse, certains acquiescant même à ce qui apparaît clairement comme un abandon de toute ambition éducative pour les milieux populaires.

Le gouvernement en profite donc, jouant sur l’insécurité (au détriment de toute analyse sociologique sérieuse), sur le creusement des inégalités (même remarque, lire à ce propos les ouvrages de Pierre Bourdieu). Finalement le gouvernement joue le jeu des « programmateurs » (c’est vrai semble, nous dire Villepin et Robien, y’en a marre des experts qui détruisent l’Education Nationale, stop à la méthode globale et au pédagogisme !), tout en continuant l’allégement des programmes et les diminution de moyens et de postes. Tout le monde est perdant, surtout les élève et le savoir.

L’idée de promouvoir l’Apprentissage consiste à dire que l’Education Nationale n’a plus rien de nationale, qu’elle devient individuelle, qu’elle aidera ceux qui ont un « don » et laissera tomber les autres. C’est une idéologie que portent les « programmateurs », qui refusent de placer les problèmes sociaux comme des problèmes majeurs. L’idée d’alléger les programmes et de multiplier les projets éducatifs, est une idée que portent les « pédagogues », qui placent le ludique avant le savoir.

Ces deux exemples sont caricaturaux et ne correspondent pas à ce que leurs auteurs veulent soutenir (ils se réclament tous de valeurs républicaines et populaires), mais c’est ainsi que le gouvernement les utilise. Il faut cesser de se caricaturer les uns et les autres. Les deux camps craignent une privatisation-libéralisation-marchandisation de l’Ecole mais accusent les autres d’en être responsables.
Même remarque avec la violence.

Conclusion ?

J’ai, je l’admets, plutôt tendance à pencher du côté des « pédagogues ». Néanmoins, je suis très critique sur certaines idées : je pense par exemple aux PPCP (Projets Pluridisciplinaires à Caractère Professionnel) qui, sous couvert de pédagogie du projet, permettent de faire de nos élèves de futurs employés polyvalents, avec toute la gamme idéologique qui va avec.

Quant aux « programmateurs » je suis d’accord avec eux lorsqu’ils déplorent les coupes dans les programmes et certains « illogismes » dans les programmes.
Alors stop aux faux débats ! On peut « pencher » pour les « pédagogues » tout en les critiquant et en trouvant certaines idées des « programmateurs » intéressantes.

Autre exemple, il ne faut pas faire de la violence à l’école l’illustration d’une « perte des valeurs », conséquence directe d’un massacre dont les auteurs seraient pédagogues et sociologues. C’est ignorer que les choses sont plus compliquées que cela, c’est ignorer les violences qui structurent la société française, une société libérale et inégalitaire, une société dans laquelle les enseignants doivent être les défenseurs des valeurs universelles qui fondent la République. Il ne faut pas céder aux mesures prises sous la pression des médias ou des groupes de pression, il ne faut pas céder à la démagogie populiste, sécuritaire, alarmiste et simpliste.

Je me pose vraiment parfois des questions quant à la compétence de certaines grandes gueules, professeurs de mathématiques devenus grands spécialistes de la lecture par exemple, je me pose vraiment des questions concernant cette « complonite » généralisée. A quoi sert tout cela ? Soyons solidaires, soyons populaires, recréons l’Education populaire généreuse et ambitieuse.

L’Ecole se fait mal toute seule et lorsque l’Ecole a mal, c’est la société qui en subit les conséquences : Il s’agira maintenant de faire dériver une équation permettant de vérifier si ce que je soupçonne est vrai, à savoir que, plus on concentre la démence dans les institutions éducatives, plus le niveau de maladie mentale augmente dans le reste de la société....

Matthieu Brabant

Professeur de mathématiques-sciences physiques
Lycée Denis Papin, La Courneuve

http://altermonde-levillage.nuxit.n...

Messages

  • J’avoue que je serais plutôt d’accord avec votre article : je pencherais plutôt aussi du coté des pédagogues que du coté de ceux qui disent c’était mieux avant.
    Ceci dit en tant que mère de famille et qu’enseignante(enseignant l’électronique en BTS) : je me pose quelques questions : n’assiste t on pas tout simplement à la destruction d’une école publique qui quoi qu’on en dise a quand même fait ses preuve.
    Pourquoi forme t on les professeurs des écoles en leur disant : le passé simple c’est trop compliqué pour les enfants, les fractions aussi et les divisions par exemple. Il me semble que 40% des générations passant le certificat d’étude ont eu ce certificat : les fractions le passé simple et les divisions étaient bien au programme. nos enfants seraient ils moins intelligents que leur grand parents. Il n’est évidemment pas question de revenir au système éductif de ceux ci Mais le discours m’interpelle.
    La marche est de plus en plus haute entre CM2 et 6ème. Les enfants dont le milieu familial a les moyens intellectuels ou financiers peuvent plus facilement passer cette marche. Ce qui au collège va évidemment emmener certains enfants vers un bep ou d’autres vers une seconde.
    On parle encore d’alléger les horaires du collège : mais pourquoi ? sincérement en tant que mère de famille, je n’ai pas constaté que les horaires étaient spécialement importants : ils ont plutôt diminué depuis mon collège.
    A mon avis les cours de soutien scolaire ont encore de beaux jours devant eux ! parce que je ne pense pas pas qu’on allège le brevet !
    Je pense qu’on souhaite moins de diplomés du supérieur et plus de diplomés type bep ou bac pro. Et notre élite viendra de l’étranger selon nos besoins en diplomés du supérieur : cela coutera moins cher à l’état que de permettre à toutes les catégories sociales d’accéder à ces diplômes. Il vaut mieux que nos orthophonistes aient passé leur diplôme en belgique plutôt que d’augmenter le numérus clausus en france pour ne citer qu’un exemple parmi d’autres.

    Isab

  • Merci à la petite main invisible qui a déposé ce texte sur Bellacio (le texte date de janvier !) : surfant sur Bellacio, j’ai eu la surprise de trouver mon article.
    Merci pour les commentaires intéresants et constructifs.
    Et merci au neurologue/phychiatre qui s’est énervé sans lire le texte.

    Cette petite guerre a eu d’autres développement, vous vous en rendrez compte en visitant les sites que je signale.
    Un petit complément :
    http://smf.emath.fr/Forum/TribuneLibre/ (Messages à 663 à 723)

    Matthieu Brabant
    http://matthieubrabant.free.fr/